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SUR L'IDEOLOGIE
ULTRA–GAUCHE
J. Barrot
Publié
pour la première fois dans le numéro 84 d'Informations et
Correspondances Ouvrières (ICO) – Août 1969
Écrit
à l'occasion de la rencontre nationale des 14 et 15 juin 1969 |
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« Ce n’est pas seulement
dans ses réponses, mais dans les questions elles-mêmes
qu’il y avait une mystification. »
Marx. Idéologie
allemande
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§
1 – Ce texte a été rédigé pour
les réunions nationale et internationale organisées en juin-juillet
1969 à l’initiative d’ICO. Il ne fait aucun doute que
l’un des buts essentiels de ces réunions sera de «
coordonner » l’activité de divers groupes ultra-gauches
existant en France et dans le monde. Mais d’emblée une question
se pose : quelle activité? On
ne peut coordonner que les travaux allant dans le même sens, tournant
autour des mêmes préoccupations, ce qui n’implique
pas bien entendu un accord théorique totale, mai suppose en tout
cas une discussion ; et cette discussion ne peut porter que sur le
fond. C’est pourquoi, nous proposons en préparation
de ces réunions une contribution théorique portant sur deux
points essentiels et étroitement liés (et qui n’en
font en réalité qu’un seul) : le problème dit
de « l’organisation » et le problème du contenu
du socialisme. En somme le moyen et le but du mouvement révolutionnaire.
Le courant ultra-gauche (nous indiquerons dans quelques lignes ce que
nous entendons par là) s’est prononcé et défini
sur ces deux points. Nous voudrions ici réfléchir sur les
solutions qu’il propose. Bien
loin de nous éloigner du travail concret, notre démarche
est, selon nous, la seule façon de permettre une « coordination
» réelle du travail des différents groupes ultra-gauches
présents aux réunions nationale et internationale. Tous
les ultra-gauches pour lesquels l’activité révolutionnaire
est réellement un problème pratique ne peuvent que se poser
le problème théorique de l'orientation générale
de leur travail.
§ 2 – Il est clair que notre critique devra
être, entre autres, historique : nous ne voulons pas avant
tout opposer des idées à d’autres idées, mais
situer historiquement les conceptions que nous examinons. Cela est d’autant
plus justifié que les conceptions en question se définissent
par une référence constante à un passé bien
précis et à des théories issues d’une certaine
période de l’histoire du mouvement ouvrier.
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§ 3 –
Qu’est-ce en fait que le courant ultra-gauche ? Le produit et l’un
des aspects du mouvement révolutionnaire qui suivit la première
guerre mondiale et ébranla l’Europe capitaliste sans la détruire
de 1917 à 1921-23. Les idées ultra-gauches ont leurs racines
dans ce courant des années 20 qui exprimait lui-même la lute
de dizaines d’ouvriers révolutionnaires en Europe. Il s’agit
avant tout d’un mouvement minoritaire qui s’opposait à
l’orientation générale du mouvement révolutionnaire
mondial. Le terme lui-même est significatif : il y a la droite (les
sociaux - patriotes Ebert, Longuet…), le centre (Kautsky, la majorité
du PCF), la gauche (Lénine et l’I.C.) et les ultra-gauches.
Le courant ultra-gauche se définit donc de prime abord comme oppositionnel
: opposition au sein du K.P.D., de l’I.C. Ce mouvement minoritaire
s’affirme en s’opposant à la majorité de l’I.C.,
aux thèses qui triomphent dans le mouvement communiste international
: c’est à dire au léninisme. Le courant ultra-gauche
tire avant tout sa force du mouvement révolutionnaire en Allemagne,
au Pays-Bas ; les appuis qu’il possède en France, en Grande-Bretagne
sont de peu de poids. (Nous mettons délibérément
de côté pour l’instant la gauche italienne, le «
bordiguisme », que nous n’incluons pas dans l’ultra-gauche
pour plus de commodité et examinerons un peu plus loin. Nous prenons
en quelque sorte comme « critère » de l’ultra-gauche
l’opposition de gauche au léninisme dans son ensemble,
en tant que théorie et pratique).
§ 4 – Une étude du mouvement ultra-gauche
montre qu’il est loin d’être monolithique (voir la brochure
d’I.C.O. sur le mouvement des conseils en Allemagne). Par ailleurs,
ses différentes tendances évoluèrent selon les années
et les circonstances : par exemple, la réponse à Lénine
de Görter (republiée récemment) développe une
conception du parti que l’essentiel du courant du « socialisme
de conseils » n’adopte pas. Sur les deux points fondamentaux
(« l’organisation » et le contenu du socialisme) nous
n’étudions donc que les idées retenues pour le développement
ultérieur de ce courant et donc pas les groupes ultra-gauches actuels,
dont I.C.O. offre sans doute l’un des meilleurs exemples.
