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Histoire
des Conseils Ouvriers en Allemagne
1919-1921
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H.
Canne-Meier
(1938) |
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Ce texte a été
publié pour la première fois en Hollande dans Radencommunismus
n°3 de 1938, organe du Groupe des Communistes Internationalistes
de Hollande (G.I.K). Son auteur avait assuré la traduction française
qui devait paraître dans la revue théorique Internationalisme,
n°45 daté de 1952, ultime numéro de la Collection Gauche
Communiste de France. Nous avons pour notre part utilisé la version
de la revue Jalons n°8 (Recherche étude marxistes
pour le combat révolutionnaire) Juillet 1985
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§ 1 — Quand
en automne 1918 s'écroula le front allemand, les soldats désertèrent
par milliers; mais les officiers de la flotte voulant livrer une dernière
bataille aux Anglais, les marins allemands crurent, à tort ou à
raison, que tous ils trouveraient la mort dans une telle entreprise, et
sur l'un des navires de combat ils refusèrent de servir. Le premier
pas étant ainsi fait, les marins ne pouvaient plus rebrousser chemin
et ils étaient obligés de généraliser leur
lutte, pour éviter que le vaisseau en mutinerie ne fut coulé.
Ils hissèrent donc le drapeau rouge, ce qui amena une insurrection
sur les autres vaisseaux.
§ 2 – Le geste libérateur était
accompli. Les événements se déterminaient rigoureusement
l'un l'autre. Les marins ne pouvant rester isolés à bord,
débarquèrent et marchèrent sur Hambourg.. Comment
seraient-ils accueillis par l'armée? Celle-ci ne fit aucune résistance
et les travailleurs de Hambourg les accueillirent avec enthousiasme. Par
centaines de milliers soldats et ouvriers se solidarisaient avec les marins.
Ceci devenait un point de départ possible pour une révolution
allemande
.
§ 3 – L'extraordinaire est que les ouvriers
des centres industriels et les soldats étendirent un vaste réseau
de Conseils Ouvriers et de Soldats sur toute l'Allemagne, bien que cette
forme d'organisation leur fut jusque–là inconnue. Ils étaient
privés par la censure militaire des expériences de la Révolution
Russe ; et aucun parti, aucune organisation n'avait jamais propagé
cette nouvelle forme de lutte.
1.
PRECURSEURS DES CONSEILS.
§ 4 — Les Conseils Ouvriers avaient eu pourtant
leurs antécédents. Déjà pendant la guerre
cette manière spontanée de lutter était en germe
dans les usines. Comme on le sait existent dans les syndicats allemands
des « hommes de confiance » chargés de menues fonctions,
et assurant un lien entre les syndiqués et leur direction. Les
« hommes de confiance » faisaient connaître à
la direction des Syndicats les divers griefs des ouvriers. Ces griefs,
durant la guerre, étaient nombreux (les principaux portaient sur
l'intensification du travail et l'augmentation des prix). Mais comme les
Syndicats avaient fait front unique avec le gouvernement impérial
pour gagner la guerre, les « hommes de confiance » frappaient
à la mauvaise porte. Un ouvrier « fâcheux » ne
tardait jamais à être appelé aux armées, et
vis-à-vis de la direction syndicale, il apparut vite meilleur de
n'avoir aucun grief.
§ 5 - Les « hommes de confiance » cessèrent
de conseiller la direction de leurs Syndicats, mais délibérèrent
secrètement dans les usines et devinrent ce qu'on peut considérer
comme des pôles d'attraction pour les aspirations de tous les travailleurs.
En 1917, brusquement, un flot de grèves sauvages déferla
sur le pays. En apparence, ces mouvements "spontanés"
n'étaient virtuellement pas organisés : mais ils étaient
précédés de discussions et d'accords communs entre
usines, au cours desquelles les « hommes de confiance » avaient
servi de lien.
§ 6 – Dans de tels mouvements les conceptions
particulières des ouvriers, social-démocrate, anarchiste,
libérale, religieuse, etc...devaient s'effacer devant la nécessité
du moment. La masse en tant que classe était obligée d'agir
sous sa propre direction, sur la base organisationnelle de l'usine, rejetant
toutes les organisations de différentes « couleurs ».
Dans les centres industriels importants les Conseils Ouvriers prenaient
le pouvoir à Berlin, à Hambourg, dans la Rhur et le centre
de l'Allemagne, en Saxe. Quel usage ont-ils fait de ce pouvoir ?
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2. FACILITE
DE LA VICTOIRE
§ 7 – Les résultats étaient
pauvres. Les masses n'avaient pas une conscience suffisante des relations
sociales. La cause de cette carence était à chercher dans
la facilité avec laquelle se formèrent les Conseils Ouvriers.
L'ancien régime n'était pas supprimé par une lutte
sévère, mais l'appareil de l'Etat avait perdu toute autorité
et s'écroulait de lui-même faute d'appui. La victoire était
trop facile, ce n'était virtuellement pas une victoire, mais plut6t
la situation faite au mouvement par le manque de résistance adverse
La paix, vœu de toute la population, suivait immédiatement
la « révolution ».
§ 8 – Importante différence d'avec
la Révolution Russe de 1917. En Russie, la lère Révolution,
en mars, balayait le régime tzariste, mais la guerre continuait
et le gouvernement Kérensky ne voulait pas d'une paix séparée.
La question restait brûlante dans son indécision ; la révolution
trouvait souvent dans ces obstacles des conditions déterminantes
pour son développement. Tandis qu'avec 1'effondrement de l'empire
allemand l'aspiration première de la population, c'est à
dire la paix, était comblée. L'Allemagne, transformée
en République, serait rebâtie sur des assises nouvelles.
Lesquelles?
§ 9 – Avant la guerre, il n'était pas
question de divergence sur ce point parmi les travailleurs. La politique
ouvrière, en pratique comme en théorie, était faîte
par le parti social-démocrate et les syndicats, reconnus et approuvés
par la majorité des travailleurs. Pour les tenants de ce mouvement
socialiste, épanoui dans la lutte pour la démocratie parlementaire
et les réformes sociales, l'Etat démocratique bourgeois
devait être le levier du Socialisme. Il suffisait, pour les ouvriers,
d'assurer une majorité socialiste dans le Parlement, et les ministres
socialistes prendraient soin de nationaliser la vie économique
pas à pas, pour réaliser ainsi le Socialisme. Il y avait
aussi, à la vérité, un courant révolutionnaire,
dont par exemple K.Liebknecht et R.Luxemburg étaient des représentants
connus, mais qui ne développèrent jamais des conceptions
propres destinées à combattre l'idée d'un Socialisme
d'Etat. On comprend par là qu'ils n'aient pas plus été
qu'une « opposition » au sein de la la social-démocratie
même.
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3. NOUVELLES
CONCEPTIONS
§ 10 – Pourtant de nouvelles conceptions virent
le jour pendant les grands mouvements de masses de 1918-1923. Elles n'étaient
pas le fait d'une « avant-garde », mais bien celui des masses
elles-mêmes. Sur le terrain pratique, l'activité indépendante
des ouvriers et des soldats avait reçu sa forme organisationnelle
: ces nouveaux organes agissaient dans un sens de classe. Et parce qu'il
y a une liaison étroite entre les formes de la lutte de classe
et les conceptions de l'avenir, il va sans dire que çà et
là les vieilles conceptions commençaient de s'ébranler.
