La rencontre
de la Poudrière
(Marseille, samedi 14 juin 2003)
Les lignes qui suivent ne sont ni un compte rendu exhaustif ni «
objectif » de la rencontre. Pour cette raison il est important
que les autres participants (avec ou sans notes) fassent leur propre
restitution.
§ 1 – Cette rencontre à réuni
quelques camarades de Marseille, d’Arles et de Cavaillon plus
ou moins impliqués professionnellement dans les grèves.
Son objectif était de faire le point sur le mouvement et de prendre
un peu de recul, de hauteur, pour ceux qui y ont participé activement,
bref, de « lever le nez du guidon » pendant un moment.
§ 2 – En règle générale,
tout le monde s’est accordé sur la difficile lisibilité
du mouvement, de la difficulté d’en avoir une approche
globale au niveau le plus basique, c’est–à–dire
à celui de ses pratiques : ce sont, par exemple, ces grévistes
qui bloquent le TGV postal au cours de la nuit et reprennent le travail
le lendemain ; ou encore ces postiers qui votent la grève en
AG le dimanche pour le lundi, or le lundi est un jour calme du point
de vue de la charge de travail et la première équipe qui
arrive le matin sur la plateforme qui le sait bien, décide de
reprendre le travail ce jour là sans autre forme de procès.
Les postiers font grève les jours où il y a du travail
et travaillent les jours où il n’y en à pas…
C’est logique, mais c’est quand même une drôle
de logique… de grève !
§ 3 – Ce ne sont là que des exemples,
au–delà de ceux-ci toutefois il apparaît que les
grèves ne se sont pas déroulées selon une dynamique
continue de montée en puissance (en tout cas après le
13 mai – qui au dire des camarades actifs dans la grève
à été un tournant annonçant déjà
la non généralisation du mouvement), mais plutôt
un mouvement de yo yo alternant des moments des phases très dures,
des moments de grande détermination et des moments d’atonie.
Peut–être faut–il voir dans ce phénomène
un rapport nouveau à la grève (je pense également
au second exemple cité ci–dessus) et à la lutte
en général. Comment caractériser précisément
ce rapport, je n’en sais encore trop rien, mais il me paraît
en tout cas aller dans le même sens que les positions alambiquées
auxquelles les sorties de grève ont donné lieu (cf. Reculer
n’est pas céder, et «
Montpar » rend les armes – Libération
du 13 juin 03). Sur cette base, j’émets quand même
une hypothèse : ne pourrait–on pas voir dans cette dynamique
du mouvement le brouillage de la frontière qui au cours de la
période précédente séparait le moment de
la grève de celui du travail ? N’est–ce pas là
ce que signifient les propos de l’auteur de Reculer n’est
pas céder écrit (même si c’est sans illusions)
: « Il s’agit de se mettre au diapason d’un mouvement
d’ensemble dur mais qui a beaucoup de mal à se fixer, un
mouvement rampant… » ? À ce propos, un camarade à
fait remarqué que la référence à décembre
1995, présente dans tous les esprits, a pu « plomber »
le mouvement en lui interdisant de se rendre compte de sa « vraie
» nature. Mais n’est–ce pas, précisément,
ce phénomène de halo qui s’exprime dans le passage
que je viens de citer lorsqu’il oppose la dureté du mouvement
et son incapacité à se fixer ?
§ 4 – Autre constat : sur le Vaucluse, par
exemple, chaque AG de secteur s’en est strictement tenue à
son fonctionnement sectorisé alors qu’au même moment
tout le monde se posait les mêmes questions et faisait la même
chose. En outre, alors qu’il est facile de trouver des volontaires
pour arrêter le TGV postal en pleine nuit (en plus il est arrivé
avec une demi–heure de retard !), on trouve personne pour aller
représenter l’AG de secteur à l’AG départementale.
