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PERIODISATION
DU MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE
Histoire du capital, histoire des crises et histoire du Communisme
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Première publication : Hic Salta
98
B. Astarian, C. Charrier |
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Introduction
SUBORDINATION ET EXPLOITATION
C. Charrier, février
2003
§ 1 – Publié pour la première
fois dans Hic Salta 98, le texte Périodisation du
mode de production capitaliste… est la suite logique d’un
travail plus abstrait sur la question de la subordination formelle et
réelle de la classe prolétaire par la classe capitalise.
On sait comment la découverte du VIème chapitre
inédit du Capital (qui ne fut publié en France
qu’en 1971) a été déterminant pour la critique
du paradigme ouvrier de la révolution dans toutes ses variantes.
Pourtant, le statut de l’analyse marxienne, sur ce point, est toujours
resté ambigu par rapport à l’analyse du Capital.
L. Goldner qualifie le VIème
chapitre de « Phénoménologie de l’Esprit
matérialiste » (§ 53) et s’interroge sur les raisons
qui ont amené Marx à ne pas le publier. Pour ma part, j’incline
à penser qu’il lui a préféré la huitième
section du capital, consacrée à l’accumulation primitive,
à son « secret » et à sa « tendance historique
» comme plus adéquate à l’exposé «
scientifique » du Capital. Cela dit, on peut également
considérer que pour donner toute sa mesure à cette théorie
des deux périodes de la subordination, et en faire autre chose
qu’un simple outil de périodisation du capitalisme, il faut
la faire opérer comme élément central dans la critique
du paradigme ouvrier de la révolution, ce que Marx ne pouvait évidemment
pas faire !
§ 2 – Quoi qu’il en soit cette approche
du capitalisme en terme de subordination n’a jamais été
évidente en ce qui concerne ses rapports avec l’approche
en termes d’exploitation, soit que l’on soit tenté
d’occulter cette dernière au profit de la première
(et alors le capitalisme se retrouve comme une entreprise d’oppression
– et l’on parle alors de « domination »
ou de « soumission » formelle et réelle),
soit que l’on fasse du rapport de subordination un moment de l’exploitation
(on parle alors plutôt de « subsomption »,
ce qui est un terme emprunté au vocabulaire de la logique qui signifie
penser un objet comme inclus dans un ensemble plus étendu qui lui
donne sens) et alors on prend pour argent comptant l’autoprésupposition
du capital et l’on fait un présupposé théorique
de ce qui est un résultat concret (soumis à conditions),
du procès de valorisation capitaliste – le fait que le capital
pose ses conditions comme résultat de son propre procès…
mais c’est là une autre histoire, que nous ne nous racontions
pas forcément à l’époque d’Hic Salta.
Il n’en reste pas moins que le choix d’employer tel ou tel
terme n’est pas sans signification, c’est–à–dire
sans supposer une conception particulière du capitalisme, de la
lutte de classes et donc de la révolution.
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§ 3 – Dans
Subordination du travail au capital…, nous avons essayé
de clarifier cette problématique, et pour commencer, nous avons
choisi d’utiliser le terme de « subordination »
qui étymologiquement, au–delà de ses connotations
immédiate de « mise sous tutelle » ou de « dépendance
», signifie « ordonner », « mettre en bon ordre
», conformer à la règle » (l’allemand
Unterordnung qu’utilise Marx – aux côtés
de Subsumption – a la même racine), terme qui nous
a paru mieux à même de rendre le caractère processuel
du rapport entre la classe prolétaire et la classe capitaliste,
comme un procès concret, en trois moments successifs, qui doit
avoir lieu et non un état passif (la domination)
ou un statut ontologique (la subsomption).
§ 4 – Notre thèse est que ces deux
problématiques, de la subordination et de l’exploitation,
traduisent deux niveaux d’analyse de la réalité capitaliste
: la première envisageant les choses du point de vue de la reproduction
d’ensemble du système, la seconde du point de vue particulier
du procès de production immédiat (Hic Salta,
p. 51). Toutefois, dans la mesure où la finalité ultime
du capital est l’accumulation, « la nécessité
de faire valoir le capital » (Marx), donc « la plus grande
exploitation possible de la force de travail » (Ibid.), il convient
de ne pas opposer la subordination de la classe prolétaire et son
exploitation : il n’y a pas de subordination possible du travail
au capital sans exploitation et il n’y a pas d’exploitation
sans subordination. Plus loin nous écrivons : « le M.P.C.
est avant tout un rapport social de subordination du prolétariat
par la classe capitaliste. Ce rapport social vise à extorquer
du surtravail au premier pour le compte du second, sous la forme de la
plus–value. » (p. 52). Du premier point de vue, ce sont donc
les modalités d’extraction de la plus–value (absolues
et relatives) qui déterminent à chaque période les
formes de la subordination ; en revanche, du second point de vue, de manière
historique et pratique, ce sont les formes du rapport de subordination
qui rendent possibles telles ou telles modalités concrètes
de l’extraction de la plus–value. – Il n’y a là
aucune contradiction, encore moins une affaire de poule et d’œuf,
simplement deux point d’approche différents d’une même
réalité
.
§ 5 – Or, et c’est là que nous
voulions en venir, « chaque fois que la crise éclate comme
soulèvement insurrectionnel du prolétariat, et que la question
du communisme devient une question pratique, c’est dans les
modalités de subordination du travail au capital et dans les
contradictions de celle–ci, que l’on trouve les déterminations
spécifiques de l’activité de crise du prolétariat
et de la vision du communisme qui en découle. » (p. 52, je
souligne). Le texte que l’on va lire est une mise en œuvre
de cette thèse qui, sur le fond, repose sur un présupposé
: rendre pratiquement le prolétariat « acteur » de
sa révolution et donc du communisme et donc ne plus en faire le
« facteurs subjectif » d’un mouvement qui le dépasse
et du communisme ce mouvement, qu’on le voit comme résolution
de l’Arc historique universel de l’aliénation ou du
Capital institué en totalité contradictoire comme procès
de sa propre abolition – les deux n’étant pas forcément
exclusif l’un de l’autre comme on peut le voir dans Sur
l’idéologie ultra–gauche de J. Barrot.