De même que les ouvriers dirigeaient leur propre lutte, dans l'appareil
du Parti ou du Syndicat, de même en ce qui concerne la vie sociale,
l'idée prenait corps selon laquelle les masses devaient y exercer
une influence directe par le moyen des Conseils. Cela devait être
une « dictature du prolétariat » exécutée
non par un parti mais par l'unité de toute la population travailleuse.
Il est certain qu'une telle organisation sociale ne devait pas être
démocratique dans le sens bourgeois du mot, puisque la partie de
la population qui ne participait pas de la nouvelle organisation de la
vie sociale n'aurait pas voix dans les discussions ni dans les décisions.
§ 11 – Nous disions que les vieilles conceptions
commençaient à s'ébranler. Mais il devint vite évident
que les traditions parlementaires et syndicales étaient trop enracinées
dans les masses pour être extirpées à bref délai.
La bourgeoisie, le parti social-démocrate et les syndicats appelèrent
très habilement à ces traditions pour faire du tort à
la nouvelle conception d'organisation indépendante. Le parti social-démocrate,
en particulier, se félicitait en paroles de cette nouvelle façon
que les masses avaient eu de s'imposer dans la vie sociale. Il allait
jusqu'à exiger que cette forme de pouvoir directe soit approuvée
et conservée par une loi qui serait votée à bref
délai dans un nouveau Parlement. Mais en même temps qu'il
leur témoignait de « l'amour », l'ancien mouvement
ouvrier reprochait aux Conseils un manque total des usages démocratiques,
tout en les excusant partiellement par leur formation spontanée.
C'est–à–dire qu'il leur reprochait le fait que les
organisations de l'ancien mouvement ouvrier comme telles n'y étaient
pas représentées. Ces organisations considéraient
comme une exigence de la démocratie ouvrière que tous les
courants du mouvement ouvrier eussent leurs députés dans
les Conseils proportionnellement à leur importance respective.
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4. LE PIEGE
TENDU
§ 12 – La majorité des travailleurs
était incapable de réfuter cet argument. Dans ces conditions
les Conseils se composaient de représentants du parti social-démocrate,
des syndicats, des sociaux-démocrates de gauche, des communistes,
des coopératives de consommation ainsi que des délégués
d'usines. Il est évident que de tels Conseils n'étaient
plus les organes des équipes d'usines réunies, mais une
formation issue de l'ancien mouvement ouvrier œuvrant à la
réinstauration du capitalisme sur la base du Capitalisme d'Etat
démocratique.
§ 13 – C'était la ruine de la force
ouvrière. Les dirigeants des Conseils ne recevaient plus leurs
directives de la masse, mais de leurs différentes organisations.
Ils adjuraient les travailleurs d'assurer « l'ordre », et
proclamaient que « dans le désordre pas de socialisme ».
Dans de telles conditions, les Conseils perdirent rapidement toute signification
réelle pour la classe ouvrière, les institutions législatives
bourgeoises fonctionnèrent en se passant de l'avis des Conseils
: là était précisément le but de l'ancien
mouvement ouvrier
.
§ 14 – Malgré cette « révolution
échouée », on ne peut dire que la victoire des pouvoirs
conservateurs ait été simple. Cette nouvelle orientation
des esprits était tout de même assez accusée pour
que des centaines de milliers d'ouvriers luttent avec acharnement afin
de garder aux Conseils leur caractère de nouvelles unités
de classe. Il fallut cinq ans de gros efforts, et le massacre de 35.000
ouvriers révolutionnaires, pour que le mouvement des Conseils fut
définitivement battu par le front unique de la bourgeoisie, l'ancien
mouvement ouvrier et les gardes blanches des hobereaux prussiens.
5. COURANTS POLITIQUES
§ 15 – Dans cette mêlée se heurtaient
en général du côté ouvrier quatre courants
politiques:
I- Les Sociaux-démocrates voulaient nationaliser les grandes industries
pas à pas et par voies parlementaires. et tendaient à ne
conserver que les syndicats comme intermédiaires entre les travailleurs
et le capital d'Etat
.
2- Le courant Communiste, s'inspirant plus ou moins de l'exemple russe
exigeait une expropriation directe des capitaux par les masses. Il était
selon lui du devoir des ouvriers révolutionnaires de "conquérir"
les syndicats et les rendre révolutionnaires.
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3- Le courant Anarcho-syndicaliste s'opposait
à la conquête du pouvoir politique et à tout Etat.
Il fallait lutte pour l’élargissement des syndicats, jusqu'à
une ampleur telle qu'ils soient capables de reprendre à leur compte
la vie économique : tel était l'essentiel de leur pensée.
En 1920, le syndicaliste révolutionnaire connu R. Rocker écrivait
dans sa Déclaration des principes du syndicalisme révolutionnaire
que les syndicats ne sont pas à considérer comme des
produits passagers du capitalisme, mais comme les germes d'une organisation
socialiste ultérieure. Il sembla d'abord, en 1919, que la chance
de ce mouvement fut venue. Dès l'écroulement de l'Empire,
des masses révolutionnaires affluaient dans ces syndicats. Pour
l'année 1920, on comptait 200 à 300 000 adhérents.
4- Toutefois, les syndicalistes révolutionnaires virent avec étonnement
le mouvement syndical tomber en décomposition en 1920. Des masses
d'adhérents quittaient les syndicats pour une autre forme d'organisation,
mieux adaptée aux conditions de lutte: l'organisation révolutionnaire
d'usine. Chaque usine avait sa propre organisation, agissant indépendamment
des autres et qui même tout d'abord n'était pas reliée
aux autres. Chaque usine faisait figure de « République indépendante
» repliée sur elle-même.
§ 16 – Bien que des organismes d'usines fussent
une acquisition du mouvement de masses, il faut tout de même remarquer
qu'ils n'étaient que le fruit d'une révolution échouée
ou au moins une révolution stagnante. Il s'avéra vite impossible
aux ouvriers de conquérir le pouvoir économique et politique
par le moyen des Conseils, et qu'il y aurait tout d'abord à soutenir
une lutte difficile contre les forces qui s'opposaient aux Conseils. Ainsi
les ouvriers révolutionnaires commençaient à rassembler
leurs forces dans toutes les usines pour maintenir un pouvoir direct sur
la vie sociale. Par leur propagande, ils éveillaient les ouvriers,
les persuadaient de quitter les syndicats et d'adhérer à
l'organisation révolutionnaire d'usine, pour diriger eux-mêmes
leur propre lutte, et conquérir le pouvoir économique et
politique sur toute la société.
§ 17 – En apparence la classe ouvrière
faisait un grand pas en arrière sur le terrain du pouvoir organisé.
Tandis qu'auparavant le pouvoir des ouvriers était concentré
dans quelques puissantes organisations centrales, maintenant il se désagrégeait
en centaines de petites organisations, groupant quelques centaines ou
quelques milliers d'adhérents, selon l'importance de l'usine. Mais
en réalité il apparaissait que cette forme était
la seule où put se déployer un véritable pouvoir
ouvrier, de sorte que ces organisations étaient la terreur de la
bourgeoisie, de la social-démocratie et des syndicats.
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6. CONSOLIDATION
DES ORGANISATIONS D'USINE
§ 18 – Cependant cette séparation de
toutes ces organisations d'usine n'était pas une question de principe;
ces organisations étaient nées isolément. On tenta
de les rassembler dans une organisation générale afin d'opposer
un front serré à la bourgeoisie et à ses acolytes.