Il a été dit que le motif de cette désaffection
résidait dans le fait que l’AG départementale était
perçue comme le lieu de toutes les magouilles syndicales, mais
même si c’était vrai il reste que la volonté
de mettre fin à ces magouilles et de s’emparer du niveau
départemental, ne s’est pas manifestée. Est–ce
à dire que dès l’instant où la lutte se délocalise
pour accéder à un niveau supérieur de centralité
territoriale et de pouvoir, elle perd sa raison d’être,
elle n’est plus elle-même ? Que le niveaux centraux sont
des lieux institutionnels dont les grévistes n’ont rien
à faire, par définition ? Qui leur sont un territoire
étranger du fait de la nature même de ce territoire par
rapport à la nature de la lutte ?§ 5 – Il reste que
l’on pourra toujours dire de tout cela qu’il ne s’agit
que d’autant de manifestations de la faiblesse du mouvement, de
son ancrage dans le revendicatif, qu’il ne manifestait aucune
tendance à l’insubordination pure et dure, etc. Mais il
sera toujours possible de dire de telles chose face à un mouvement
de grève… jusqu’à la révolution. Personne,
au cours de la rencontre n’a nié les faiblesses du mouvement,
ses limites… mais personne ne s’est non plus posée
la question de savoir s’il était révolutionnaire
ou non ! Et cela n’empêche pas (alors que l’autre
attitude oui) de se poser des questions sur ce qui fait la spécificité
des grèves de mai–juin 2003 par rapport aux grèves
précédentes.
§ 4 – Le dernier point que je voudrais rapporter
ici, et qui a été le plus débattu dans la mesure
où il ouvre directement sur une problématique préexistante
aux grèves est celui de la dimension citoyenniste ou démocrate
radicale du mouvement. J’avais en ce qui me concerne déjà
abordée la question, concluant (peut–être un peu
vite) à l’absence de cette dimension ; je mettais cette
absence en rapport avec le silence des « grands intellectuels
» (contrairement à décembre 1995) en notant toutefois
le caractère paradoxal de la chose compte tenu du terrain des
grèves (la retraite, l’éducation nationales) particulièrement
favorable au citoyennisme (Les grèves
de mai–juin 2003 dans l’immédiateté des classes
sociales, § 3). Sur l’absence des intellectuels
il m’a été répondu que si ceux–ci ne
sont pas intervenus c’est parce que cela n’était
pas nécessaire dans la mesure ou le démocratisme radical,
étant latent dans le mouvement, n’avait pas besoin de s’exprimer
particulièrement. Ainsi, parce que le mouvement s’inscrit
immédiatement dans le troisième moment du procès
de subordination (la reproduction du rapport d’ensemble) tel qu’il
est en cours de restructuration, le démocratisme radical en est
la « limite » naturelle. Il n’est donc pas contradictoire
de trouver des « propos citoyens » même chez les plus
farouches partisans de la stricte défense du « bout de
gras ». La recherche d’une alternative est naturelle au
mouvement du fait du terrain sur lequel il existe : « qui n’a
pas soif, ne prend pas le verre d’eau qu’on lui tend ».
Une autre position a consisté à périodiser la dimension
citoyenniste des grèves, la voyant surtout aux débuts
de celles-ci et à la fin
Pour ce qui est de la fin du mouvement, il n’y
a qu’à consulter le site Grève 84 pour
se rendre compte de la pression citoyenniste qui s’exerce aujourd’hui
: alors que les propos citoyens y étaient plutôt discrets
jusqu’à présent, il y abondent depuis deux ou trois
jours. Lire : Un autre monde est possible, Lettre aux parents
sur le pourquoi de la grève et sa suspension, sans parler
des chevènementistes radicaux d’Aelius (Que
faire ? et Ripostons), qui posent simultanément
que « le conflit prolétariat-bourgeoisie structure plus
que jamais le cours de l'histoire » et la nécessité
de « Restaurer la Nation, c'est-à-dire l’espace du
choix collectif, en donnant corps à une citoyenneté menacée
par l'européisme, l’individualisme bourgeois et les communautarismes.
»
Il n’en reste pas moins, aux dires de camarades actifs dans la
grève, que les différentes thématiques citoyennistes
ont pu être utilisées non seulement pour contrer des opposants
mais encore lorsqu’il s’est agit d’étendre
le mouvement hors de l’éducation nationale, par exemple,
tant il est vrai que la théorie du profit et plus facilement
maniable que la théorie de la plus–value pour un argumentaire
militant (cela est dit sans aucune connotation péjorative). Quoi
qu’il en soit, il me semble — et c’est la position
que j’ai défendue sur le sujet lors de la rencontre –
que, du point de vue de la spécificité du mouvement c’est
son aspect « lutte du statu quo », sa stricte polarisation
de classe, qu’il est important de retenir.
§ 5 – D’autres questions ont été
abordées, notamment celle des AG interprofessionnelles (absentes
en décembre 1995) et celle de l’attitude des militants
syndicaux apparemment plus ouverts ou plus disponibles.