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§ 6 – C’est
là que se situe – à mes yeux – la principale
limite de notre analyse dans la mesure où à trop vouloir
rendre aux prolétaires la part qui leur revient dans le processus
révolutionnaire, nous avons occulté que le troisième
moment du procès de subordination, s’il est bien le moment
de la reproduction de la force de travail comme consommation improductive
est aussi simultanément celui de la reproduction de la classe capitaliste
comme consommation productive, c’est–à–dire comme
transformation de la plus–value en capital additionnel apte à
se transformer en force de travail et en moyens matériels de production.
En cela, ce texte reste dans ses attendus, majoritairement postprolétarien,
comme théorie du Prolétariat comme sujet et de
la conception du processus révolutionnaire qui va avec ; ce qui
veut dire qu’elle ne considère pas réellement la révolution
comme un produit historique de la lutte de classe, c’est–à-dire
de l’antagonisme entre la classe prolétaire et la classe
capitaliste.
§ 7 – Au–delà de cette limite,
le premier mérite de Périodisation du mode de production
capitaliste… est d’avoir tenté d’assouplir
la rigidité de l’approche marxienne qui fait correspondre
terme à terme un mode de subordination et un mode d’accroissement
du taux de plus–value. Pour cela, nous avons envisagé, des
périodes mixtes, c’est–à-dire introduit une
histoire dans les deux grandes périodes envisagées par Marx.
Le second mérite de ce texte, qui est le bon côté
du formalisme que l’on pourrait lui reprocher, est que ce formalisme,
justement, nous a contraint pour chaque période à entrer
dans le détail des trois moments du procès de subordination.
Par là, même s’il s’inscrit encore dans la problématique
de la théorie postprolétarienne, ce texte a le mérite
de faire du Sujet prolétarien une classe réellement existante
et non un concept ou un rêve magnifique. Le troisième mérite
du texte, enfin, est de chercher à rendre concrètement pour
chaque sous–période comment peuvent exister et coexister
les deux modes de subordination, comme pratiques spécifiques de
la classe capitaliste.
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PERIODISATION
DU MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE
§ 1 – Les
notes qui suivent sont un commentaire succinct du schéma ci-joint
[0], qui représente l'ensemble du cours historique de l'accumulation
du capital. L'intérêt qu'il y a à établir une
vue d'ensemble de l'histoire du capital est de montrer que cette histoire
constitue un processus global obéissant à une logique contradictoire,
qu'il a un début et une fin, et que son invariance (la récurrence
des crises) n'exclut pas une évolution vers la production des conditions
effectives de la révolution communiste.
§ 2 – L'histoire du MPC se compose de deux
périodes principales (subordination formelle et subordination réelle),
elles-mêmes divisées en deux cycles longs que l'on a distingués
par les modalités de l'extraction de la plus-value. Chaque cycle,
à son tour, comporte des variations conjoncturelles, non représentées
sur le schéma.
§ 3 – L'analyse historique du MPC se fait
simultanément en termes de subordination et d'exploitation. Il
faut en effet distinguer entre :
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a) l'exploitation, qui repose sur la division de la
journée de travail en travail nécesaire et surtravail,
et qui consiste en l'appropriation gratuite du surtravail par le capitaliste,
et
b) la subordination du prolétariat au capital,
qui est l'ensemble des moyens et conditions qui, dans le rapport entre
les classes, permet une telle division de la journée de travail
et en définit les modalités à chaque période.
La subordination est le rapport de force entre les deux classes, et
se concrétise dans chacun des trois moments de la reproduction
du prolétariat. De façon générale, le prolétariat
est subordonné au capital par le simple fait que celui-ci détient
le monopole des moyens de production et de reproduction, et que le prolétariat
est donc sans réserve, contraint de vendre sa force de travail
contre le salaire. Au delà de cette brutale réalité,
la subordination du prolétariat au capital s'analyse en trois
moments complémentaires :
1. le marché du travail, où se négocie
la valeur de la force de travail ;
2. le procès de travail, où a lieu l'exploitation
proprement dite ;
3. la reproduction immédiate, ou vie privée,
du prolétariat, où la valeur de la force de travail est
vérifiée par le prix des subsistances et où le
prolétaire est reproduit comme force de travail à renvoyer
sur le marché du travail.
§ 4 – Ni le capitaliste ni le prolétaire
ne connaissent l'exploitation. Ni l'un ni l'autre ne savent quand finit
le travail nécessaire et quand commence le surtravail. Mais les
deux classes savent parfaitement ce qu'est la subordination, et c'est
sur le terrain de la subordination qu'elle s'affrontent quotidiennement.
Selon les aléas de l'exploitation, qui se traduisent en hausse
et baisse conjoncturelle du taux de profit, l'affrontement des classes
entraine des ajustements dans les modalités de la subordination.
Quand la rentabilité du capital est élevée et que
l'accumulation du capital crée une demande importante de main
d'oeuvre, le prolétariat en profite pour demander un allègement
de sa subordination. Et inversement, quand la rentabilité baisse,
le capital cherche à imposer une aggravation de la subordination
pour renforcer la contrainte au surtravail, qui est la raison d'être
de la subordination. La crise [1] éclate lorsque cette aggravation
rend la subordination intolérable dans tel ou tel de ses trois
moments. La crise se définit alors comme crise d'insubordination.
En termes très généraux, le prolétariat
se soulève parce que sa subordination a perdu sa contrepartie,
la reproduction immédiate. L'activité de crise consiste
alors, pour le prolétariat, à attaquer la subordination
où le tient le capital à l'endroit où celui-ci
juge précisément nécessaire de l'aggraver pour
rétablir son taux de profit. Cet endroit varie selon les périodes,
et c'est ce qui détermine la spécificité historique
des insurrections en même temps que le contenu projeté
du communisme. La crise d'insubordination est toujours affirmation du
prolétariat, en tant qu'élément vivant du procès
de valorisation, contre l'aggravation des modalités de la subordination
qui le menace jusques et y compris dans sa vie.
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PREMIERE PERIODE : SUBORDINATION
FORMELLE
1) Définition
§ 5 – Marx définit la période
de la subordination formelle par le fait que le procès de travail
conserve pour l'essentiel ses caractéristiques précapitalistes,
et c'est en tant que tel qu'il vient s'insérer dans la forme salariale.
Le capitaliste dirige un travail qui, peu ou prou, est identique à
celui de l'artisan, et il se limite à lui donner une discipline,
une régularité et une extension qui fait la différence
entre l'atelier et la manufacture. Cette appréhension de la subordination
formelle n'est en fait qu'une définition circonscrite au deuxième
moment de la subordination tel que nous l'avons définit plus haut.