L'initiative partit de Hambourg, et en avril 1920, le premier rassemblement
pour toute l'Allemagne eut lieu secrètement à Hanovre. Il
y avait des délégués de Hambourg, Brême, Bremerhafen,
Hanovre, Berlin, l'Allemagne centrale, la Silésie et la Rhur. Malheureusement,
la police de la « République la plus démocratique
du monde » flairait ce Congrès et le dispersa. Elle venait
tout de même trop tard, car l'organisation générale
était déjà fondée, et les plus importants
de ses principes provisoires concernant l'organisation, l'action et la
politique, étaient arrêtés. Cette union se nommait
A.A.U.D (Allgemeine Arbeiter Union Deutschlands) ou Union Générale
des Travailleurs d'Allemagne.
§ 19 – Les principes prévoyaient la
lutte contre les syndicats et les Conseils d'usine légaux et le
refus du parlementarisme. L'indépendance et la mobilité
de chacune des organisations participantes étaient assurées
au maximum. Dès ce moment, il apparut impossible de rassembler
toutes les organisations d'usine existantes. Certaines préféraient
I'isolement, de autres se liaient aux syndicats révolutionnaires
et d'autres à l'internationale Syndicale Rouge (Moscou). Au total
la nouvelle forme d'organisation comptait environ un demi million d'adhérents.
Tout d'abord l'A.A.U.D ne rassembla que 80 000 travailleurs (avril 1920).
Sa croissance fut rapide, et à la fin de 1920 ce nombre passa à
300.000. Mais dès décembre 1920, des divergences politiques
provoquèrent une grande scission au sein de l'organisation et la
moitié des adhérents la quittait pour former une autre organisation
l'A.A.U.D.E (Nous reviendrons sur ces divergences dans la suite de notre
exposé). Après cette rupture l'A.A.U.D. ne compta plus que
200 000 adhérents au moment de son 4ème Congrès de
juin 1921.
7. LE PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (K.P.D.)
.
§ 20 – Avant d'examiner les diverses scissions
dans le mouvement des organisations d'usines, il est nécessaire
de parler du nouveau Parti Communiste (K.P.D.) fondé en novembre
1918, C'est-à-dire sitôt après l'effondrement de l'Empire.
Pendant la guerre, le parti social-démocrate resta fidèle
à la bourgeoisie allemande, à l'exception de quelques-uns
de ses membres, comme Luxemburg et Liebknecht. Ces derniers s'opposaient
à la guerre et faisaient propagande pour une insurrection socialiste
contre les massacreurs. Naturellement il s'agissait d'une opposition illégale,
animant quelques groupes, dont le « Spartacusbund », les «
Internationalistes » de Dresden et les « Radicaux de Gauche
» de Hambourg, pour citer les plus connus. Ces groupes, de l'école
social-démocrate, s'unifièrent en novembre 1918 en K.P.D.
s'orientant sur la Révolution Russe. Ce parti devint Immédiatement
lieu de rassemblement pour nombre d'ouvriers révolutionnaires,
qui exigeaient « Tout le pouvoir pour les Conseils Ouvriers ».
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§ 21 – Il
est important de remarquer que les fondateurs du K.P.D., vieux militants
de l'école social-démocrate, constituaient par « droit
de naissance » les cadres du parti. Mais les masses d'ouvriers qui
y affluèrent, et que préoccupaient en pratique de nouvelles
formes de lutte, se laissèrent influencer par mainte perception
désuète. Car le nom d'« organisation d'usine »
n'est qu'un mot, et peut se prononcer sans réflexion. De plus ce
mot est trompeur, dans la mesure où il incline à penser
qu'il ne s'agit que d'un problème uniquement organisationnel. En
réalité, il s'agit d'un ensemble tout différent de
conceptions sociales. Le mot « organisation d'usine » renferme
une révolution dans les conceptions de :
1) l'unité de la classe ouvrière
;
2) la tactique de lutte ;
3) la relation des masses et sa direction
;
4) la dictature du prolétariat;
5) la relation de l'Etat et de la Société
;
6) le communisme en tant que système
économico-polîtique.
§ 22 — Face à ces problèmes,
les ouvriers en lutte sentaient le besoin de nombreux renouvellements
idéologiques. En effet ces problèmes se posaient conséquemment
à leur lutte pratique, la nécessité se faisant jour
d'un renouvellement du prolétariat d'usine, renouvellement dont
l'idée sembla suspecte aux vieux militants des cadres syndicalistes
et parlementaristes grisonnants. Il va sans dire, d'ailleurs, que ces
renouvellements n'apparurent pas subitement comme objectifs d'un système
déjà achevé, ces idées naissantes côtoyaient
ou se mêlaient à des acquis du vieux monde idéologique.
Ainsi les travailleurs du K.P.D. ne s'opposaient pas de façon massive
et déterminée aux « internationalistes » de
la direction, mais ils étaient faibles et divisés sur bien
des questions.
8. LE PARLEMENTARISME
§ 23 – Dès la fondation du K.P.D, l'ensemble
des conceptions que nous comprenons sous l'expression d'« organisation
d'usine » y devint le sujet de discorde. Le gouvernement provisoire,
dirigé par le social-démocrate Ebert avait annoncé
des élections pour une Constituante. Le jeune K.P.D. devait-il
participer à ces élections en les combattant? Cette question
provoqua des heurts violents. La grande majorité des ouvriers exigeaient
qu'on se dresse contre les élections, au contraire de la direction
du Parti, Luxemburg et Liebknecht compris, qui avait décidé
d'y participer. Les discussions virent la défaite de la direction.
Il faut dire qu'à l'époque le KPD était un parti
antiparlementaire. Cet antiparlementarisme s'appuyait sur une conviction,
que la Constituante n'avait d'autre sens que de consolider, en lui donnant
une assise « légale », le pouvoir de la bourgeoisie.
Mais la situation donnait à réfléchir Conseils d'usine
et Conseils d'Ouvriers généraux surgissaient de toutes parts
dans les régions industrielles, et l'élément prolétarien
du K.P.D. tenait à montrer la différence de la démocratie
parlementaire et de la démocratie ouvrière par le mot d'ordre
« Tout le pouvoir aux Conseils Ouvriers».
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§ 24 – Mais
la direction du KPD voyait dans cet antiparlementarisme non un renouvellement,
mais une régression vers les conceptions syndicalistes et anarchistes
telles qu'elles se firent jour au début du capitalisme industriel.
En réalité l'antiparlementarisme du nouveau courant n'avait
rien à faire avec le « syndicalisme révolutionnaire
» et l'« anarchisme » et représentait même
virtuellement sa contradiction. Tandis que l'anti-parlementarisme des
libertaires s'appuyait sur le refus du pouvoir politique, et en particulier
de la dictature du prolétariat, le nouveau courant considérait
l'anti-parlementarisme comme une condition nécessaire à
la prise du pouvoir politique dans la société. Comme tel
il s'agissait d'un anti-parlementarisme « marxiste ».
9. LES SYNDICATS
§ 25 – La direction du KPD naturellement,
avait aussi, quant au problème des syndicats, une façon
de voir différente de celle du courant « organisation d'usine
», et cela donna lieu à des discussions, peu de temps après.
Nous savons que les propagandistes des Conseils mettaient en avant le
mot d'ordre « Quittez les syndicats- Adhérez aux Organisations
d'usine- Formez des Conseils Ouvriers ».