§ 5 — Les conceptions ultra-gauches en matière
d’organisation sont le produit à la fois d’une expérience
pratique (les luttes ouvrières en Allemagne surtout) et d’une
critique théorique (la critique du léninisme). On sait que
pour Lénine le mouvement ouvrier ne peut être révolutionnaire
par lui-même : il faut un parti qui lui apporte la « conscience
de classe », la conscience socialiste ». Le problème
révolutionnaire central consiste à forger une « direction
» capable de mener mes ouvriers à la victoire. En s’efforçant
de théoriser l’expérience des organisations d’usine
en Allemagne, les ultra-gauches opposèrent à la théorie
léniniste la conception selon laquelle la classe ouvrière
n’a nul besoin d’être dirigée par un parti pour
être révolutionnaire. La révolution serait l’œuvre
des masses organisées en conseils ouvriers et non d’un prolétariat
guidé et contrôlé par des révolutionnaires
professionnels. Le K.A.P.D., dont Görter théorise l’activité
dans sa Réponse à Lénine , concevait encore
son rôle comme celui d’une avant-garde organisée n
en dehors des masses (de les éclairer et non de les diriger comme
dans la théorie léniniste). Mais cette conception était
elle-même dépassée par certains ultra-gauches opposés
à la dualité parti/organisation d’usine : les révolutionnaires
ne devaient pas chercher à se regrouper en organisations spéciales
distinctes des masses. Cette thèse conduit à la création
en 1920 de l’A.A.U.D–E. qui reprochait à l’A.A.U.D.
d’être « l’organisation de masse » du K.A.P.D.
Le communisme des conseils et, en premier lieu, son théoricien
le plus brillant, Anton Pannekoek, devait retenir les idées de
l’A.A.U.D-E ; c’est également sur cette conception
que se fonde le travail d’I.C.O : tout regroupement de révolutionnaires
en dehors des organes crées par les ouvriers eux-mêmes, et
qui tente de se donner une ligne et de formuler une théorie cohérente
et globale, ne peut finalement que se poser en direction des ouvriers.
Les révolutionnaires font donc seulement circuler des informations,
établissent des contacts , mais n’essaient jamais en tant
que groupe d’élaborer une théorie et une orientation
d’ensemble.
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§ 6 –
Le contenu du socialisme a été conçu lui aussi à
partir de l’expérience prolétarienne et l’époque
et de la critique du léninisme. Les ultra-gauches voyaient en Allemagne
et en Russie le développement prodigieux des conseils d’usine,
des conseils ouvriers. En Allemagne, les conseils restèrent sous
la domination politique des réformistes. En Russie, les tâches
qu’ils purent remplir furent limitées au contrôle ouvrier
(1917 et début 1918) et le mouvement fut ensuite liquidé.
Les bolcheviks, disait Lénine, doivent administrer la Russie. Un
appareil bureaucratique se forma peu à peu pour gérer l’économie
russe. Les ultra-gauches dénoncèrent cette caricature du
socialisme et posèrent ce qui devait rester leur thèse fondamentale
en la matière : le socialisme n’est pas la gestion de la
société par une minorité d’ « administrateurs
», mais par les masses ouvrières organisées en conseils.
Le socialisme, c’est la gestion ouvrière. Cette conception
est restée au centre des idées ultra-gauches. Ainsi, la
critique du Parti se relie-t-elle à la critique du socialisme russe.
Au parti, instrument de prise du pouvoir et de gestion de la société
socialiste, les ultra-gauches substituèrent les conseils ouvriers.
§ 7 – Sur ces deux points, le courant ultra-gauche
s’est fondé dans les années 20 à partir d’une
critique du léninisme. On peut se demander si cette critique n’a
pas été, tout comme ce qu’elle critiquait, le produit
d’une époque; et si elle ne porta pas la marque des limites
de cette époque. Le courant ultra-gauche a-t-il analysé
la léninisme en profondeur ? ou bien n’en a-t-il pris que
le contre-pied sans vraiment en atteindre les racines ?
1.
LE PROBLEME DE L’ORGANISATION
§ 8 – Le point de départ méthodologique
de la théorie léniniste du parti est une distinction que
l’on trouve chez tous les grands théoriciens socialistes
de l’époque, et même chez Engels à la fin de
sa vie : selon cette distinction, le « mouvement ouvrier »
et le « socialisme » (c’est à dire les idées,
la doctrine, le marxisme, le socialisme scientifique, etc… on peut
appeler cela de différentes manières) sont deux choses radicalement
différentes et séparées. Il y a les ouvriers
et leurs luttes quotidiennes ; il y a le socialisme, les révolutionnaires.
