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Solde de grève
à la SNCF
11 juillet 2003
§ 1 - Jusqu’à présent, selon
un syndicaliste, « lors des grèves Gallois [1] avait toujours
su proposer une issue à la CGT » (Libération
du 11 juin 2003), or dans le conflit de mai–juin, cela n’a
pas marché faute de « grain à moudre » puisque
le dossier du régime général des retraites n’était
pas du ressort de la SNCF. Prévoyant la difficulté, les
fédérations cheminotes ont tenté d’associer
à leur préavis des revendications salariales négociables
en interne. Mais cette main tendue à la direction a été
repoussée dès le 6 juin lors d’une rencontre avec
les syndicats. Selon le témoignage d’un participant, «
la direction a expliqué que l’entreprise n’avait pas
les ressources pour mener ces négociations actuellement »
et, selon un point de vue « interne », « ce n’est
pas la grève qui convaincra la SNCF de mettre la main à
la poche. » (Libération du 11 juin). On a vu ce
que cela a donné du point de vue de la sortie de grève à
la gare Montparnasse [2]. Fin du premier épisode.
§ 2 – Le second épisode est intervenu
le 26 juin, lorsque Gallois a présenté aux directeurs d’établissements
puis aux syndicats un plan d’économie baptisé Starter,
lequel a été soumis le 9 au conseil d’administration
: « Nous allons faire des économies sur tous les postes.
D’au moins 100 millions d’euros, en passant au peigne fin
les dépenses courantes, sans tabou. Du train de vie de l’entreprise
aux achats à renégocier, en passant par la masse salariale
qui représente 50% du chiffre d’affaire et les investissements.
» (G. Pepy, Directeur général de la SNCF, interview
pour La Vie du Rail, cit. in Libération du 5 juillet 2003).
Lequel journal précise pour sa part que le plan consiste à
couper dans toutes les dépenses, sauf les investissements (10 juillet
2003), ce qui est plus crédible.
§ 3 – Quoi qu’il en soit du détail
de ce plan, ce n’est pas là l’important, l’important
c’est que ces 100 millions sont explicitement posés en référence
aux 250 millions de perte qui auraient été occasionnés
par la grève, ce qui revient à mettre le plan de redressement
de l’entreprise sur le dos des grévistes. Cela est peut–être
un argument crédible par les abonnés de La Vie du Rail mais
au–delà tout le monde sait que le plan est directement lié
au « projet industriel » de l’entreprise pour les années
2003–2005 et prévu de longue date, en outre la CGT et la
CFDT rappellent justement que les difficultés de l’entreprise
ne datent pas des grèves – on a vu plus haut comment dans
la cours de la grève la direction de la SNCF refusait a priori
toute négociation salariale. Ce qui compte, donc, ce n’est
pas tant le plan de redressement que le rapport établi par la direction
entre celui–ci et la grève qui fait de l’antagonisme
de classe une variété nouvelle de « risque industriel
», à mille lieu du « pacte social » scellé
en 1999 à l’occasion de l’accord sur les 35 heures.
Dans ces conditions, Sud Rail n’a pas tord de sentir à travers
cette annonce « une forte odeur de vengeance d’après–grève
» (Libération du 5 juillet 2003).
§ 4 – J’ai déjà parlé
du caractère « punitif » du refus de négocier
les modalités de récupération des jours de grève
et émis quelques hypothèses sur la signification de cette
punition à travers les motifs invoqués pour justifier le
paiement sec à l’Èducation nationale et à la
R.T.M. [3]. Il est intéressant de voir comment, après coup,
on retrouve la même problématique à la SNCF à
propos du plan de redressement « occasionné » par les
pertes commerciales dues à la grève de mai–juin.