§ 26 – Mais la direction du KPD proclamait
« Adhérez aux syndicats ». Elle ne croyait pas, il
est vrai, « conquérir » les Centrales des syndicats,
mais elle croyait possible de « conquérir » la direction
dans quelques branches locales. Cette tactique ayant abouti, ces branches
devaient alors se détacher de la Centrale des Syndicats, et se
réunir en Centrale Syndicale Révolutionnaire. Là
encore la direction du KPD essuya une défaite. La plupart des membres
se retirèrent hostiles cette tactique syndicale qui était
en contradiction avec le mot d'ordre « Tout le pouvoir aux Conseils
Ouvriers ! »
10. LE CONGRES DE HEIDELBERG
§ 27 – Mais la direction, soutenue par la
Russie, avait décidé de maintenir ses conceptions, fut-ce
au prix de l'exclusion de la plupart des adhérents. Cette opération
se fit en 1919 au congrès de Heidelberg, de malheureuse et suspecte
mémoire. Cet exposé n'a guère de raisons pour retracer
les machinations organisationnelles qui rendirent possible « démocratiquement
» l'exclusion de 50% des adhérents. Du point de vue des roublards
politiques, ce fut sans doute un travail intelligent: Pour nous, cette
procédure a été la plus basse manœuvre du vieux
parti social-démocrate allemande. Seul le résultat nous
intéresse: ce fut l'exclusion des révolutionnaires qui permit
au KPD de mener sa politique réformiste russe, parlementariste
et syndicale, et par la suite, de s’unir avec les sociaux-démocrates
de gauche, les soi-disants « Indépendants ».
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11. LE K.A.P.D.
§ 28 – Quelque temps après, les exclus
formèrent un nouveau parti nommé KAPD (Kommunistiche
Arbeiter Partei Deutschlands) avec comme mots d'ordre : « Quittez
les syndicats–Tout le pouvoir aux Conseils ». Et il était
en relation étroite avec l'A.A.U.D. Dans les mouvements de masses
qui eurent lieu les années suivantes le K.A.P.D. fut une force
qui compta. On redoutait autant sa volonté et sa pratique d'actions
directes et violentes que sa critique des partis et des syndicats et de
la politique étrangère russe. Le journal du K.A.P.D. appartenait
à la meilleure littérature marxiste à cette époque
de décadence du mouvement ouvrier marxiste, et ceci bien qu'il
s'embarrassa de vieilles traditions.
12. LE K.A.P.D. ET LA DISCORDE AU SEIN DE
L'A.A.U.D.
§ 29 – Quittons maintenant les partis et revenons
au mouvement des « organisations d'usine ». Ce jeune mouvement
indiquait que d'importants changements idéologiques s'étaient
produits dans la conscience du monde ouvrier. Mais ces transformations
avaient eu des résultats variés, et différents courants
de pensée apparaissaient distinctement au sein de l'A.A.U.D. Tout
le monde s'accordait sur les points suivants :
1) la nouvelle organisation devait croître
jusqu'à compter quelques millions d'adhérents ;
2) la structure devait être conçue
de façon à éviter l'apparition possible d'une nouvelle
« clique de dirigeants ;
3) Cette organisation (AAUD) devait réaliser
la dictature du prolétariat.
Mais deux points provoquaient des antinomies
insurmontables :
a) la nécessité d'un parti
politique aux cotés de l'AAUD ;
b) la gestion de la vie économique
et sociale.
Au début, l'AAUD, n'ayant aucun
rapport avec le K.P.D., ces divergences n'avaient pas de portée
pratique. Mais dès la fondation du KAPD. le problème devint
urgent.
§ 30 – L'AAUD. coopéra très
étroitement avec le KAPD., et ceci contre la volonté de
la moitié de ses adhérents. Les adversaires du KAPD dénoncèrent
la formation d'une nouvelle « clique de dirigeants » et en
décembre '1920, ils quittèrent l'AAUD pour constituer une
organisation indépendante de tout parti politique, l'AAUD-E (Einheîte-organisation:
organisation unitaire) ce qui signifiait qu'on était contre la
séparation d'une partie du prolétariat dans une organisation
spéciale, dans un parti politique. On peut mesurer l'envergure
de la nouvelle organisation au nombre de ses adhérents, et à
ses publications. Elle comptait 212 000 membres en 1922, et se déclarait
déjà capable de gérer 6% des usines. Elle publiait
alors: Die Einheitsfront à Berlin, Der Weltkampf
en Saxe, Der Unionist à Hambourg, Die Revolution
en Saxe orientale, Die Aktion à Berlin. Die Aktion,
important hebdomadaire dirigé par M.Pfemfert, défendait
les points de vue de l'AAUD–E., bien qu'étant indépendant
de l'organisation.
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13. LES ARGUMENTS
§ 31 – Quels étaient les arguments
des deux courants en présence? Ceux de l'AAUD. sont mis bien en
évidence dans trois brochures de H. Gorter: Organisation des
Klassenkamps, Lettre ouverte au camarade Lénine,
Allgemeine Arbeiter Union. Dans la Lettre Ouverte il
déclare: « Parce que la Révolution s'avère
difficile dans l'Europe de l'ouest, et par conséquent très
lente, une longue période de transition se prépare, dans
laquelle les syndicats n'auront plus d'utilité et les Conseils
n'existeront pas encore. Durant cette période de transition, il
y aura lieu de lutter contre les syndicats, de les changer, de les remplacer
par de meilleures organisations. Ne craignez rien nous avons tout le temps
voulu », « Une fois de plus, cela n'arrivera pas parce que
nous autres de la gauche le voulons, mais parce que la Révolution
exige cette nouvelle organisation. Sans elle la Révolution ne peut
triompher ». Et dans « Organisation des Klassenkamps »
nous lisons ceci: « Une organisation groupant des millions et des
millions de communistes conscients est nécessaire. Sans elle, nous
ne pourrons vaincre. » Donc cette organisation destinée à
compter « des millions et des millions » de membres devait
se construire tout en luttant. Et une fois parvenue à embrasser
la plus grande partie des ouvriers, elle serait l'organe de la dictature
du prolétariat. Cette dictature soutenue par une telle majorité
aurait un véritable caractère de classe.
§ 32 – Toutefois dans l'AAUD. et le KAPD.,
on pensait que les organisations d'usine avaient avant tout autre but
celui de la lutte pratique, de la grève et de l'insurrection, et
malheureusement la force des travailleurs résidait beaucoup plus
dans leur volonté révolutionnaire que dans leur connaissance
de la vie sociale. Un travail d'enseignement soutenu était nécessaire.
Gorter déclare dans l'Organisation de la lutte des classes:
« La plupart des prolétaires sont dans l'ignorance. Ils ont
de faibles notions d'économie et de politique, ne savent pas grand
chose des événements nationaux et internationaux, de leur
connexion et de leur influence sur la révolution. Ils agissent
quand ils ne devraient pas, n'agissent pas quand ils devraient. Ils se
tromperont très souvent ». C'est pourquoi ce courant estimait
nécessaire que le révolutionnaire conscient s'organisait
de deux côtés la fois : dans le parti politique KAPD et dans
l'organisation d'usine AAUD. Voici comment Gorter essayait de donner une
idée de ce parti: « On pourrait dire: il est le cerveau du
prolétariat, son œil, son pilote. Mais ce n'est pas tout à
fait exact, car de cette façon le parti ne serait qu'une partie
d'un tout. Il ne l'est pas et ne veut pas l'être. En Europe occidentale
et en Amérique du Nord, il veut imbiber le prolétariat,
le pénétrer comme un levain, il tend à être
le prolétariat lui-même, à être la totalité.