Il faut, dit Lénine reprenant Kautsky, « introduire »
les idées révolutionnaires en milieu ouvrier. Mouvement
ouvrier et mouvement révolutionnaire sont coupés l’un
de l’autres. Il faut les unir, assurer la direction des ouvriers
par des révolutionnaires professionnels. Pour ce faire, les révolutionnaires
se regroupent séparément et interviennent « de
l’extérieur » dans le mouvement ouvrier. L’analyse
de Lénine plaçant les révolutionnaires en dehors
du mouvement ouvrier se fonde sur une constatation apparemment évidente
: les révolutionnaires semblent être dans un tout autre monde
que celui où se déroule la vie quotidienne des ouvriers.
Or, Lénine ne fait que s’appuyer sur cette apparence sans
aller au fond des choses : le mouvement révolutionnaire, la dynamique
qui mène vers le communisme, est produit par la société
capitaliste. C’est à partir de là que Marx avait élaboré
sa conception du parti. Le terme parti revient souvent sous la plume de
Marx : il faut distinguer entre les principes qu’il pose et les
analyses de conjoncture sur l’évolution du mouvement ouvrier
de son époque. Il ne fait aucun doute que certaines de ces analyses
étaient fausses (par exemple sur les syndicats). D’autre
part, il n’y a pas un texte où Marx affirmerait : voici ce
que je pense sur le parti, mais un grand nombre de remarques dispersées
dans toute son œuvre. Les exégètes peuvent donc s’en
donner à cœur joie. Il nous semble cependant qu’un point
de vue global se dégage clairement de tous ces textes. La société
capitaliste produit d’elle même un parti communiste qui n’est
que l’organisation du mouvement objectif (c’est à dire
indépendamment de la conscience au sens de Kautsky et de Lénine)
qui pousse cette société vers le communisme (nous verrons
plus loin ce qu’est, et en tout cas ce qui n’est pas, le communisme).
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§
8 bis – En période de paix sociale, l’équilibre
de la société reste stable, les éléments du
système se soutiennent et aucune rupture n’est possible.
Dans ces conditions, le mouvement révolutionnaire est réduit
à quelques aspects limités et même à première
vue dérisoires : quelques luttes ouvrières qui vont assez
loin pour remettre en causes certains fondements de l’ordre établi
(par exemple de nos jours la remise en cause des syndicats) ; également
des révoltes brutales qui souvent ne proviennent pas des ouvriers
mais de certaines couches de la paysannerie par exemple, ou même
aujourd’hui des étudiants, bien que ces révoltes ne
jouent que le rôle que la situation générale de la
société leur donne à ce moment-là ; enfin,
de petits groupes, et même des individus isolés, ce qu’on
appelle les « révolutionnaires » . Nous sommes en ce
moment dans une telle situation. Mais il n’y a pas d’un côté
« les ouvriers », de l’autres « les révolutionnaires
» ; ou plutôt, si les « révolutionnaires »
semblent coupés du prolétariat, c’est que ,précisément,
le « prolétariat » n’existe pas dans une telle
période. La définition de Marx est capitale ; LE
PROLETARIAT N’EXISTE QUE S’IL EST REVOLUTIONNAIRE.
En « période calme », lorsque le capital fait fonctionner
la société et y règne en maître, il n’y
a qu’un ensemble gens contraints de vendre leur propre force de
travail, mais pas de prolétariat. Le prolétariat, produit
par le développement de la forme de production marchande, ne peut
se manifester en tant que tel, c’est–à–dire entant
que classe, que dans une situation où il y a rupture de l’équilibre
social.
§ 8 ter – En fait, tout mouvement révolutionnaire
correspond à la société dont il est issu et à
celle qu’il va instaurer : le mouvement communiste, le parti
au sens de Marx, reflète en particulier la division du travail
manuel-travail intellectuel. Cette division, il ne la « choisit
» pas ; la base sur laquelle le capitalisme se développe
la lui impose. En, période de paix sociale, il y a des ouvriers
révolutionnaires isolés dans leurs usines et qui font ce
qu’ils peuvent sur le plan des luttes quotidiennes, de la critique
du capitalisme et des institutions qui le soutiennent en milieu ouvrier
(syndicats, partis « ouvriers », réformistes). Ils
y réussissent généralement assez mal, ce qui est
tout à fait normal. Et, d’autre part, il y a des révolutionnaires
(ouvriers et non-ouvriers) qui lisent et écrivent, et font ce qu’ils
peuvent pour diffuser leur travail théorique ; ils y réussissent
généralement tout aussi mal, ce qui est tout aussi normal.