Si l'on considère le rapport du capital à l'ensemble de
la société, la définition de la subordination formelle
consiste à dire également que les modes de production précapitalistes
(petite production marchande, agriculture féodale...) n'ont pas
disparu, et que le capital doit partager sa domination sur la société
avec les classes dominantes de ces autres modes de production. Cet aspect
est important pour comprendre pourquoi Marx, dans une autre approche de
la question, identifie également subordination formelle et extraction
de la plus-value absolue.
§ 6 – En effet, la survivance des modes de
production précapitalistes implique que certains éléments
du procès de valorisation du capital échappent à
son influence. D'une part, certains éléments du procès
de production capitaliste sont produits en dehors de lui. Ce peut être
le cas des matières premières, même de machines. C'est
aussi le cas d'une partie importante des subsistances, qui sont produites
par une agriculture non encore capitalistique. Cela signifie que le capital
ne détermine pas lui-même, ou très imparfaitement,
la valeur des marchandises nécessaires à la reproduction
de la force de travail, et qu'à cette mesure, les salaires sont
pour lui une variable exogène. D'autre part, la survivance des
modes de production précapitalistes signifie que la main d'œuvre
n'est pas directement et exclusivement confrontée au monopole capitaliste
sur les moyens de production, de sorte que la contrainte au surtravail
n'est pas immédiate et directe. La main d'oeuvre salariée
a la possibilité de quitter momentanément son travail pour
le capitaliste pour s'employer dans l'agriculture familiale ou l'artisanat.
Et l'on sait que la question de l'indiscipline des travailleurs salariés
était un souci permanent des capitalistes de cette période.
.
§ 7 – Les modalités de la subordination
formelle du prolétariat au capital dérivent de ce contexte
général :
1. marché du travail : le capital est contraint
d'alimenter constamment le marché du travail en prolétaires
nouveaux. Il s'agit pour lui non seulement de trouver la main d'oeuvre
nécessaire à son expansion, mais aussi de renforcer la concurrence
entre les travailleurs qui disposent non seulement, pour beaucoup, d'un
niveau élevé de qualification, mais aussi de la possibilité
de se retirer du marché et de se replier sur les modes de production
précapitalistes. Le capital force donc la marche de l'exode rural
en détruisant par la violence l'agriculture précapitaliste
(cf les clearances en Irlande et en Ecosse, ainsi que la politique
coloniale), pour jeter sur le marché des villes un prolétariat
nombreux, auquel il interdit de plus toute forme d'association et toute
activité politique. La contrainte au travail et au surtravail passe
aussi par une politique de salaires véritablement minimaux, qui
provoque la mise au travail des femmes et des enfants. Encore une fois,
la violence joue un rôle certain dans la mise en vigueur de cette
politique.
2. procès de travail : le coeur du procès
de travail est assuré par des travailleurs qualifiés. L'échelle
de la production, une certaine rationalisation dans les opérations
annexes imposent toutefois l'emploi d'une main d'oeuvre abondante sans
qualification. Face à un procès de travail dont il ne maitrise
pas les éléments centraux, le capitaliste n'a d'autre moyen
d'accroitre la productivité que d'imposer une discipline aussi
stricte que possible. Vis à vis du travailleur qualifié,
il agit comme une contrainte extérieure, intervenant à chaque
instant pour assurer la régularité et l'intensité
du travail. Qu'il s'agisse du salaire aux pièces, du système
des amendes, des tricheries sur les horloges, le capitaliste intervient
toujours de l'extérieur pour exercer la contrainte au surtravail.
Mais surtout, il s'efforce de prolonger autant que possible la durée
du travail, car dès lors que le salaire est effectivement au minimum
vital, c'est la seule façon qu'il a d'augmenter la part du surtravail.
3. reproduction immédiate : celle-ci se fait dans
la misère la plus absolue, au point que certains critiques bourgeois
comprennent eux-mêmes le caractère contre-productif des conditions
de vie faites par le capital au prolétariat. Ils soulignent l'usure
trop rapide de la main d'oeuvre et le potentiel de révolte qu'elles
comportent (la « classes dangeureuses »).
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§ 8 – En résumé,
parce qu'il a une importance cruciale dans le procès de travail
immédiat, le prolétariat se trouve subordonné au
capital de façon extrêmement destructrice dans les moments
1 et 3. C'est là un thème récurrent des insurrections
du 19° siècle : nous sommes la source exclusive de la richesse,
nous voulons participer à la vie sociale, économiquement
et politiquement.
2) Périodisation de la subordination formelle
§ 9 – La période commence avec les
origines du mode de production capitaliste. Notre schéma, par simplification,
pose le début du capital à la fin du 18° siècle.
La subordination formelle s'achève avec la fin de la grande dépression,
dans la dernière partie des années 1890.
§ 10 – Les deux cycles longs de la période
sont séparés par une phase d'une importance déterminante
du point de vue du capital. Les années 1840, en effet, sont celles
où le capital remporte des victoires décisives dans sa lutte
contre la propriété foncière précapitaliste.
En France, la révolution de 1848 lui fait définitivement
perdre le contrôle de l'Etat. Les révolutions nationales
des autres pays européens correspondent aussi à l'affaiblissement
de cette forme de domination politique. Mais c'est en Angleterre, et en
termes économiques, que la césure la plus nette intervient.
En 1844, en effet, sont abolies les Corn Laws qui protégeaient
la rente foncière des producteurs de céréales. Ces
lois avaient été établies en 1815, et interdisaient
l'importation de blé aussi longtemps que le prix intérieur
n'avait pas atteint un certain seuil (élevé). Le vote de
cette législation avait d'ailleurs provoqué des émeutes
et des pillages de la part des ouvriers anglais. L'abolition des Corn
Laws est l'aboutissement d'une lutte conjointe de la bourgeoisie
industrielle et du prolétariat. Elle crée pour le capitalisme
anglais une importante possibilité de faire baisser les salaires
en important du blé, et permet donc une première mise en
place de la plus-value relative.