Il veut devenir l'unité par sa jonction avec les organisations
d'usines et le prolétariat » (Organisation…,
p.16). On voit que les deux organismes se conjugueraient pour réaliser
la Révolution. Après la victoire ces deux organismes devraient
exercer de concert la dictature du prolétariat, se partageant le
pouvoir à égalité. « Il est évident
que l'organisation d'usine ne peut triompher d'elle-même. Le parti
à lui seul ne le peut pas non plus. Mais les deux ensemble le peuvent.
Les organisations d'usine et le parti, c'est le prolétariat....
Le parti détiendra-t-il la plus grande part du pouvoir, ou bien
les organisations d'usine seront-elles devenues si solides que la suprématie
leur revienne ? Nous ne le savons pas. Cela dépend du cours de
la Révolution. » (Organisation…, p98).
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14. LES ARGUMENTS
DE L'A.A.U.D.–E.
§ 33 – Selon les adversaires du parti politique
séparé des organisations d'usine, le AAUD–E voulait
bâtir une grande organisation pour la lutte pratique directe et
pour la gestion future de la vie économique. Le caractère
en serait économico-politique. A cet égard, cette conception
différait du vieux « syndicalisme révolutionnaire
» qui s'affirmait hostile au pouvoir politique et à la dictature
du prolétariat. Pourquoi une organisation politique séparée
Il est vrai que le prolétariat est faible et ignorant, et qu'un
enseignement continu est nécessaire.
§ 34 – Mais cela n'est-il pas possible dans
les organisations d'usine puisque la liberté de parole y est assurée.
L'opinion que le parti est le « cerveau » ou le « pilote
» du prolétariat nous amène à envisager la
mise en tutelle du prolétariat, à provoquer une dictature
sur le prolétariat par une nouvelle clique de dirigeants. C'est
pourquoi le parti séparé est plus un frein qu'un stimulant
pour le développement de la classe ouvrière. Quand le prolétariat
est trop faible ou trop aveugle lors d'une résolution à
prendre pour la lutte, ces défauts ne seront pas supprimés
par une décision de parti. Personne ne peut reprendre la tache
du prolétariat, et il doit lui-même surmonter ses propres
défauts. La double organisation est une conception désuète
héritière de la vieille tradition: parti politique et syndicat.
Qui avait raison? Tels étaient donc les deux courants issus du
développement de la lutte de classe au sein du mouvement d'«
organisation d'usine ». Qui avait raison? Se trompait-on des deux
côtés? En d'autres termes, en quoi cette épreuve a-t-elle
enrichi notre connaissance de la lutte pour le pouvoir ouvrier?
15. LE MECOMPTE
§ 35 – Avec 25 ans de recul, nous pouvons
voir que l'AAUD et l'AAUD–E. se sont trompé également.
On avait cru que la soudaine croissance des organisations d'usine en 1919
et en 1920 continuerait à peu près à la même
cadence au cours de la lutte. On avait cru que les organisations d'usine
deviendraient un grand mouvement de masse, groupant des « millions
et des millions de communistes conscients », qui contrebalanceraient
le pouvoir des syndicats capitalistes. Partant de la supposition juste
que le prolétariat ne peut lutter et triompher que comme classe
organisée, on croyait que les travailleurs élaboreraient
chemin faisant une nouvelle et toujours croissante organisation permanente.
C'est à la croissance de l'AAUD. et de l'AAUD–E. qu'on pouvait
mesurer le développement de la combativité et de la conscience
de classe.
§ 36 – Une lutte acharnée avait lieu
en Allemagne, et celle-ci devait aboutir au fascisme en 1933, mais le
AAUD, le AAUD–E, et le KAPD se repliaient de plus en plus sur eux-mêmes
malgré la lutte. A la fin il ne restait plus que quelques centaines
d'adhérents, vestiges des grandes organisations d'usine d'antan,
ce qui signifiait quelque noyaux çà et là sur un
total de 20 millions de prolétaires. Les organisations d'usine
n'étaient plus des organisations «générales»
des travailleurs, mais des noyaux de communistes de Conseils conscients,
et de cette façon 1'AAUD. et l'AAUD–E. même revêtaient
le caractère d'un parti politique. L'organisation de « millions
et de millions» de travailleurs s'était avérée
illusoire.
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16. LES FONCTIONS
§ 37 – Est-ce spécialement le petit
nombre d'adhérents qui transforme les organisations d'usine en
un parti politique. Non. C'était un changement de fonction. Quoique
les organisations d'usine n'eussent jamais pour tâche de proclamer
une grève, de négocier avec les entrepreneurs, de poser
des revendications (c'était l'affaire des grévistes), 1'AAUD
et l'AAUD–E étaient des organisations de lutte pratique.
Ils excitaient la combativité des ouvriers, et dans ce sens avaient
une tâche de propagande. Mais quand une grève était
éclatée, les organisations d'usine s'occupaient en grande
partie de l'organisation de la grève. La presse de 1'organisation
était la presse de la grève, les rassemblements de grévistes
étaient organisés par elles, les orateurs étaient
souvent les propagandistes de l'AAUD. et de l'AAUD–E. Mais des pourparlers
avec les entrepreneurs revenaient au Comité des grévistes,
dans lesquels étaient en général des adhérents
de l'AAUD et de l'AAUD–E. Dans le Comité, ils ne représentaient
pas leur organisation, mais les grévistes qui les avaient élus,
et devant qui ils étaient responsables.
§ 38 – Le parti politique KAPD avait une autre
fonction. Sa tâche consistait surtout en propagande, en analyse
économique et politique. Aux moments d'élection, il faisait
une propagande antiparlementaire, et des événements politiques
donaient lieu à des meetings pour dénoncer la politique
bourgeoise des différents partis. Et parce que les sociaux-démocrates
et les communistes officiels avaient une grande influence en Allemagne,
la critique sur le KPD et la Russie prenait une grande place dans l'activité.
17. CHANGEMENT DE FONCTION
§ 39 – Mais la tache pratique de l'AAUD. et
de l'AAUD–E était accomplie dès la défaite
définitive de la classe ouvrière dans l'insurrection de
1920 en Allemagne centrale. Cette défaite était aussi celle
des organisations qui ne pouvaient guère vivre qu'en tant qu'organes
de mouvements indépendants, c'est à dire l'AAUD et l' AAUD–E.
Dans de telles circonstances, le travail des organisations d'usine était
réduit à la propagande et l'analyse, comme celui du parti
politique. La plupart des adhérents, découragés par
l'absence de perspective révolutionnaire, quittait l'organisation,
mais les adhérents se réunissaient selon l'arrondissement
de leur domicile ainsi qu'il se pratique dans les partis. Il n'y avait
plus grande différence entre le KAPD, l'AAUD et l'AAUD-E. Ils formaient
pratiquement trois partis politiques de même couleur: c'était
à déplorer pour l'AAUD-E qui estimait le parti politique
superflu et fatal.
18. FUSION
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§ 40 – Trois
partis politiques de la même couleur, certainement deux de trop.
Et en décembre 1931, les conclusions tirées de la situation
déterminèrent l'AAUD à se détacher du KAPD
et à fusionner avec l'AAUD-E, ce qui signifiait la mort certaine
du KAPD. La nouvelle organisation s'appelait K.A.U.D. (Kommunistiche
Arbeiter Union Deutschlands) exprimant ainsi l'idée que la
nouvelle organisation n'était pas une organisation « générale
»pour tous les travailleurs de volonté révolutionnaire,
mais groupait les travailleurs communistes conscients.
19. LA CLASSE ORGANISEE
§ 41 – Dans ce nouveau KAUD. s'exprimait a
aussi un lent changement dans les principes des organisations. Ce changement
avait un sens ; il faut se souvenir de ce que signifie la « classe
organisée ». L'AAUD et l'AAUD-E avaient cru tout d'abord
que c'étaient eux qui organiseraient la classe ouvrière,
que des milliers d'ouvriers adhéreraient à leurs organisations.