Lénine voudrait que les « théoriciens » dirigent
les « ouvriers » ; ICO s’y refuse énergiquement
et en conclut qu’il faut éviter tout travail théorique
collectif. Mais le problème est ailleurs : révolutionnaires
« ouvriers » et révolutionnaires « théoriciens
» ne sont que deux aspects d’un même processus. En croyant
voir là une profonde coupure, Lénine ne faisait que prendre
l’apparence pour la réalité. Mais ICO ne fait que
renverser l’erreur de Lénine, sans voir que cette prétendue
séparation n’est qu’une illusion, comme le montre d’ailleurs
l’avènement d’une période quelque peu révolutionnaire
. Qu‘avons-nous vu en mai-juin 1968 au centre Censier à Paris
? un certain nombre de communistes « ultra-gauches », qui
avant et après les événements consacraient et consacrent
l’essentiel de leur activité révolutionnaire à
une critique théorique de la société capitaliste,
ont travaillé avec une minorité ouvrière révolutionnaire.
Ils ne sont pas venus se lier ni s’unir aux travailleurs. Ils n’étaient
pas auparavant plus séparés des ouvriers que chaque ouvrier
n’est lui-même séparé des autres ouvriers dans
la situation d’atomisation de la classe ouvrière qui caractérise
toute période non-révolutionnaire (comme on l’a souvent
montré, les syndicats ne diminuent pas mais renforcent cette atomisation).
Marx n’était pas plus séparé des ouvriers en
écrivant le Capital qu’en agissant dans la Ligue
des Communistes et dans l’Internationale: en travaillant au
sein de ces groupes, il n’avait ni le besoin impérieux (comme
Lénine), ni la crainte (comme ICO) de se constituer en direction
de la classe ouvrière. |
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§ 9 –
La conception marxiste du parti comme produit historique de la
société capitaliste revêtant différentes formes
selon les phases que traverse cette société permet de dépasser
le dilemme nécessité du parti/crainte du parti.
§ 10 – Le parti pour Marx n’est que
l’organisation spontanée (c’est–à–dire
totalement déterminée par l’évolution sociale)
du mouvement révolutionnaire issu du capitalisme. Le parti surgit
spontanément du sol historique de la société moderne.
La volonté et la crainte de créer le parti sont aussi illusoires
l’un que l’autre. Le parti n’a ni à être
créé ni à ne pas l’être : il est pur
produit historique. Le révolutionnaire n’a donc besoin ni
de construire le parti ni de craindre de le construire. Nous verrons dans
un instant les conséquences pratiques de ce point de vue. Examinons
d’abord un argument souvent employé par les ultra-gauches.
§ 11 – Il faut se garder, disent-ils, de se
constituer un parti : voyez ce qui est arrivé en Russie après
17. Justement : voyons. La révolution de 1917 a été
effectuée par le parti au sens de Marx ; quant au parti que Lénine
avait voulu construire depuis Que Faire ?, il joua en permanence
un rôle de frein entre février et octobre. Lénine,
lui-même, ne fut révolutionnaire en 1917 que parce qu’il
rejeta Que Faire , dans sa pratique. Ensuite, la faiblesse
du prolétariat russe et l’absence de révolution en
Europe contraignirent la révolution russe à remplir exclusivement
les tâches de la révolution bourgeoise impossible. Le parti
bolchevique (un parti selon la conception léniniste et non selon
la conception marxiste) assura la direction du pays et la théorie
léniniste du parti coupé des masses, « avant-garde
consciente », qui possède le savoir et …la conscience,
servit de puissant paravent idéologique à la bourgeoisie
d’Etat. Les ultra-gauches ont pris cette idéologie pour le
fond du problème : il ne faut pas de parti, disent-ils, sans quoi
on aboutit à ce qui s’est passé en Russie. En vérité,
ce n’est pas le parti de Lénine qui a entraîné
la défaite de la révolution russe ; c’est l’absence
de révolution mondiale qui, seule, a pu donner au parti de Lénine
le souffle qu’il avait bien perdu entre février et Octobre.
Car il faut distinguer entre le parti au sens de Marx et le parti bolchevique.
On croit que c’est le parti bolchevique qui a fait la révolution
d’octobre 1917. C’est faux ; le parti bolchevique, le parti
de Lénine, qui avait essayé de construire depuis plus de
quinze ans la « direction des masses », « l’avant-garde
», avait été mis en tant que tel sur la touche par
l’élan des masses organisées (auxquelles se sont jointes
dès le début de nombreux bolcheviks). Seule la faiblesse
de la révolution lui a ensuite, presque aussitôt d’ailleurs
après Octobre, remis tout le pouvoir. Alors l’appareil centralisé
du parti bolchevique a pu diriger les masses et organiser la vie de la
société russe. Les ultra-gauches ne comprirent pas cette
distinction et l’on aboutit au refus pur et simple de toute activité
cohérente collective (I.C.O.). On se contenta d’adopter une
position symétrique à celle de Lénine. Lénine
avait voulu construire un parti ; les ultra-gauches s’y refusaient.
