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« Temps forts » du mouvement et
mobilisation durable dans la grève

A propos de l’AG interprofessionnelle de Cavaillon du 4 juin


§ 1 – La conclusion du compte–rendu de l’AG distingue les « temps forts » du mouvement (les manifestations) qui sont très suivis et les difficultés « de la mise en place d’une mobilisation durable dans la grève ». Cela me paraît être un point très important pour l’analyse du mouvement au point où il en est actuellement.


§ 2 – Cette dernière difficulté est expliquée par quatre facteurs :


1) l’absence d’un appel commun des syndicats au niveau national ;
2) la timidité de l’action politique et syndicale ;
3) la présence d’un grand nombre d’emplois précaires dans les secteurs concernés ;
4) la médiatisation tronquée du mouvement au niveau national.


§ 3 – On notera que les points 1 et 4 font appel à des facteurs qui sont extérieurs au mouvement du point de vue de « la mise en place d’une mobilisation durable dans la grève » et sont donc, à mon avis, de peu de poids, sauf à se faire des illusions sur les syndicats et sur les médias. En ce qui concerne les syndicats, le rapport de force « public » lors des manifestations est le seul qui compte à la table des négociations, c’est–à-dire pour mettre fin à la grève. Quant aux médias…


§ 4 – Le point 3 est plus important dans la mesure où les emplois précaires tendent à devenir une composante notable de la force de travail des « services publics ». Or, d’une part il ne semble pas que rien ne soit fait du côté des précaires en question (cf. sur le site le compte rendu de l’assemblé générale des contractuels du Nord–Vaucluse du 16 mai 2003) ; d’autre part, c’est là une dimension de la lutte actuelle qui n’est pas hors de sa portée… pour autant que tous les enseignants en lutte acceptent d’aller au–delà de leur propre statut. La CGT a mis longtemps à s’intéresser aux précaires et aux chômeurs… avant d’en faire un ghetto de lutte.


§ 5 – Le point 4, enfin, est ambiguë dans ses termes : c’est quoi l’action syndicale qui manque à l’appel ? existe–t-il une action syndicale « extra–syndicale » ? (cf. commentaire du point 1). Et c’est quoi l’action politique ?


§ 6 – La différence entre les « temps forts » et la « mobilisation durable dans la grève » tient au fait que dans le premier cas il s’agit d’une « représentation » des salariés en grève : ce que l’on montre (un groupe massifié de salariés) vaut plus que ce que l’on fait (se manifester dans les rues, c’est–à–dire hors de son lieu de travail, sur la « place publique ») et par cela possède sa finalité hors de lui (dans la future négociation au plan national par les syndicats – cf ; commentaire point 1) ; a contrario, dans le second cas, ce que l’on fait vaut plus que ce que l’on montre – et alors il ne sert à rien d’incriminer les médias – mais ce que l’on fait nous porte alors beaucoup plus loin que ce que l’on montre. Et c’est toute la question : que faire quand on fait grève, au–delà des brochettes, des merguez, de la pétanque et des cartes (que je ne réprouve pas loin de là) ? Qu’est–ce qui se passe lorsque l’on dépasse la représentation massifiée des salariés comme « manifestation » par l’« intersubjectivité » de la mobilisation active comme grève ? On va où ? Si ce que l’on fait vaut plus que ce que l’on montre (l’action par rapport à la démonstration de soi), qu’est—ce que l’on fait ? Et si on ne fait rien, il est alors normal que la mobilisation active comme grève rencontre des difficultés et que les grévistes se tournent vers les « temps forts », ce qui revient à déléguer la conduite du mouvement aux syndicats. Et qu’il s’agisse de la CGT, de FO ou de SUD, plutôt que de la CFDT, ne change rien sur le fond : un peu plus tôt un peu plus tard, le mouvement s’échouera sur la table de négociation. Tout au plus – mais c’est essentiel pour la compréhension de ce qui est en jeu – pourra–t–on suivre à ce moment là les parts respectives qui seront dévolues dans les accords signés au niveau national (étatique) et au niveau local ou au niveau des branches.


§ 7 – En mai 68, une des grandes préoccupations des syndicats dans les usines était d’« occuper » les ouvriers pour qu’ils ne rentrent pas chez eux (lorsque ce n’était pas déjà fait)… Parallèlement, dans les écoles et dans les lycées, dans les universités, dans les hôpitaux, on réfléchissait pour élaborer et proposer des réformes sur les pratiques enseignantes, sur la pratique de la médecine, les urbanistes bâtissaient de nouvelles villes, les artistes un art nouveau… Rien de tout cela aujourd’hui (rien de tout cela, déjà en Décembre 95). A ma connaissance les salariés, en tant que retraités ou futurs retraités, ne réfléchissent pas à un système alternatif de prise en charge de leurs retraites ; idem pour les personnels de l’éducation nationale : à ma connaissance ils ne réfléchissent pas à de nouvelles modalités d’organisation territoriale de leur activité autres que la décentralisation prévue, de nature à mieux assurer l’avenir des élèves, etc. que celle–ci ne peut le faire, et surtout mieux que l’ancien système ne le faisait sur le fond (c’est–à-dire au–delà d’un simple renforcement des effectifs, ce qui n’es pas négligeable, bien sur, mais ça ne vise qu’à renforcer l’existant) ; idem., encore sur les personnels des transports communaux, par exemple : ils ne réfléchissent pas sur ce que pourrait être un système de transport urbain idéal, à la portée de tous, sans discrimination de quartiers, respectueux de l’environnement et du cadre de vie, etc. Globalement, on n’est plus dans une situation où il s’agit de proposer des réformes et de revendiquer leur application – fussent–elles « radicales » – mais dans une situation où il s’agit de refuser les réformes proposées ; on comprend alors qu’il soit difficile de maintenir une mobilisation active dans la grève. Pourtant, évidemment, c’est celle–ci qui compte par dessus tout.


§ 8 – J’ai été un peu long pour ne poser que des interrogations. C’est que je suis professionnellement « extérieur » au mouvement actuel, que je ne suis pas « à votre place » et que dans ce cas la modestie s’impose, même si elle ne s’oppose pas à la réflexion. De toutes façons personne n’a de solution a priori. Comme dit l’autre, le chemin se fait en marchant, y compris dans les rues.


Avec vous.


Christian
(6 juin 2003)

 
     

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