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Le
temps comme forme et comme histoire
§ 1 – « Ces écrits
politiques [de Hegel au cours de la période de Francfort] marquent
un changement par rapport à la période précédente
quant aux relations du temps et de son contenu, de la temporalité
et de l’histoire. Dans sa période de berne, en effet, le
temps apparaît comme une forme indifférente que l’action
humaine peut remplir de n’importe quel contenu arbitraire. Hegel
écrit par exemple : ”L’humanité devient à
nouveau capable d’idéal.” Il exprime par là
que l’on peut restaurer la cité grecque, que le contenu peut
être situé à n’importe quel moment du temps.
Dans le même esprit, il écrit à Schelling, le 16 août
1795, que les peuples reprennent leurs droits. Il semble donc à
ce moment–là que la raison pratique puisse recréer
son objet et que le devoir–être commande l’être.
Il s’agit de ce que Hegel appellera par la suite une philosophie
de la réflexion, puisque’il y a cette séparation –
comme chez Kant – entre la forme du temps et son contenu. [1]
§ 2 – Au contraire, avec le nouveau thème
que constitue la dialectique de la vie, le temps ne peut plus être
pensé que comme temps historique qui déploie son contenu
à partir de lui–même ; la scission entre la forme et
le contenu ne peut plus être maintenue, la raison pratique ne peut
plus ressusciter n’importe quoi – et en particulier la cité
grecque. Cette scission entre la forme et le contenu se trouve alors remplacée
par une autre opposition, désormais intérieure au contenu
du temps (…) : l’opposition en science et culture, entre l’esprit
du temps [2] et la réalité positive. L’esprit du temps,
c’est l’exigence que porte le temps, non comme raison pratique
mais comme vie, de se réunifier à travers toutes les séparations
et les déchirures. Cette exigence est ressentie subjectivement
par l’individu comme idéal de liberté. A l’inverse,
la réalité positive de l’époque est la vie
en tant qu’elle est scindée, séparée ; elle
apparaît comme force de retardement historique. Nous trouvons donc
dans chaque époque une opposition entre une xigence de liberté
– différente selon les époques – et une positivité
qui retard ; cette opposition peut aussi s’exprimer dans les termes
d’intériorité – c’est l’esprit du
temps – et d’extériorité – c’est
le moment de frein de la séparation. (…).
§ 3 – (…) Cet esprit du temps est une
exigence de la vie elle–même – en tant qu’elle
est la vie se réunifiant –, il n’est pas extérieur
aux individus, ceux–ci le ressentant comme idéal de liberté,
et il y’a contradiction entre la positivité existante et
l’esprit du temps. Or, il dépend ici des individus que cette
contradiction aboutisse à une solution, c’est–à—dire
au triomphe rationnel de l’esprit du temps. Cela signifie qu’il
peut se réaliser de façon catastrophique ou, tout au contraire
, le faire rationnellement. (Il y a donc là un effort de synthèse
entre une philosophie de l’histoire du type de celle de Herder,
où l’histoire continue le procès naturel – l’action
des individus y étant donc minimisée –, et l’aspiration
fichtéenne à l’action, à la réalisation
de la raison pratique.) Il faut donc que la subjectivité prenne
conscience de ce qu’exige l’esprit du temps – car elle
a un rôle à jouer : l’histoire ne se fait pas toute
seule –, qu’elle condamne la positivité dépassée
: celle–ci doit disparaître, de façon que cette négation
de la positivité exigée par l’esprit du temps se fasse
en quelque sorte aux moindres frais, sans qu’advienne de catastrophe.
Ainsi, la liberté et la réflexion [3] apparaissent ici comme
un moment nécessaire du déploiement de l’histoire
et nous trouvons une première synthèse entre liberté
et nécessité, un effort pour dépasser l’antinomie
de la raison pratique et de la nécessité historique. (…)
la liberté apparaît comme un moment de l’accomplissement
de la nécessité et la subjectivité n’est pas
opposée à la substantialité. »
J. Rivelaygue, La génèse du système
hégélien, in « Leçons de métaphysique
allemande », t. I, le Livre de poche, Paris 1990, pp. 349–
352
[1] Chez Kant, le temps (avec l’espace mais sous
d’autres conditions) est la forme pure (donc a priori) de l’intuition
sensible à travers lequel celle–ci est seulement possible
; la forme conditionne donc son contenu. C’est le fameux dualisme
kantien que Hegel n’aura de cesse de critiquer.
[2] Dans ses cours sur l’histoire philosophique, Hegel parlera plus
tard de l’esprit du monde.
[3] La position kantienne. |
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