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Réunion, discussion à Marseille


16 juin 2003

par François


Une petite réunion s'est tenue le samedi 14 juin 03 à Marseille sur le mouvement de grèves actuel. Il y avait là une dizaine d'individus - enseignants, précaires de l'Education Nationale, postier, formateur pour adultes, chômeurs - qui, tous, ne représentaient qu'eux-mêmes. Ayant participé à cette discussion, je vous en résume le contenu. Bien sûr, mon compte-rendu n'est pas « objectif ». Je me suis seulement efforcé de ne rien oublier d'important.


La première question discutée a été celle de la contradiction apparue très tôt dans la lutte (dès le lendemain du 13 mai) entre la volonté de généraliser le mouvement et le désir que les directions syndicales prennent les choses en mains en lançant un appel officiel à la grève générale. Pourtant la base n'a pas chômé dans les entreprises et les assemblées. Comment donc expliquer cette contradiction ?La réponse à cette question a pris d'abord la forme d'une réflexion à partir d'une double constatation. Il existait d'une part un contraste entre les « temps forts » des journées d'action, avec manifs très « suivies », et la difficulté de mobiliser les travailleurs de manière un tant soit peu continue, ce qui était pourtant la première condition d'une généralisation effective de la grève. D'autre part, il y avait un décalage assez net entre les enseignants et les autres secteurs en grève : en Provence, tous les petits cadres de la CGT se sont ainsi démenés pour entraîner tous les secteurs dans la bagarre, et ça n'a pourtant pas marché.L'hypothèse a donc été formulée que le mouvement a buté sur des limites intrinsèques, liées à la situation et à l'activité actuelles du prolétariat dans le rapport d'exploitation capitaliste et non pas seulement sur le travail de sabotage normal des dirigeants syndicaux. Cette hypothèse a été aussitôt contestée d'une part sur la base de considérations sur le manque de solidarité entre les différentes fractions du prolétariat, d'autre part au nom d'une conception de la lutte des classes, qui la pose comme opposition immédiate et frontale des classes capitaliste et prolétarienne dans chaque lutte singulière. Un point nous a mis en tout cas tous d'accord, c'est l'évidence, durant tout le mouvement, du non-cloisonnement professionnel entre les grévistes. Alors qu'en 1995, les travailleurs de chaque secteur venaient seulement « faire un tour » dans les AG des travailleurs de tel ou tel autre secteur, il allait cette fois de soi que tout groupe de grévistes pouvait participer pleinement à toute assemblée. C'est plutôt un signe encourageant.Nous avons discuté ensuite de la lutte des enseignants et de la question du blocage du bac. Etait-ce ou non un moyen d'action approprié au but visé, c'est-à-dire au retrait des projets gouvernementaux sur la retraite et la décentralisation ? Quelqu'un a observé que la question du blocage éventuel du bac ne se posait pas dans la perspective d'une généralisation effective de la grève, puisqu'alors était dépassée la segmentation catégorielle. Mais un autre a répondu que le blocage du bac par les profs, au-delà donc du simple refus de l'examen par une fraction importante des élèves, impliquait un niveau de conflictualité qui n'avait même pas été atteint en 1968. Les participants à la réunion étaient plutôt d'accord pour dire que la question ne s'est de fait posée que dans le déclin du mouvement, quand le désespoir de ne rien obtenir s'est retourné en fétichisme du blocage, renforcé par les menaces de Ferry.Au-delà du cas particulier des enseignants, la discussion en venait donc au problème général de la « sortie de grève », pour reprendre l'expression typiquement euphémistique des dirigeants. La résolution des cheminots du dépôt de la gare Montparnasse a trouvé la formule alambiquée de « sortie de grève reconductible », ce qui n'exclut pas tout à fait que dans le mouvement général de reprise, appuyé par les directions syndicales, des actions ponctuelles de grève soient lancées - ne serait-ce que pour épuiser les « irréductibles ». Mais cette formule alambiquée traduit sans doute une situation réellement alambiquée.Un camarade a prudemment soumis à discussion l'hypothèse que la CGT avait été piégée par le forcing du gouvernement, aboutissant à la signature brusquée de la CFDT et de la CGC. La CGT, en tant que syndicat responsable, ne pouvait pas rejeter a priori tout compromis, mais elle ne pouvait pas non plus, en tant que syndicat représentatif, se mettre en opposition violente avec toute sa base. La tactique Raffarin était-elle donc partie d'une stratégie visant à coincer la CGT dans le dilemme de la collaboration ou de la marginalisation ? Cette hypothèse a paru à certains camarades faire la part trop belle aux calculs politicards. Ces camarades ont de plus observé que chaque syndicat avait sa stratégie et qu'il fallait aussi tenir compte de la concurrence qui existe entre eux, face aux travailleurs comme face à la classe capitaliste.La discussion est donc repartie sur une question plus centrale dans le mouvement : le rapport public/privé. Un camarade, répondant ainsi à ceux qui mettaient en cause le manque de solidarité des prolétaires, a fait observer que personne ne croyait au retour du secteur privé à 37,5 annuités. Un autre a précisé que les enseignants du Vaucluse expliquaient dans leurs tracts l'intérêt que les travailleurs du privé avaient à se mettre en grève en disant que tant que le public restait à 37,5, on ne pouvait pas rallonger le privé de 40 à 41 annuités. Ce qui était à la fois plus réaliste et plus honnête que le slogan syndical de 37,5 annuités pour tous.Par le « détour » de la question du rapport entre les deux secteurs du capital et de la problématique union de la classe dans la lutte était donc abordée la question décisive du contenu et des limites du mouvement - bien que la notion de limite, je l'ai dit, ne fasse pas l'unanimité. Certains camarades ont estimé que l'idéologie démocratique radicale ou citoyenniste était peu prégnante, qu'on se battait pour la défense du salaire social de la retraite sans se soucier d'alternative. D'autres ont au contraire soutenu qu'elle était si prégnante qu'il n'y avait nul besoin d'interventions d'intellectuels pour formaliser les limites intrinsèques de la lutte et que le contenu des slogans et des analyses - la défense de l'école républicaine et du service public en général - était bien le projet d'une impossible maîtrise collective du capital.La discussion a rebondi alors sur l'analyse de la différence entre la revendication sur les retraites et celle sur la décentralisation.. La première paraissait à certains camarades plus clairement axée sur la défense du salaire, tandis que la seconde, ancrée dans le milieu enseignant, leur paraissait plus proche du discours citoyenniste. D'autres camarades ont alors souligné que même dans la lutte sur les retraites, il y avait un calcul et des arguments « citoyens » : l'argent existe, il faut taxer le capital financier. Le discours citoyen était donc « chez lui » dans le mouvement, contenu dans l'objet même de la lutte, la défense du salaire en tant que non directement lié à l'exploitation, en tant que socialisé par l'Etat.En tout cas, alors que la nécessité de la réforme des retraites du secteur public et de la décentralisation de l'Education Nationale avait été contestée dans les assemblées des grévistes, la résistance déterminée du gouvernement français, manifestement soutenu par la commission européenne, a démontré sa nécessité, non pas sur le papier, dans l'abstraction du raisonnement économique soi-disant neutre, mais concrètement, dans le mouvement même de la lutte des classes.


François
16 / 6 / 03


adresse de coordination par Internet ;->)    http://grèves84.ouvaton.org

 
     

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