§ 11 – On peut considérer que, durant
le premier cycle long de la période, la valorisation du capital
se fait exclusivement sur la base de la plus-value absolue. Le deuxième
cycle voit une première combinaison de la plus-value absolue et
de la plus-value relative. Cette première combinaison est caractérisée
par le fait qu'une partie seulement des subsistances sont des marchandises
capitalistes. Le mécanisme de la plus-value absolue garde la primauté,
reste la base principale de l'accumulation [2]. Pour limitée qu'elle
soit, la mise en place de la plus-value relative n'en permet pas moins
une reprise significative de l'accumulation, après la phase de
ralentissement long des années 1820-40. On assiste alors à
une phase d'accumulation rapide de capital fixe, qui s'accompagne bien
entendu d'une première attaque contre les qualifications précapitalistes
de la main d'oeuvre, entre autres sous la forme d'un effort de requalification
au travers de l'instruction publique. En France, cette tendance est surtout
manifeste dans la deuxième phase du deuxième cycle, c'est
à dire dans les débuts de la III° République.
D'autres éléments importants de la fin de la période
correspondent à la même adaptation des modalités de
la subordination du prolétariat à la mise en place de la
plus-value relative. Il en va ainsi en particulier du développement
des syndicats et des partis ouvriers, qui marque l'intégration
progressive de l'ensemble des facteurs de la reproduction prolétarienne
dans l'auto-présupposition du capital. Syndicats et partis affrontent
alors le capital sur ce qui est en train de devenir un archaïsme
pour le capital dans ses efforts permanents de subordination du prolétariat:
absence de droit syndical et politique, durée du travail, niveau
des salaires. Mais ceci ne concerne que la fin de la période et
la transition vers la période de la subordination réelle.
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3) Crises de la subordination formelle
§ 12 – Lorsque le prolétariat se soulève,
c'est toujours parce que l'échange de la force de travail devient
impossible. Les raisons de cette impossibilité ne peuvent pas plus
se déterminer scientifiquement que l'on ne peut déterminer
une fois pour toute la liste des marchandises nécessaires à
la reproduction de la force de travail et leur valeur. La crise éclate
parce que, à un moment donné par les circonstances, l'aggravation
recherchée par les capitalistes dans les modalités de la
subordination afin de faire baisser les salaires devient intolérable.
On a vu plus haut que, dans les conditions spécifiques de la subordination
formelle, les capitalistes agissent sur les conditions qui déterminent
le salaire de façon politique et policière. La dictature
des capitalistes n'est pas déguisée, elle est directe et
repose sur l'exclusion des prolétaires de la vie politique. C'est
pour eux la façon qu'ils ont de répondre à la centralité
quantitative et surtout qualitative du travail vivant dans le procès
de travail, ainsi qu'au fait que les paramètres de la valeur de
la force de travail leur échappent dans une grande mesure.
§ 13 – Au moment où l'éclatement
de la crise bloque l'échange de la force de travail, l'insurrection
du prolétariat consiste, dans tous les cas, à s'affirmer
violemment contre la société qui l'exclut. L'impossibilité
de l'échange salarial met le prolétariat dans une situation
d'irreproductibilité qui le contraint à se révolter,
à défendre sa place dans la société. L'activité
immédiate du prolétariat dans la crise n'est jamais que
cette défense contre les attaques les plus extrêmes des capitalistes
qui cherchent à renforcer sa subordination pour obtenir une baisse
de salaire. Le prolétariat ne se soulève pas pour «
faire le communisme ». Mais le communisme, qui est en même
temps sa négation, est sa seule défense conséquente
dans la mesure où l'élément objectif de la suraccumulation
du capital interdit toute sortie de crise dans le cadre du salariat qui
ne soit pas l'aggravation de la subordination du prolétariat au
capital. Dans toute crise, l'affirmation du prolétariat s'appuie
sur ces éléments de sa subordination où la pression
capitaliste est moindre, et se concentre contre les autres éléments,
où la pression capitaliste s'efforce d'obtenir un recul prolétarien.
§ 14 – Dans les conditions de la subordination
formelle, l'affirmation du prolétariat repose sur la centralité
du travail vivant, et la revendication portée par le soulèvement
est celle de la participation à la vie sociale. C'est ce qu'expriment
des insurrections comme celles de Lyon en 1831, de Paris en 1848 et en
1871. Les quartiers ouvriers se constituent en bastions fortifiés
d'innombrables barricades. Il est caractéristique que les lieux
de travail ne sont pas concernés, comme si toute la force de production
se trouvait dans les mains des ouvriers eux-mêmes et ne prenait
nullement la forme de capital constant. Les bastions ouvriers se forment
comme une verrue sur la ville et sont là pour demander la participation
à la vie politique. Les barricades ne cherchent pas à perturber
la production, mais bouleversent la vie politique de la ville. Elles affirment
l'existence du prolétariat dans la ville plus que dans l'atelier,
et servent de base pour des attaques prolétariennes en direction
des lieux de la vie politique. C'est fréquemment l'Hotel de Ville
qui est alors visé, ce qui correspond probablement au fait que
la bourgeoisie est plus présente à ce niveau municipal qu'au
niveau national. L'insurrection de Juin 48 ne comporte cependant pas cet
élément, qui était présent en Février
48. Car en Juin, le prolétariat a déjà le maximum
de participation politique possible dans les conditions d'alors (la Commission
du Luxembourg), et c'est précisément sur ce point que la
bourgeoisie l'attaque. L'insurrection est alors un pur enfermement du
prolétariat dans ses bastions barricadés, et la férocité
de la répression de Cavaignac exprime à quel point cette
affirmation du prolétariat dans la société est intolérable
pour la bourgeoisie française d'alors.
§ 15 – La crise majeure de la deuxième
période, la Commune de Paris, n'est pas entièrement exempte
de présupposés de la première période. Certes,
l'insurrection qui répond à l'attaque de Thiers contre les
canons de la Garde Nationale ne comporte pas de bastions ouvriers barricadés
de l'importance de Juin 1848, mais elle aboutit encore à l'Hotel
de Ville. Dès le départ, le prolétariat lutte de
façon conjointe avec la petite bourgeoisie républicaine
et communaliste de Paris, contre la bourgeoisie monarchiste et les classes
rurales. Les combats pour la défense de Paris, par la suite, ne
sont pas non plus assimilables aux barricades de 48. Il s'agit alors moins
de l'auto-enfermement d'un bastion prolétarien contre le reste
de la société qui l'exclut que de la défense militaire
d'un soulèvement politique où les intérêts
de la petite bourgeoisie communaliste/républicaine et du prolétariat
sont inextricablement mêlés. Car derrière les combats
aux fortifications de Paris, emmêlés dans la politicaillerie
des pouvoirs concurrents du Comité Central et de la Commune, le
soulèvement a eu une pratique proprement prolétarienne,
voire programmatique. Un comptable et un ouvrier sont chargés de
prendre le contrôle du ministère des finances - mais respectent
ses coffres! Le travail de nuit des ouvriers boulangers est interdit ;
la restitution des biens engagés au Mont de Piété
est projetée, de même que la création de boucheries
municipales; un salaire maximum, non cumulable, est instauré pour
les fonctionnaires; la Commune décide aussi la séparation
de l'Eglise et de l'Etat, la suppression du budget des cultes et la saisie
des biens de l'Eglise... Il est vrai qu'une partie des mesures prises
par la Commune sont restées à l'état de projet. Ainsi
la suppression du Mont de Piété et son remplacement par
un système d'assurance-chômage n'a pas pu être effectuée;
un projet d'enseignement populaire très complet, et dont la III°
République reprendra les principes, ne sera que très partiellement
appliqué.