Pour ou contre la construction d’un parti : l’ultra-gauche
ne faisait qu’apporter une réponse différente à
une même fausse question. Pour nous, il ne suffit pas de renverser
l’optique de Lénine, il faut l’abandonner.
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§
12 – Sur le plan, de l’activité, I.C.O a également
adopté une position exactement symétrique à celle
de Lénine. Les groupes Léninistes modernes (L.O. par exemple)
tentent à tout prix d’organiser les ouvriers. ICO se contente
de faire circuler des informations sans prendre jamais position collectivement
sur un problème. Cette analyse d’I.C.O. parue dans le n°11
de l’Internationale Situationniste. Nous semble juste (ce qui ne
signifie pas bien sûr que nous acceptions l’ensemble de la
théorie et de la pratique situationniste) :
§ 13 – « Nous avons beaucoup de points
d’accord avec eux (les camarades d ‘I.C.O.) et une opposition
fondamentale : nous croyons à la nécessité de formuler
une critique précise de l’actuelle société
d’exploitation. Nous estimons qu’un telle formulation théorique
ne peut être produite que par une collectivité organisée
; et inversement, nous pensons que toute liaison permanente organisée
actuellement entre les travailleurs doit tendre à découvrir
une base théorique générale de son action. Ce que
De la misère en milieu étudiant appelait le choix de l’inexistence,
fait par ICO en ce domaine, ne signifie pas que nous pensions que les
camarades d’I.C.O. manquent d’idées, ou de connaissances
théoriques, mais au contraire qu’en mettant entre parenthèses
ces idées, qui sont diverses, ils perdent plus qu’ils ne
gagnent en capacité d’unification (ce qui est au fond de
la plus haute importance pratique ». (page 63).
Nous préciserons bientôt davantage quelles tâches révolutionnaires
nous entreprenons.
2.
LE CONTENU DU SOCIALISME
§ 14 – La révolution russe dû
remplir la tâche de développer le capitalisme en Russie.
Gérer l’économie du mieux possible devint le mot d’ordre
principal. On s’attacha à former à partir des cadres
du parti bolchevique et d’anciens « spécialistes »
bourgeois un corps d’administrateurs efficaces. Les ultra-gauches
en vinrent à l’idée que cette gestion par une minorité
située au-dessus de la classe ouvrière ne pouvait être
le socialisme : à la gestion bureaucratique, ils opposaient la
gestion ouvrière. On aboutit ainsi à une idéologie
ultra-gauche cohérente dont les conseils ouvriers forment le centre
: instruments de lutte, de prise de pouvoir et d’administration
de la société future, les conseils occupent par exemple
dans le livre de Pannekoek Les conseils ouvriers la place centrale réservée
au parti chez Lénine. En fait, cette conception nous oblige à
réfléchir sur ce qu’est vraiment la société
capitaliste : car avant de savoir ce qu’est le socialisme il nous
faut savoir à quoi il s’oppose. La théorie de la gestion
ouvrière nous présente avant tout le capitalisme comme un
mode de gestion : l’important, c’est que l’économie
est dirigée par une minorité de capitalistes et non par
les masses ouvrières. Remplaçons donc les patrons par les
ouvriers.
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§ 15
– Mais le capitalisme est-il avant tout un mode de gestion
? La critique révolutionnaire du capitalisme amorcée par
Marx ne met pas au premier plan la question de savoir qui gère
le capital. Au contraire : Marx nous montre les ouvriers et les capitalistes
comme simples fonctions du capital ; il dit même que le patron n’est
que le « fonctionnaire » du capitalisme : « le capitalisme
n’est que le fonctionnement du capital, et l’ouvrier celui
de la force de travail ». Les planificateurs russes, bien loin de
diriger l’économie, sont au contraire dirigés par
elle, et tout le développement de l’économie russe
suit les lois objectives de l’accumulation capitaliste. En bref,
le « gestionnaire » est au service de rapports de production
précis et contraignants. Le capitalisme n’est pas un
MODE DE GESTION MAIS UN MODE DE PRODUCTION BASE SUR DES
RAPPORTS DE PRODUCTION. Ce sont ces
rapports qu’il faut détruire si l’on veut abattre le
capitalisme. L’analyse révolutionnaire du capitalisme met
au premier plan le rôle du capital dont les « dirigeants »
de l’économie ne peuvent que respecter les lois objectives,
en U.R.S.S. comme aux U.S.A.
§ 16 – Quel est le mérite du Capital
de Marx ? celui de dégager avant toute autre chose un mouvement,
le cycle historique qui part de l’échange exceptionnel de
produits, passe par la production simple de marchandises où la
loi de la valeur s’établit, se poursuit dans le capitalisme
qui généralise cette loi, et s’achèvera par
la négation de la loi de la valeur, par la suppression de tout
échange dans la société communiste. Le capitalisme
a généralisé l'échange sur tout le planète
: la valorisation du capital, ainsi que les limites de cette valorisation,
passe par la loi de la valeur. « Cette loi n'est autre chose que
la loi qui... maintient nécessairement le prix d'une marchandise
égal à ses frais de production » : pour Marx, cette
loi n'est en somme que la dynamique même du système capitaliste.