C'est au fond la même conception que celle des vieux syndicalistes
quand tous les ouvriers sont adhérents à leurs syndicats,
la classe ouvrière est organisée. Ainsi en allait-il pour
l'organisation d'usine. Une vieille tradition s'y perpétuait, celle
de la « classe organisée » – Même après
1928 la lutte des classes fut importante, mais les mouvements étaient
surtout inspirés et dirigés par le KPD et les « syndicats
rouges » de Moscou. Et bien qu'il y eut aussi des grèves
indépendantes de leurs organisations, les travailleurs ne voulaient
plus lutter à outrance comme dans les années 1923. La combativité
révolutionnaire était épuisée et on n'avait
plus besoin du secours d'organismes tels que l'AAUD et I’AAUD-E.
§ 42 – Durant les années où
les organisations d'usine perdirent de plus en plus de leur influence
sur les grèves et où les syndicats rouges et le KPD trompèrent
les ouvriers, l'AAUD et l'AAUD-E firent propagande pour que les ouvriers
eux-mêmes organisent leur lutte en « Comité d'Action
»et en créant un lien entre ces comités. C'est ainsi
que les travailleurs purent aussi agir en tant que « classe organisée
», bien que ce fut sans adhérer à l'AAUD ni à
l’AAUD-E. Autrement dit, la lutte de « classe organisée
» ne dépendait plus d'une organisation permanente, bâtie
avant la lutte. Dans cette nouvelle conception, la « classe organisée
», était la classe luttant sous sa propre direction.
§ 43 — Ce changement de conception avait des
conséquences sur maint problème: la dictature du prolétariat
par exemple. Parce que la « classe organise » était
autre chose que l'AAUD ou l’AAUD-E, ceux-ci ne pouvaient plus être
considérés comme organes de la dictature du prolétariat.
Quant au problème posé au début du mouvement par
les Conseils Ouvriers, à savoir qui du KAPD ou de l'AAUD aurait
la majorité du pouvoir, il n'en était plus question. Aucun
des deux n'exercerait la dictature, mais celle-ci serait entre les mains
de la classe luttant, qui assumerait toutes les fonctions de la lutte.
La tache du nouveau KAUD. se réduisait à une propagande
communiste clarifiante, poussant la classe ouvrière à la
lutte tout en lui montrant ses forces et ses faiblesses.
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20. LA SOCIETE
COMMUNISTE ET LES ORGANISATIONS D'USINE
§ 44 – Ce changement s'accompagnait aussi
d'une révision des conceptions de la société communiste.
Nous avons déjà signalé que les masses se sont déjà
orientées vers le capitalisme d'Etat. L'Etat sera le levier du
socialisme par les nationalisations, l'économie dirigée
et les réformes sociales, tandis que le parlementarisme et les
syndicats seront les moyens de lutte : les ouvriers ne luttant guère
comme classe indépendante, et confient la gestion et la direction
de la lutte de classes à des chefs parlementaires et syndicalistes.
Dans ces conditions, il va sans dire que les ouvriers voient dans le parti
et les syndicats des collaborateurs de l'Etat et que ces organismes auront
la direction et la gestion de la société communiste future.
§ 45 – Au début, cette tradition avait
passé dans l'AAUD, le KAPD. et l'AAUD-E. Tous trois souhaitaient
une organisation groupant des « millions et des millions »
d'adhérents pour exécuter la dictature du prolétariat
politiquement et économiquement. Nous avons déjà
vu que l’AAUD, en 23, se déclarait capable de reprendre la
gestion de 6% des usines. Mais ces conceptions chancelaient. Nous savons
que les centaines d'organisations d'usine coordonnées dans l'AAUD
et l’AAUD-E, réclamaient le maximum d'indépendance
quant aux décisions et faisaient de leur mieux pour éviter
la formation d'une « nouvelle clique de dirigeants ». Mais
serait-il possible de « garder cette indépendance dans la
vie sociale communiste »? La vie économique est profondément
spécialisée et toutes les usines sont interdépendantes.
Comment serait-il possible de gérer la vie économique si
le droit de disposition des moyens de production et la distribution de
la richesse sociale ne reposait pas dans quelques nœuds centraux?
L'Etat en tant que producteur et distributeur serait-il indispensable?
§ 46 – C'est l'unedes contradiction entre
les vieilles conceptions sur la société communiste et la
nouvelle forme de lutte. On redoutait la centralisation économique
comme une « bête noir », mais on ne savait comment s'en
garder. La discussion portait sur la nécessité plus ou moins
grande de fédéralisme ou de centralisme. La tendance au
fédéralisme était plus forte dans l'AAUD-E. Le KAPD
et l'AAUD tendaient au centralisme. En 1923, le KAPD publie une brochure
intitulée Das Werden einer neuen Gesellschaft (Le
devenir d'une nouvelle société) d'où il ressortait
que le Communisme devait être centralisé, « le plus
centralisé serait le mieux. »
§ 47 – Aussi longtemps qu'on était
encore prisonnier de vieilles conceptions de « la classe organisée
», cette contradiction ne pouvait être résolue. D'une
part, on s'accommodait de vieilles conceptions du syndicalisme révolutionnaire,
« reprise des usine » par les syndicats. D'autre part, on
pensait comme les Bolchéviks que l'appareil central règle
le processus de production et répartit le « revenu national
» entre les ouvriers.
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§ 48 – Toutefois,
une discussion au sujet de la société communiste sur la
base du « centralisme » ou du « fédéralisme
» est absolument stérile. Ces problèmes sont des problèmes
d'organisation, alors que la société communiste est d'abord
un problème économique. Au capitalisme doit succéder
un autre système économique où les moyens de production,
les denrées, la force de travail des ouvriers ne revêtent
pas la forme de valeur et où l'exploitation de la population au
bénéfice d'un groupe de profiteurs n'aura plus lieu. Toute
discussion sur « fédéralisme » ou «
centralisme » n'a aucun sens quand on n'a pas d'abord montré
la base économique de ce centralisme ou de ce fédéralisme.
Donc les formes d'organisation de l'économie ne sont pas arbitraires,
mais elles sont déterminées par les principes mêmes
de cette économie. C'est pourquoi il est insuffisant de présenter
le communisme comme un système négatif – pas d'argent,
pas de capital, pas de marché -, mais nous devons le connaître
en tant que système positif. Il faut savoir quelles lois économiques
succéderont à celles du capitalisme. Et quand nous les aurons
trouvées, sans doute que le problème « capitalisme/fédéralisme
» apparaîtra comme un faux problème.
21. LES PRINCIPES DE BASE DU COMMUNISME
§ 49 – Cette investigation ne pouvait commencer
qu'après que l'AAUD et l'AAUD-E. se fussent libérées
des vieilles traditions de « la classe organisée »
et aient compris que la classe ouvrière doit trouver son unité
de lutte sans bâtir une organisation permanente. L'AAUD publia en
1930 un livre intitulé : Les principes de base de la production
et de la répartition communistes (Grundprincipien Kommunisticher
produktion und Verteilung), qui représentait une introduction
à ce problème.