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§ 16 – Mais la nature révolutionnaire
de la Commune a surtout consisté dans la forme politique qu'elle
a inventée, celle de la démocratie locale directe, avec
révocabilité. Entre cette forme et le strapontin que le
gouvernement de la deuxième république avait accordé
aux ouvriers, il y a tout le développement capitaliste des années
1850 et 60, tel qu'il était centré sur l'extraction de
la plus-value absolue, mais aidé par l'apparition de la plus-value
relative: le prolétariat restait un exclu politique, mais avait
gagné en importance. Cette forme sera abondamment évoquée
lors de la poussée révolutionnaire des années 1918-20,
car elle critiquait déjà la participation politique du
prolétariat à la démocratie bourgeoise, qui pourtant
n'en était qu'à ses premiers balbutiements. Cependant,
elle diffère sensiblement des conseils des années 1918-20
en ce que la base élective de la Commune est exclusivement le
quartier, et jamais l'usine. Cela aboutit à une relative «
impureté » de classe, qui correspond bien au stade encore
limité du capitalisme parisien de 1871. Ce n'est qu'après
les restructurations mises en place au cours de la grande dépression
que le thème de la grève générale introduit
la production dans la contestation prolétarienne du pouvoir de
la bourgeoisie. Mais ce thème ne sera jamais mis en acte.
4) Le Communisme théorique dans la subordination
formelle
§ 17 – Le communisme théorique s'appuie
sur l'activité de crise du prolétariat pour projeter une
solution de la contradiction sociale qui corresponde aux modalités
de l'insubordination du prolétariat. Dans les conditions de la
subordination formelle, cette solution passe en premier lieu par la
sphère politique, puisque c'est là que se trouve l'arme
principale de la bourgeoisie pour contraindre le prolétariat
au surtravail. La dictature du prolétariat, certes, se présente
de façon différenciée entre le premier et le deuxième
cycle de la période, mais c'est toujours en dehors de la sphère
de la production proprement dite que le communisme théorique
se place d'abord pour résoudre la contradiciton sociale. Dans
le premier cycle, il s'agit de « conquérir la démocratie
» (Manifeste) car « la démocratie a pour
conséquence nécessaire la domination politique du prolétariat,
et la domination politique du prolétariat est la première
condition de toutes les mesures communistes » [3] Sur cette base,
il est frappant de constater que les 10 mesures proposées par
le Manifeste ne mentionnent jamais la durée du travail ni les
conditions de travail et renvoient, à terme, aux « producteurs
associés » comme à la forme sociale où les
classes seront abolies. La même problématique se retrouve
dans le deuxième cycle, après la Commune, mais cette fois
en mettent l'accent sur la transformation de l'Etat, au lieu de la conquête
de la démocratie. Cette dimension politique du programme prolétarien
montre bien comment le communisme est projeté à partir
de la réalité concrète de la subordination plus
qu'à partir de l'analyse abstraite de l'exploitation. Il ne s'agit
pas tant de supprimer le surtravail (au contraire, le programme prolétarien
est aussi un programme de développement des forces productives
qui implique le surtravail) que de supprimer la contrainte au surtravail
telle que la bourgeoisie l'exerce, dans des conditions historiques spécifiques.
Et l'argument selon lequel l'exploitation est supprimée par le
seul fait que les travailleurs sont associés et contrôlent
l'utilisation du surproduit suffit à poser que la contradiction
sociale est en effet résolue. Ce pseudo-dépassement de
la contrainte au surtravail instaure un règne de la liberté
qui est fondamentalement la liberté du travail, au sens de production
de surtravail sans contrainte.
DEUXIEME PERIODE : SUBORDINATION
REELLE
1) Définition
§ 18 – De même que pour la subordination
formelle, il faut définir la subordination réelle du prolétariat
au capital à un double niveau. D'une part le procès de
travail devient spécifiquement, réellement capitaliste.
Cela signifie que son contenu devient maintenant directement adapté
au but fondamental de la production capitaliste, qui n'est pas tant
de produire des marchandises que de valoriser le capital. Cette adaptation
se fait comme seconde dépossession du travailleur. Si les premiers
capitalistes avaient dépossédé les travailleurs
des conditions objectives de leur travail, à savoir les outils
et les matières premières, à présent la
dépossession porte sur ce qui leur restait dans cette première
période: leur qualification. L'accumulation du capital fixe transfère
progressivement le savoir-faire de l'ouvrier à la machine, et
la qualification qui reste à l'ouvrier est maintenant entièrement
subordonnée à ces machines, et doit s'adapter à
leur perfectionnement continu.
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§ 19 – D'autre part, le procès
d'ensemble du capital unifie maintenant complètement la société.
Les modes de production précapitalistes ont reflué à
un point qui suffit à interdire tout repli du travailleur en dehors
du rapport salarial. L'ensemble des branches de la production sociale
est maintenant contrôlé par le capital, ce qui détermine
la possibilité systématique de la production de plus-value
relative par application des méthodes de production capitalistes
à l'ensemble des marchandises formant le panier des subsistances
nécessaires à la reproduction de la force de travail. Les
modalités de la subordination du prolétariat se déclinent
alors de la façon suivante:
1. marché du travail: dès lors que la production/reproduction
de la force de travail devient une variable purement endogène du
capital, les institutions permettant de réguler le marché
du travail se mettent en place. Les syndicats sont à présent
légalisés, et bientôt considérés par
le patronat comme des partenaires nécessaires par exemple pour
l'établissement d'accords de branche et de conventions collectives.