Son but est la production non pas de marchandise mais de capital: l'échange
qui suppose au départ l'égalité se transforme en
inégalité croissante compte tenu des conditions
de production différentes. C'est en particulier pour cette raison
que le capitalisme ne développe pas l'industrie des pays «
sous-développés » et les laisse s'enfoncer dans la
misère. L'important n'est pas de produire des valeurs d'usage susceptibles
de satisfaire des besoins sociaux, mais de produire ce qui peut être
échangé dans les meilleures conditions et replacé
dans la production pour y acquérir encore plus de valeur. Pourquoi
notre monde engendre-t-il côte–à–côte la
richesse et la pauvreté? Non pas parce qu'il est mal géré,
mais parce que la loi de la valeur ne laisse se développer que
les industries rentables, c'est à dire celles dont les produits
ont une valeur d'échange proche de la valeur socialement nécessaire
mesurée en temps de travail. On ne construit une usine en Inde,
même si elle est nécessaire à la survie de la population,
que si elle peut approcher la valeur d’échange moyenne et
le profit moyen.
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§ 17 –
Mais en même temps, l'analyse de Marx montre que la généralisation
de ce mouvement amène sa destruction. Le capital a approfondi la
socialisation de la production amorcée depuis l'apparition de l'échange.
Le producteur immédiat de n'importe quel produit tend à
devenir chaque jour davantage l'humanité toute entière.
Les forces productives se développent de façon fantastique;
mais les valeurs d'usage continuent à ne circuler que par l'intermédiaire
des valeurs d'échange: l'échange reste le lien social entre
les hommes et les pays. Au fur et à mesure que le mode capitaliste
de production développe les capacités infinies de production
dont il est capable et socialise le processus même de la production,
il sape dans sa base sa loi fondamentale, la loi de la valeur; il abolit
à la fois la nécessité de l'échange
des biens et l'importance du « temps de travail socialement nécessaire
» à la reproduction d'un bien, en fonction duquel se règle
la proportionnalité de l'échange des marchandises. Les forces
de production créées par le capitalisme rendent absolument
périmée, irréelle, la forme marchande de
la répartition de la production sociale; la forme marchandise
que revêtent tous les produits du travail social apparaît
de plus en plus comme surimposée, comme un relique que la révolution
prolétarienne devra balayer.
§ 18 – « L'échange du travail
vivant contre du travail objectivé, c'est à dire la manifestation
du travail social sous la forme antagonique du capital et du salariat,
est l'ultime développement du rapport de la valeur et
de la production fondée sur la valeur.
La prémisse de ce rapport est que la masse du temps de travail
immédiat, la quantité de travail utilisée, représente
le facteur décisif de la production de richesses. Or, à
mesure que la grande industrie se développe, la création
de richesses dépend de moins en moins du temps de travail et de
la quantité de travail utilisée, et de plus en plus de la
puissance des agents mécaniques qui sont mis en mouvement pendant
la durée du travail. »...
« Avec ce bouleversement, ce n'est ni le temps de travail utilisé,
ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent
comme le fondement principal de la production de richesses; c'est l'appropriation
de sa force productive générale, son intelligence de la
nature et sa faculté de la dominer, dés lors qu'il s'est
constitué un corps social; en un mot, le développement de
l'individu social représente le fondement essentiel de la production
et de la richesse »...
« Le capital est une contradiction en procès: d'une part,
il pousse à la réduction du travail à un minimum,
et d'autre part il pose le temps de travail comme la seule source et la
seule mesure de la richesse. »...
« Il (le capital) éveille toutes les forces de la science
et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation
sociales, afin de rendre la production de la richesse indépendante
(relativement) du temps de travail utilisé pour elle. D'autre part,
il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créees
d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans
des limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que
valeur, de la valeur déjà produite. »... (Marx, Fondements
de la critique de l'économie politique, t. II, p.220 et suivantes)
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§
19 – Seule l'abolition des rapports marchands entre les
choses peut permettre l'abolition de ces mêmes rapports entre les
hommes (salariat); seule elle permet l'appropriation par l'individu et
l'humanité du produit de son travail. Elle fait disparaître
le cercle infernal de la production pour la production, depuis longtemps
condamnée historiquement ; elle ôte au produit du travail
sa vie autonome par rapport au producteur et son empire sur le producteur.
L'abolition du salariat va obligatoirement de pair avec l'abolition des
rapports marchands.