§ 50 — Les Principes de base…
n'ont pas pour but un « plan » quelconque, ne montrent pas
comment la société peut être construite « plus
belle » ou « plus équitable ». Elles ne parlent
que des problèmes d'organisation de l'économie communiste,
mais ils réduisent la pratique de la lutte de classe et la gestion
sociale à une unité organique en tant que nouvelle conception
de la société. Les assises sont l'expression économique
de ce qui va se consommer politiquement dans les mouvements de masses
indépendants. Quand les Conseils seront venus au pouvoir, et parce
qu'ils auront appris à gérer leur lutte eux-mêmes
dans un effort continuel, ils ne pourront que corroborer leur pouvoir,
en préconisant de nouvelles lois économiques, où
la mesure du temps de travail se ra le pivot de toute production et répartition.
C'est la tâche des travailleurs eux-mêmes de gérer
toutes les branches de travail en calculant le temps de travail entre
elles. Les classes montrent le caractère des nouvelles relations
du droit économique et ainsi s'accomplit une unité de conception
entre la nouvelle forme de lutte et l'organisation de la société
future. Comme telles–ci , elles sont le fruit des mouvements de
masse d'après 1917.
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22.
L'ECONOMIE
COMMUNISTE
§ 51 – Les principes de base…
contiennent les chapitres suivants: (2ème édition hollandaise
1935) :
1) Les points de départ
de la production et de la répartition ;
2) La révision
social-démocrate du marxisme ;
3) L'étalon
de mesure dans le Communisme ;
4) Progrès
dans la façon de poser les problèmes ;
5) Le Communisme libertaire
;
6) La production communiste
;
7) L'heure moyenne
sociale en tant que base de la production ;
8) L'heure moyenne
sociale en tant que base de la répartition ;
9) Les « services
publics » ;
10) La comptabilité
en tant que miroir de la vie économique ;
11) La suppression
du marché ;
12) L'expansion de
la production ;
13) Le contrôle
de la vie économique ;
14) le Communisme
dans l'agriculture ;
15) La dictature du
prolétariat ;
16) Conclusion.
.
§ 52 – Tous les problèmes sont examinés
du point de vue du travailleur exploité. Pour lui le coeur du problème
n'est pas la suppression de la propriété privée mais
celle de l'exploitation. La suppression de la propriété
privée n'est qu'une lapalissade, et n'est rien de plus qu'une condition
absolument nécessaire à la suppression de l'exploitation.
Mais comme nous le savons depuis, cette abolition ne coïncide pas
nécessairement avec celle de l'exploitation, et nous sommes amenés
à examiner les problèmes avec plus d'exactitude. Le mouvement
anarchiste a compris cette insuffisance, beaucoup plus que le mouvement
marxiste, et il a mis en avant ce mot d'ordre fondamental dans l'agitation
: « Suppression du travail salarié ». Le gouvernement
est censé pratiquer l'« économie en nature »,
c'est–à–dire que l'argent n'a plus de valeur. Le logement,
les aliments, l'eau, le courant électrique, etc. tout est gratuit.
Seule une part de 15% du salaire est allouée en argent, destinée
aux achats de marché noir, pour les marchandises que le gouvernement
ne peut distribuer.
§ 53 – Le salaire ainsi supprimé, cela
ne signifie pas l'abolition de l'exploitation ni la liberté sociale.
Au contraire, les travailleurs dépendent de plus en plus de l'appareil
bureaucratique, au fur et à mesure que l' économie en nature
se développe, c'est à dire que les salaires sont abolis.
Le droit des travailleurs sur les produits sociaux, dans cette forme de
capitalisme attachée au problème du salariat, n'est pas
acquis. Tout y est confié à l'habileté et à
la bonne volonté des bureaucrates c'est–à–dire:
les travailleurs sont plus sûrement encore prisonnier de l'Etat.
§ 54 – La réalité nous a donc
appris: qu'il est possible de supprimer la propriété privée
sans abolir l'exploitation, qu'il est possible de supprimer le salariat
sans abolir l'exploitation. C'est pourquoi le problème de la révolution
prolétarienne se pose pour l'exploité comme suit : Quelles
sont les conditions économiques qui permettent d'abolir l'exploitation?
Quelles sont les conditions économiques qui évitent que
le pouvoir conquis ne se perde peu à peu dans une contre-révolution?
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§ 55
– En lisant les Principes de base… on ne
peut dire s'il s'agit d'un livre politique ou économique. Il est
vrai que les problèmes sont traités économiquement,
mais le sens réel du livre se trouve dans la position d'un grand
problème politique : « comment la classe ouvrière
peut-elle maintenir le pouvoir conquis dans une révolution prolétarienne
». Le livre est une réponse « économique »
à ce problème politique. On y voit l'économie en
tant qu'arme de la Révolution. C'est pourquoi il ne s'agit pas
d'un communisme après un développement de cent ou mille
ans, mais des mesures nécessaires sitôt que les ouvriers
auront pris le pouvoir dans les usines et dans toute la société.
Mesures à prendre non par quelque parti ou organisation mais par
la classe ouvrière qui doit les exécuter. Le communisme
n'est pas l'affaire d'un parti, mais de toute la classe ouvrière,
délibérant et agissant dans et par les Conseils.
23. LE PRODUCTEUR ET LA RICHESSE SOCIALE
§ 56 – Un des grands problèmes de la
Révolution, c'est de constituer une nouvelle relation entre le
producteur et la richesse sociale, relation dominée par le salariat
en régime capitaliste. Ce salariat contient une contradiction entre
le travail livré à la société et celui reçu
de la société par le moyen du salaire. Par exemple : sur
50 heures de travail fournies à la société, nous
ne recevons pas plus de 20 heures de travail sous forme d'aliments, etc.
Cette différence est nommée sur-travail, et consiste en
travail non-payé. Les richesses sociales produites dans le temps
non-payé sont nommées sur-produit et la valeur incorporée
dans ce sur-travail est dite plus-value.
§ 57 – Il ne faut pas reprocher ce surproduit,
ce sur-travail, au système capitaliste. Toute activité spécialisée
a besoin de ce sur-produit parce que dans l'ensemble des travailleurs
effectuant un travail nécessaire et utile, certains ne produisent
pas de denrées. Leurs aliments, etc. sont produits par d'autres
travailleurs (de même que pour le service sanitaire, l'entretien
des invalides et des vieux, les organes administratifs) mais il faut reprocher
au capitalisme d'opprimer la classe ouvrière par la manière
dont le sur-produit se forme.
§ 58 – Le surproduit est engendré par
la rentabilité du capital. Le travailleur ne reçoit qu'un
salaire lui suffisant à peine pour vivre, indépendamment
ou presque de la productivité sociale. Il sait qu'il a donné
50 heures de travail, mais ne sait pas combien d'heures lui reviennent
dans son salaire. Il ignore le montant de son sur-travail. Mais nous savons
de quelle façon la classe possédante consomme ce sur-produit
: mis à part les « services sociaux » qui s'y alimentent,
ce sont les usines qui s'en agrandissent, les exploiteurs qui en vivent,
l'administration la police et l'armée qui sont entretenues. |
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§ 59 – Dans cette discussion, deux caractères
de ce sur-produit nous intéressent particulièrement. D'abord
c'est que la classe ouvrière n'a pas à décider, ou
à peu près pas, de l'utilisation du produit de son travail
non payé. Ensuite, que nous ne pouvons pas évaluer l'importance
de ce sur-travail. Nous recevons notre salaire et ne pouvons rien sur
la production et la répartition de la richesse sociale. La classe
possédante est maîtresse du processus de travail, y compris
le sur-travail, elle nous fait chômer quand elle l'estime nécessaire
à ses intérêts, nous fait matraquer par sa police
ou massacrer dans ses guerres. Cette indépendance, la bourgeoisie
la trouve dans la libre disposition du travail, du sur-travail, du sur-produit.