La législation du travail se développe, et l'apparition
du Ministère du Travail signale l'accession de la reproduction
ouvrière au rang des préoccupations légitimes de
l'Etat. Les conditions particulières de la I° Guerre accélèrent
puissamment cette évolution amorcée dès le tournant
du siècle.
2. procès de travail: ainsi que nous l'avons dit,
la transformation du procès de travail a pour contenu la seconde
dépossession du travailleur. Taylor constate que « l'atelier
était en pratique conduit par les ouvriers, et non par les contremaitres
». Chef d'atelier, il constate que « la somme des connaissances
et de l'expérience des ouvriers ... était exactement dix
fois plus étendue que la sienne » [4]. Et il va s'employer
à briser cette base de pouvoir ouvrier dans la production. La discipline
du travail est maintenant organisée par le capital fixe, et non
plus seulement de façon policière. Non sans conflits d'ailleurs,
car l'absentéisme se développe alors de façon importante.
Par la suppression des temps mort qu'elle implique, la taylorisation du
travail est d'ailleurs une des façon d'extraire de la plus-value
absolue sur la base de la plus-value relative (de l'accumulation intensive
du capital). La taylorisation ouvre la voie au fordisme, qui en est l'achèvement
(voir paragraphe suivant).
3. reproduction immédiate: la hausse relative
des salaires et la baisse de la valeur des subsistances déterminent
une hausse de la consommation ouvrière. Mais surtout, c'est la
composition du panier des subsistances qui indique les modifications des
modalités de la subordination du prolétariat dans ce troisième
moment. Par exemple, l'accumulation intensive du capital s'accompagne
d'un important développement de l'urbanisation, et la consommation
ouvrière doit s'adapter à ce nouveau mode de vie (grands
ensembles, transports). Simultanément, l'intensification du travail
requiert, pour l'équilibre physique et psychique de la force de
travail, une consommation systématique de services médicaux
et de loisirs, etc...
C'est le nouvel équilibre entre ces trois moments que l'on appel
couramment le « compromis fordiste ».
2) Périodisation de la subordination réelle
§ 20 – La période commence avec la
sortie de la longue dépression de la fin du 19° siècle.
Elle se poursuit jusqu'à nos jours.
§ 21 – La période de la subordination
réelle se divise en deux cycles longs que sépare la II°
guerre mondiale. Le premier cycle est celui de la deuxième combinaison
des deux modes d'extraction de la plus-value. Le taylorisme, dont les
premières applications pratiques datent de 1899, marque la création
du travail spécifiquement capitaliste. Mais sa mise en place progressive
laisse encore la place à l'extraction de la plus-value absolue.
Mieux: elle la requiert. C'est entre autre pourquoi les fractions rivales
du capital continuent de s'affronter sur le terrain du colonialisme.
§ 22 – Les deux cycles se dinstinguent entre
eux par la différenciation du taylorisme et du fordisme. La taylorisation
du travail consiste en sa décomposition « scientifique »
en geste élémentaires réservés chacun à
un travailleur et permettant un gain de temps global. Le fordisme s'en
distingue par l'introduction de l'élément central qu'est
le convoyeur, qui permet de gagner encore du temps en imposant par la
machine un rythme déterminé et identique à chacune
des opérations élémentaires. La taylorisation du
travail apparait au tournant du siècle, tandis que la première
chaine de montage n'apparait qu'en 1913, pour ne se répandre vraiment
qu'après 1920 aux Etats-Unis, et après la deuxième
guerre mondiale en Europe. C'est que le passage du taylorisme au fordisme
suppose une fixation importante de capital dans la chaine de montage.
Elle suppose aussi que soit vaincue la résistance des travailleurs
à l'introduction des nouvelles méthodes de travail amenées
par la chaine de montage. C'est ici que se place la notion de «
compromis fordiste ». Ce compromis consiste en ce que les patrons,
et Ford lui-même en premier, durent très sensiblement augmenter
les salaires pour faire disparaitre l'absentéisme et le turn-over
que provoquèrent les nouvelles conditions de travail à la
chaine. En Europe, la I° guerre mondiale joua un rôle fondamental
dans la victoire du capital contre cette résistance. Non seulement
parce que les ouvriers qualifiés qui avaient résisté
à l'introduction des nouvelles méthodes furent envoyés
au front et remplacés par d'autres, plus dociles (notamment les
femmes), mais aussi à cause du contexte général d'union
sacrée qui prévalut en faveur de l'effort de guerre. |
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§ 23 – Mais ce n'est qu'au
cours de la dépression des années 1930 et de la II°
guerre que se mirent en place l'ensemble des éléments qui
constituent le compromis fordiste. Cette mise en place se fit en particulier
sous l'influence de conflit sociaux durs qui eurent lieu aux Etats-Unis
en 1933 et 1934, et qui aboutirent au volet social du New Deal
(Wagner Act). Par ce dernier, la durée légale du
travail est réduite, les syndicats sont définitivement légalisés
et autorisés à conclure des conventions collectives.
§ 24 – Dernier effet important de la crise
aux Etats-Unis, la ruine de l'agriculture engendre l'émergence
de l'agro-industrie, qui industrialise la production des subsistances
d'un bout à l'autre de la chaine alimentaire.
§ 25 – L'ensemble de ces éléments,
joint à la domination américaine sur le cycle mondial du
capital en 1945, fait qu'après 1945, une phase d'accumulation rapide
peut se développer sur la base de méthodes fordistes de
travail et d'un mécanisme de la plus-value relative qui joue à
fond, l'ensemble du panier des substances étant à présent
le produit de capitaux à accumulation intensive. Cette phase culmine
au tournant des années 1970, qui ouvre la dépression longue
que nous connaissons actuellement, et dont l'importance justifie que nous
lui consacrions des développements particuliers par ailleurs.
§ 26 – La deuxième cycle marque le
passage définitif à l'hégémonie américaine,
avec son accompagnement d'institutions mondiales comme le GATT, le FMI
ou la Banque Mondiale. Du point de vue des modalités de l'accumulation,
cela signifie, après 1945, la primauté absolue de la plus-value
relative comme mode de valorisation du capital. Cela se traduit notamment
par l'élimination du colonialisme et l'extension du modèle
américain de consommation ouvrière à l'ensemble des
pays développés. La prospérité des «
trente glorieuses » repose essentiellement sur l'exploitation des
réserves de productivité dans la branche II (produits de
consommation), et donc de plus-value relative. C'est dans ce contexte
que, en Europe et au Japon, le modèle fordiste donne toute son
efficacité. En France, on assiste enfin à une véritable
modernisation des modalités de la subordination. C'est la formalisation
définitive d'institutions comme la sécurité sociale,
la généralisation du travail à la chaine (automobile,
électro-ménager...), le développement des banlieues
et de leurs grands ensembles, pour ne citer que quelques exemples auxquels
il faut aussi ajouter la création de l'université moderne.