§ 20 – Dans le communisme, le temps que la
société pourra consacrer à la production des objets
sera déterminée par la valeur d'usage, c'est à dire
par leur caractère utile. (Bien entendu une telle évolution
suppose une période de transition que nous n'envisageons pas ici:
la valeur d'échange ne sera pas abolie du jour au lendemain: elle
dépérira lentement. Nous ne voulons insister que sur le
sens de la révolution communiste). C'est le mouvement même
du capitalisme qui produit la révolution.
§ 21 – La théorie de la gestion de
la société par les conseils ouvriers ignore complètement
ce mouvement: elle conserve toutes les catégories et les caractéristiques
du capitalisme: salaire, échange, loi de la valeur, limitation
de l'entreprise, etc. Le socialisme qu'elle nous propose n'est qu'un capitalisme...démocratiquement
géré par les ouvriers. de deux choses l'une: ou bien les
conseils ouvriers voudraient fonctionner autrement que les entreprises
capitalistes, ce qui serait impossible, les rapports de production restant
capitalistes; les conseils ouvriers seraient alors balayés par
la réaction (qui aurait sa source principale dans la survivance
de ces rapports). Car les rapports de production ne sont pas des rapports
d'homme à homme (voir la définition de Socialisme ou
Barbarie: les rapports de production capitalistes existent là
où il y a des dirigeants et des exécutants) mais la manière
dont se rapportent les uns aux autres les différents facteurs
du processus de travail: le facteur « subjectif » : la force
de travail humaine, et le facteur « objectif » : les moyens
de production, les matières premières, etc. Ce qui fait
l'essence des rapports capitalistes c'est le surgissement des facteurs
objectifs comme puissance étrangère au travailleur,
puissance qui le domine en tant que capital. Ceci parce que ces
facteurs sont des marchandises. De même que l'abolition
du salariat, l'abolition du capital suppose celle de la marchandise.
Le rapport « humain » dirigeant-dirigé n'est qu'une
manifestation du rapport fondamental salariat-capital.
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§ 22
– Ou bien les conseils ouvriers accepteraient de fonctionner
comme entreprises capitalistes. Mais alors le système des conseils
n'y survivrait pas, sinon comme une illusion destinée à
masquer l'exploitation, et les dirigeants « élus» ne
tarderaient pas à devenir en tous points identiques aux capitalistes
traditionnels: « la fonction de capitaliste, dit Marx, tend irrésistiblement
à se séparer de celle d'ouvrier: la loi veut du reste que
le développement économique attribue ces fonctions à
des personnes différentes;... telle est la tendance dans la société
où prédomine le mode de production capitaliste ».
La gestion ouvrière aboutirait ainsi au capitalisme: ou plutôt
le capitalisme n'aurait jamais cessé d'être, avec tous ses
corollaires : concurrence, salariat...
§ 23 – La bureaucratie bolchevique avait pris
le contrôle de l'économie: les ultra-gauches veulent que
ce soit les masses. Encore une fois l'ultra-gauche est restée sur
le terrain du léninisme, se contentant là aussi d'apporter
une réponse différente à la même question.
Ce faisant, elle posait néanmoins un principe juste (au contraire
de Lénine): la prise en main de l'économie par les ouvriers
est nécessaire. Mais ce n'est pas un but en soi: c'est une condition
nécessaire, mais non suffisante, de la destruction du capitalisme.
Le socialisme n'est pas la gestion, même « démocratique
» et « ouvrière», du capitalisme, mais sa destruction.
§ 24 – En examinant ces deux points, nous
n'avons fait que rappeler la thèse fondamentale de Marx pour qui
il y’a un mouvement vers la révolution dans la société
dominée par le capitalisme. Notre tâche est d'abord d'affirmer
ce mouvement. Les problèmes « d'organisation » et de
contenu du socialisme s'éclaircissent. Produit par la société
capitaliste, le mouvement révolutionnaire en porte la marque: division
manuel/intellectuel. Encore ne faut-il pas théoriser cet aspect,
ni dans le sens de Lénine, ni dans le sens d'ICO, mais le reconnaître
comme une phase inévitable qui ne disparaîtra qu'avec le
plein succès de la révolution. Il n'y a donc pas, contrairement
à ce que dit Lénine, un « problème de l'organisation
». Il n'y a que des formes que revêt le mouvement spontané
vers le communisme produit par la société elle-même.
L'apport théorique de Marx est justement cette mise en lumière
de la dynamique interne qui mène du capitalisme au communisme.