Cela nous rend impuissants dans la société, cela fait de
nous une classe opprimée.
§ 60 – Cette analyse nous révèle
que l'oppression est égale quand cette disposition du sur-travail
revient au capitalisme privé ou à 1'Etat. On entend souvent
parler de l'abolition de l'exploitation des travailleurs en Russie, vu
l'absence de capital privé, et parce que tout le sur-produit est
à la disposition de 1'Etat qui le répartit dans la société
en promulguant des lois sociales et en créant de nouvelles usines.
§ 61 – Suivons ces arguments, c'est–à–dire
ne nous attachons pas au fait que la classe régnante, la bureaucratie,
chargée de la répartition du produit social, s'enrichit
par des salaires exorbitants, qu'elle se procure une place privilégiée
par les lois de l'enseignement, et que les lois de succession lui garantissent
les richesses accumulées "pour sa famille". Acceptons
même de dire que cet appareil n'exploite pas la population.
§ 62 – Mais en Russie la bureaucratie est
maîtresse du processus de travail, y compris le sur-travail, elle
dicte, par la voix des syndicats d'Etat les conditions de travail, comme
on le voit faire dans l'Ouest. La fonction de la bureaucratie est identique
à celle de la bourgeoisie qui dirige le régime capitaliste
privé. Si la bureaucratie n'exploitait pas la population, cela
ne saurait venir que de sa « bonne volonté », de ce
qu'elle refuse l'occasion qu'elle en a. Ainsi le développement
de la société ne serait plus dé terminé par
des nécessités économiques, mais dépendra
des « bons » ou des « mauvais » dirigeants. Les
rapports des travailleurs avec la richesse sociale ne seront qu'arbitraires
et le salaire ne sera plus basé sur la « valeur de la force
de travail » comme dans le capitalisme privé. Mais alors
rien ne garantit aussi au travailleur que les « bons » dirigeants
le resteront.
§ 63 – En conclusion, l'abolition du salaire
n'est pas la condition nécessaire et suffisante pour que les travailleurs
reçoivent une plus grande part du produit social. Certainement
cette part peut augmenter. Mais une véritable abolition du salaire
sous toutes ses formes a un tout autre caractère : sans cette abolition,
la classe ouvrière ne peut maintenir son pouvoir. Cette révolution
qui ne supprime pas immédiatement le salaire doit nécessairement
dégénérer. Cette révolution « trahie
» mène à un Etat totalitaire capitaliste
§ 64 – Il y a une autre conclusion à
tirer. Une des première taches d'un groupe révolutionnaire
en ce moment est de rechercher le moyen de corroborer économiquement
le pouvoir conquis politiquement. Le temps est passé ou il suffisait
d'exiger la suppression de la propriété privée des
moyens de production. Il est aussi nettement insuffisant de réclamer
l'abolition du salaire. Cette exigence n'a pas plus de consistance qu'une
bulle de savon si l'on ne sait jeter les bases d'une économie sans
salariat. Un groupe révolutionnaire qui ne sait pas élucider
ces questions essentielles ne signifie pas grand chose, parce qu'il ne
se pénètre guère de l'image d'un nouveau monde
.
§ 65 – les Principes de base de la production
et de la répartition communiste nous fait voir l'heure de
travail sociale comme pivot de toute l'économie, de même
pour la production que pour la consommation individuelle. Nous y trouvons
en somme un développement plus précis des principes concis
de Marx et Engels, tels qu'ils nous les ont laissés dans les Randglosen
(Critique du Programme de Gotha) et l'Anti-Duhring.
Le mérite des Principes de base… a été
de donner une forme pratique à la notion générale
d'heure de travail sociale, et cela n'est devenu possible qu'après
les mouvements de masse de 1917-1923. Voici quelques extraits de Marx
et Engels relatifs à ce problème :
§ 66 – « La société n'a
qu'à calculer combien d'heures de travail sont incorporées
dans une machine à vapeur, dans un hectolitre de froment de la
dernière récolte, dans cent mètres carrés
d'étoffe d'une qualité déterminée. Il ne saurait
donc lui venir à l'esprit d'exprimer en outre les quantités
de travail déposées dans les produits et qu' elle connaît
d'une manière directe et absolue en une mesure seulement relative,
flottante, inadéquate, naguère indispensable comme pis-aller,
en un tiers produit, au lieu de le faire en ce qui est leur mesure naturelle,
adéquate et absolue, le Temps. » (Anti-Duhring,
t. III, éd. Molitor, p. 9.)
§ 67 – « Si nous prenons tout d'abord
le mot de “revenu du travail” dans le sens de produit du travail,
alors le revenu coopératif du travail n'est la totalité
du produit social. De celle-ci, il faut déduire: Premièrement:
les frais de remplacement des moyens de production. Deuxièmement
: une partie supplémentaire pour l'accroissement de la production.
Troisièmement : un fonds de réserve et d'assurance contre
les accidents, les perturbations dues à des phénomènes
naturels, etc...
§ 68 – « Reste l'autre partie du produit
total destinée à la consommation. Mais avant de procéder
à la répartition individuelle, il faut encore retrancher:
Premièrement : les frais généraux d'administration,
qui ne rentrent pas dans la production. Deuxièmement : ce qui est
destiné à la satisfaction des besoins collectifs tels que
écoles, installations sanitaires, etc … Troisièmement
: le fonds destiné à l'entretien de ceux qui sont incapables
de travailler, et... bref ce qui relève aujourd'hui de ce qu'on
appelle l'assistance publique.
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§ 69 – « Maintenant enfin, nous arrivons…
à cette fraction des objets de consommation qui est répartie
individuellement entre les producteurs coopératifs."Ce à
quoi nous avons affaire ici, Ce est à une société
communiste, non pas telle qu'elle s'est développée sur des
bases communistes qui lui sont propres, mais telle qu'elle vient, au contraire,
de sortir de la société capitaliste ; par conséquent,
une société qui, sous tous les rapports, économique,
moral, Intellectuel, porte encore les stigmates de la société
ancienne dont elle est née, le producteur individuel reçoit
donc-les défalcations une fois faites -l' équivalent exact
de ce qu'il a donné à la société. Ce qu'il
lui a donné, c'est son quantum individuel de travail.
Par exemple, la journée sociale de travail représente la
somme des heures de travail individuelles ; le temps de travail individuel
de chaque producteur est la portion qu'il a fourni de la journée
sociale de travail, la part qu'il y a prise. Il reçoit de la société
un bon certifiant qu'il a fourni telle somme de travail (défalcations
faites du travail effectué pour le fonds collectif) et, avec ce
bon, il retire des réserves sociales une quantité dl objets
de consommation correspondant à la quantité du travail fourni.
Le même quantum de travail qu'il a donné à
la société sous une forme, il le reçoit d'elle sous
une autre forme…
70 – « Dans une phase supérieure de
la société communiste, lorsqu' auront disparu l'asservissante
subordination des individus de la division du travail et, avec elle, l'opposition
entre le travail intellectuel et le travail corporel, lorsque le travail
sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais vraiment le premier
besoin de la vie ; quand avec l'épanouissement universel des individus,
les forces productives se seront accrues et que toutes les sources de
la richesse coopérative jailliront avec abondance,- alors seulement
l'étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement
dépassé et la société pourra écrire
sur ses drapeaux "De chacun selon ses capacités, à
chacun selon ses besoins”. » (Randglossen, trad.
Rubel, p.296-299.)
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