§ 5 – Il y a d’abord la question de
l’impératif du travail mis en avant par Raffarin au sujet
des salariés de la fonction publique [4]. À la SNCF, selon
un cadre (Hubert Joseph–Antoine, en l’espèce, ça
ne s’invente pas !), le refus de la direction nationale de payer
les jours de grève a été ressenti comme un soutien
: « C’était important de dire : chaque jour de
grève sera payé par les grévistes. Localement,
pour le management, c’est une question de crédibilité
» – on a vu qu’auparavant l’usage voulait que
les responsables locaux adaptent au cas par cas les directives nationales
[5] –, une fermeté qui fait espérer une « rupture
» durable dans la gestion des conflits (Libération
du 10 juillet 2003, je souligne).
§ 6 – Corollairement, la responsable des guichets
de la gare Montparnasse estime que « le conflit a exacerbé
cette tension entre deux mondes qui cohabitent à la SNCF. Ceux
qui refusent de proposer la première classe en guichet, ceux qui
refusent de porter l'uniforme de la SNCF “parce qu'on n'est pas
chez Disney”, ceux qui refusent d'entendre parler de rentabilité
du service public. Ce sont eux qui n'intègrent pas l'équation
économique de l'entreprise.» et ceux pour qui la «
conscience du client » est devenue « un élément
fondamental, au même titre que la sécurité »
(Libération du 10 juillet). On verra comment ces salariés
modèles avaleront l’« équation économique
de l’entreprise » lorsque celle–ci bloquera leur salaire
et leur avancement…
§ 7 – Le second point est celui du dévoiement
du droit de grève, que l’on a déjà rencontré
à propos du conflit des traminots marseillais [6]. Selon G. Pepy,
« ce conflit est aussi un paroxysme. Parce que le lieu du conflit,
censé être interprofessionnel, s'est trouvé être
principalement la SNCF alors que l'enjeu, le régime général
de retraites, ne la concernait quasiment pas. » « La CGT a
mené un conflit politique sans aucun rapport avec l'entreprise,
explique un membre de la direction. Ils nous ont dit de ne pas nous en
mêler, que c'était une affaire entre le gouvernement et eux.
Comme si le sujet SNCF pouvait être mis entre parenthèses.
» Et quand la CGT et la CFDT, le conflit s'essoufflant, ont proposé
une sortie de crise, sous forme de négociation salariale, on leur
a fermé la porte au nez. (Libération du 10 juillet).
Retour à la case départ, c’est–à-dire
à la sortie de grève.
§ 8 – Un mois après la fin du conflit,
on retrouve ainsi à la SNCF la problématique que l’on
avait déjà rencontrée à la RTM et à
l’Éducation nationale : l’affirmation de l’impératif
du travail, et donc la grève comme défaut par rapport à
cet impératif et la définition du droit de grève
comme droit attaché au contrat de travail avec telle ou telle entreprise
et non à la position sociale de salarié. La grève,
donc, définie par rapport au fait que tel salarié s’est
vendu à tel capitaliste particulier (et non plus comme arme de
la classe dans son ensemble) et donc la punition pour qui contrevient
à cette nouvelle règle. Comme le dit la direction de la
SNCF, les grévistes cheminots ne peuvent pas mettre « le
sujet SNCF (.…) entre parenthèses », ils ne peuvent
donc pas faire grève pour autre chose que des histoires de cheminots…
Notes
[1] Louis Gallois est président de la SNCF, nommé par Juppé,
depuis 1996. En 1981 il a été directeur de cabinet de Chevènement
au ministère de la Recherche et de la Technologie, puis Recherche
et Industrie (à ce titre il a géré les nationalisations,
la restructuration de la sidérurgie et la faillite de Creusot–Loire).
Enfin, en 1988 il a suivi Chevènement comme directeur de cabinet
au ministère de la Défense. Après cet intermède
politique il a été successivement PDG de la SNECMA à
partir de 1989 et de l’Aérospatiale à partir de 1992.
[2] Cf. Le mouvement de mai–juin
2003 dans l’immédiateté sociale des classes,§
21 à 24.
[3] La punition.
[4] Op. cit., § 2.
[5] Ibid., § 7.
[6] Ibid., § 10.
[7] Ibid., § 9.
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