3) Crises de la subordination réelle
§ 27 – Durant la fin de la période
de la subordination formelle et le début de la subordination réelle,
le prolétariat des pays industrialisés a gagné la
citoyenneté politique et est sorti de la misère extrême
où l'avaient à l'origine maintenu les limites de la plus-value
absolue. Durant cette phase, ainsi que nous l'avons évoqué,
le grand problème du capital est de soumettre le prolétariat
aux méthodes et conditions du travail spécifiquement capitaliste
engendrées par le taylorisme et le fordisme. Dans ces conditions,
les crises de la période de la subordination réelle présentent
des caractéristiques nettement différentes de celle de la
période précédente.
§ 28 – Certes, les crises ont toujours la
même cause immédiate. Le ralentissement conjoncturel de l'accumulation
entraine un blocage de l'échange salarial et l'irreproductibilité
où ce blocage plonge le prolétariat entraine son soulèvement.
Mais cette fois, il y a une inversion dans le rapport entre les différents
moments de la subordination dans l'activité de crise. Dans les
crises de la période de la subordination réelle, et le plus
nettement dans celles du premier cycle long, le prolétariat s'affirme
sur la base de la citoyenneté acquise - quitte à la critiquer
dans sa forme bourgeoise, et cherche à s'opposer à la pression
capitaliste visant à tayloriser/fordiser le procès de travail.
Certes, l'activité de crise n'est pas une défense et illustration
de la participation prolétarienne à la vie démocratique.
Au contraire, celle-ci subit, dans le développement des conseils,
une critique radicale. Mais c'est au niveau de la production immédiate
que cette forme trouve toute sa vitalité. La forme conseil est
alors la forme qui permet de contester, au niveau de l'exploitation immédiate,
la deuxième dépossession que le capital a commencé
à mettre en place depuis le début de la période de
la subordination réelle - et que les syndicats et partis acceptent
à présent de cogérer. En s'efforçant de prendre
le contrôle des usines, le prolétariat essaie de reconquérir
ce que le travail vivant a déjà objectivement perdu, dans
l'accumulation du capital fixe, en qualification et en autonomie. C'est
au nom de cette perte, et pour l'approfondir (deuxième dépossession)
que le capital cherche à renforcer la subordination du travail
dans l'exploitation immédiate. Et c'est au nom de son droit, acquis
par la démocratie, à dire son mot dans la gestion de la
société que le prolétariat s'oppose à cette
offensive capitaliste et cherche à imposer son contrôle sur
la production. Ce faisant, il ne peut bien sûr que remettre en cause
simultanément les formes de la démocratie bourgeoise, et
ce d'autant plus qu'elles sont elles-mêmes inachevées dans
les zones de faiblesse capitaliste où éclatent les crises
(Allemagne, Italie, Espagne).
§ 29 – L'éclatement de la révolution
allemande est caractéristique à cet égard. Elle commence
par une mutinerie de marins-soldats, à Kiel, et ne devient proprement
crise révolutionnaire que lorsque le soulèvement se propage
à la classe ouvrière de Hambourg. Dans la mesure où
la vie militaire telle qu'elle a été inventée par
la guerre de 14-18 est une forme de la subordination du prolétariat
au capital [5] les mutineries sont une révolte proprement prolétarienne
contre la suspension des mécanismes démocratiques par les
conditions de la guerre. C'est ce qui donnera toute leur importance aux
« points de Hambourg », imposés par les conseils de
soldats pour refondre la discipline militaire en novembre 1918. La crise
commence ainsi par une activité citoyenne. Les mutineries sont
la forme prolétarienne du pacifisme. Mais c'est ensuite, au début
de 1919, lorsque la lutte se portera directement dans la sphère
de la production, que l'insurrection prendra toute sa force. Dans la Ruhr,
ou en Allemagne centrale, la lutte armée des conseils pour la socialisation
« par le bas » se centre alors directement dans la sphère
de la production et dépassent clairement le niveau de la contestation
politique.
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Lire sur cette
question :
Histoire des conseils ouvriers
en Allemagne (1919–1921)
H. Cane–Meier
Egalement pour les §§ 33 et 34. |
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§ 30 – En Italie, l'expérience
des conseils est poussée le plus loin en termes d'autogestion (Avril,
puis Septembre 1920), puisque l'occupation des usines ira jusqu'à
la remise en marche de la production dans certains cas. Il est probable
que cette reprise partielle du travail est à rapporter à
une accumulation relativement faible de capital fixe. Il en va de même,
toutes choses égales d'ailleurs, dans le cas de l'autogestion espagnole.
Mais dans tous les cas, ce qui est caractéristique de l'activité
de crise dans cette période, c'est la façon dont elle investit
la sphère de la production pour tenter de dépasser, par
l'autogestion, la deuxième dépossession, qui est en effet
le point fort de l'attaque du capital pour renforcer la subordination
du prolétariat et accroitre le taux de la plus-value.
§ 31 – La deuxième moitié du
deuxième cycle de la subordination réelle (depuis 1970)
faisant l'objet d'études plus approfondies par ailleurs [6], nous
n'évoquerons ici que la première moitié du deuxième
cycle (1945-70). Cette période comporte deux types principaux de
crises. Il y a d'une part les crises qui éclatent dans la partie
orientale du capitalisme mondial. Leur contenu est trop déterminé
par les conditions spécifiques de l'accumulation du capital dans
ces zones pour que nous puissions les traiter dans cette esquisse. Il
faudrait pour cela définir le cycle mondial du capital après-guerre
dans son unité, par delà la division est-ouest - et c'est
une question qui reste ouverte. L'autre type de crise est l'ensemble des
mouvements sociaux de la fin des années 60, et dont le Mai 68 français
est celui qui ressemble le plus à une crise type. Située
au point haut de deuxième cycle long de la subordination réelle,
la crise de Mai 68 est une forme de transition entre les crises type de
la période antérieure et ce qu'on peut anticiper des crises
à venir. Elle répète, sans trop y croire, la problématique
des conseils et des occupations d'usines, mais se distingue aussi par
ce qu'on a appelé à l'époque la contestation généralisée,
et qui constitue l'annonce d'une forme nouvelle de l'activité de
crise, de la même façon que la Commune - également
dans un point haut de cycle - annonçait les crises de la période
suivante.
§ 32 – Cette nouveauté, qui demandera
une étude approfondie, consiste dans le fait que les trois moments
de la subordination sont également l'objet de l'offensive capitaliste.
Les conditions de l'affirmation du prolétariat dans la crise s'en
trouvent profondément modifiées dans la mesure où
les bases de cette affirmation sont dès le départ contestées
par le capital et où le prolétariat n'a pas de légitimité
acquise lui permettant d'asseoir son offensive sur d'autres points de
la subordination. S'il est de plus en plus vrai que l'importance quantitative
et qualitative du travail dans la production immédiate interdit
toute affirmation sur cette base, il est par contre relativement nouveau
que la citoyenneté du prolétaire, sur le marché du
travail et dans sa reproduction immédiate, soit également
une coquille de plus en plus vide, dont même la critique ne permet
pas de développer bien loin l'affirmation de la classe. Qu'il s'agisse
des syndicats et du marchandage salarial ou des conditions de la reproduction
immédiate (niveau de vie, enseignement, sécurité
sociale, retraites... ), il est d'ores et déjà clair que
ce ne sont pas là des acquis qui permettrait un nouveau compromis,
comme le compromis fordiste qui s'est précisément fait par
la renonciation à une certaine position dans le procès de
travail, en échange de droits dans les autres moments de la subordination.
Au contraire, ces anciens acquis sont à présent remis en
cause, en même temps que se renforce l'offensive sur les lieux de
travail, de sorte que l'activité du prolétariat dans la
future ne pourra que remettre en cause, d'emblée, toutes les formes
de la socialisation capitaliste - ce dont la contestation généralisée
de Mai 68 était donc un avant-goût. Il en résulte
que l'activité de crise sera nécessairement brève
et destructrice. Préciser les caractéristiques de ce processus
critique est tout l'objet d'Hic Salta, et tout ce qui précède
n'est qu'une mise en perspective historique de la problématique
de cette recherche.
4) Le communisme théorique dans la subordination
réelle
§ 33 – On comprend, à partir de ce
qui précède, que deux éléments principaux
dominent le communisme théorique de la première moitié
de la période de la subordination réelle: la problématique
auto-gestionnaire et la critique de la politique, en particulier dans
sa forme démocratique/parlementaire. Par rapport à la période
de la subordination formelle, l'évolution est parfaitement lisible
dans la production théorique de la révolution allemande.
Tandis que le KPD essaie de sauver la problématique social-démocrate
définitivement compromise en posant qu'un parti politique ouvrier
pur et dur peut et doit, en fin de compte, accepter le parlementarisme,
le KAPD et plus encore l'AAUD ne voient que dans les organes de base de
la classe ouvrière, les conseils, le fondement de la réalisation
d'un programme prolétarien qui s'appuie directement sur les organes
de lutte pour libérer le travail des formes les plus extrêmes
de sa subordination et transformer dans le même mouvement le contenu
des autres moments de la subordination. Ce qui, dans la période
de la subordination formelle, était affirmation immédiate
du travail devient maintenant affirmation de la capacité gestionnaire
des travailleurs. Le modèle communiste des « producteurs
associés » sur un mode plus ou moins artisanal est maintenant
remplacé par une association gestionnaire d'usines entières,
formant la base d'une pyramide de conseil ou la démocratie directe
assure la liberté de chacun d'une façon qui revient en fin
de compte à l'intériorisation de la loi de la valeur.
§ 34 – C'est précisément cette
limite que le renouveau théorique impulsé par les crises
de la fin des années 60 rencontrera très vite, poussé
dans cette direction par le mouvement anti-travail des OS. Il en résultera
une critique systématique du programme prolétarien dans
toutes ses formes, et la formation d'une théorie communiste qui
pose comme sa base de recherche le principe que la révolution n'est
pas une transcroissance de l'affirmation du prolétariat dans la
crise, et a fortiori dans ses luttes quotidiennes. L'abolition du capital
est aussi l'auto-négation du prolétariat. Hic Salta.
Octobre 1997
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NOTES
[0] Le schémas dont il est question n'a pu être
transféré sur le site. Pour appuyer la périodisation
sur des repères tangibles facilement repérable, nous reprenons
la périodisation en cycles longs du mode de production capitaliste
effectuée par l'économiste soviétique Kondratieff.
Sans entrer dans le détail, rappelons que cette périodisation
repose sur les critères de mouvement long des prix, de rythme long
de la production et de volume du commerce international. A partir de quoi
il est possible de distinguer des ondes longues d'environ 50 ans, composées
de phases d'expansion longue et de dépression longue, d'une durée
respective d'environ 25 ans. Il faut noter, en ce qui concerne le critère
de la production, que les phases de dépression ne sont pas des
phases de recul comme c'est le cas dans la dépression des crises
courtes du cycle classique, mais des phases de croissance ralentie par
rapport aux phases de croissance qui les précèdent. Sur
cette question voir : Gilles, Paris 1996 : Crises et cycles économiques
; Rosier et Dockès, Paris 1983 : Rythmes économiques,
crises et changement social : une perspective historique et Rosier,
Paris 1987 : Les théories des crises économiques.
[1] On parle ici des crises sociales, caractérisées par
l’insurrection du prolétariat, et non pas simplement des
crises économiques qui, dans la plupart des cas, ne comportent
pas une telle insurrection.
[2] De façon schématique, la pénétration du
capital dans l'ensemble de l'économie se fait dans l'ordre suivant:
1) subordination formelle :
• premier cycle: production de biens de production pour le capital
et de biens de consommation pour l'exportation vers le précapitalisme
• deuxième cycle: agriculture
2) surbordination réelle :
• permier cycle: biens de consommation pour la force de travail
(hors IAA)
• deuxième cycle: toute production est production capitaliste,
y compris les IAA
[3] Engels, 1847, cité par Rubel, Pléiade I, p. 1582.
[4] Cité par Dockès et Rosier, op. cit., p. 137
n. 14.
[5] Elle a été opérationnelle pour casser la résistance
du prolétariat à l'introduction du fordisme (cf. Dockès
et Rosier, op. cit., p. 149-150)
[6] Cf. Hic Salta 98 : la Période actuelle et
« Postfordisme » ou communisme ? |
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