Par là le socialisme n'apparaît plus comme la simple gestion
de la société par le prolétariat mais comme l'achèvement
par le prolétariat du cycle historique du capital. Le prolétariat
ne peut se contenter de s'emparer du monde : il mène à son
terme le mouvement du capitalisme. C'est ce qui sépare Marx de
tous les penseurs utopistes et réformistes: le socialisme est le
produit d'une dynamique objective, de la dynamique même qui engendra
le capitalisme et le propagea sur toute la terre. Marx insiste avant tout
sur le contenu de ce mouvement. Lénine et le courant ultra-gauche
ont insisté avant tout sur sa forme: forme d'organisation,
forme de gestion de la société socialiste, en oubliant le
contenu du mouvement révolutionnaire. Cet « oubli »
était lui-même un produit historique. La situation de leur
époque, et avant tout le développement limité des
forces productives, ne permettaient pas aux luttes révolutionnaires
d'avoir un contenu communiste (au sens que nous avons défini).
Elle impose aux révolutionnaires des formes qui ne pouvaient pas
être radicales, communistes. Ces formes à leur tour marquèrent
et accrurent les limites de l'époque
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§ 25
– Les idées ultra-gauches se sont en effet formées
et développées à une époque où les
conditions de maturation de la révolution n'étaient pas
encore remplies. Le capitalisme n'était pas encore assez développé,
le prolétariat pas assez fort pour que la révolution communiste
soit possible. Le léninisme ne faisait qu'exprimer l'impossibilité
de la révolution à son époque. les idées de
Marx sur le parti étaient mises à l'écart depuis
longtemps : Engels lui-même les avait abandonnées à
la fin de sa vie. C'est l'époque des grandes organisations réformistes,
puis des partis de style bolchevique (qui retombent en fait vite dans
le réformisme). Le mouvement révolutionnaire ne s'était
pas encore suffisamment affirmé : coincé entre la social-démocratie
et le léninisme, il n'arrivait pas à se manifester en tant
que tel. Partout, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, le début
des années 20 est marqué par l'encadrement et l'embrigadement
de la classe ouvrière. Par réaction contre cette situation,
les ultra-gauches en viennent à craindre de s'imposer aux travailleurs.
au lieu de comprendre les partis léninistes comme produits de la
défaite ouvrière, ils refusent tout parti, et laissent comme
Lénine la conception marxiste du parti dans les oubliettes de l'histoire.
Quant au contenu du socialisme, il suffit de voir que de 1917 à
1936, de la révolution russe à la révolution espagnole,
en passant par les insurrections en Allemagne, en Chine et ailleurs, aucun
mouvement social d'envergure ne met en cause le fond même du capitalisme.
Dés qu'un mouvement révolutionnaire triomphe, il ne peut
qu'essayer de gérer le capitalisme, mais non de le bouleverser.
Dans ces conditions, les ultra-gauches ne pouvaient pas faire
une critique réelle du léninisme. Ils ne pouvaient qu'en
prendre systématiquement le contre-pied, sans aller au fond des
choses, sans voir le contenu du mouvement révolutionnaire, tout
simplement parce que ce mouvement n'apparaissait pas grand jour. C'est
pourquoi, tout en affirmant des positions profondément justes sur
certains points (critique des syndicats et des partis « ouvriers
» surtout), ils ne pouvaient qu'opposer aux formes préconisées
par le léninisme d'autres formes, sans jamais dégager
le contenu du mouvement révolutionnaire. Ils remplacèrent
ainsi le fétichisme du parti léniniste par celui des conseils
ouvriers. On peut donc dire que le courant ultra-gauche n'a pas vraiment
dépassé le léninisme. Ses conceptions étaient
nécessaires en leur temps, elles ont joué un rôle
extrêmement positif : c'était une étape nécessaire,
inévitable.
§ 25 bis – Mais aujourd'hui, alors que le
léninisme commence à avoir fait son temps, parce que la
contre-révolution dont il était le produit approche de sa
fin, les idées ultra-gauches, qui ne sont que le pendant du
léninisme, doivent et peuvent être dépassées.
Cette critique n'est possible que parce que le développement du
capitalisme à l'échelle mondiale permet d'entrevoir le contenu
réel du mouvement révolutionnaire qu'il développe
en même temps. En nous accrochant coûte que coûte aux
idées ultra-gauches que nous avons exposées (crainte du
parti et gestion ouvrière), nous transformerions ces idées
en pure idéologie, au sens où Marx parle de « l'idéologie
allemande ». Nous vivons sur un héritage important, produit
d'une phase bientôt dépassée de l'histoire du mouvement
révolutionnaire: si nous ne parvenons pas à dépasser
notre passé, ce qui n'implique nullement un rejet brutal, mais
au contraire une assimilation profonde, nous réciterons alors Pannoekoek
comme d'autres récitent les Principes du léninisme, incapables
de jouer un rôle lorsque cette fois le contenu même de la
révolution sera mis en avant par ce « parti prolétarien
» que nous n'aurons pas su reconnaître.
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§
26 – Le bordiguisme offre un autre exemple du
courant intéressant issu de la même période et qui
n'a pas réussi à comprendre et à dépasser
ses origines. La gauche italienne accepta les idées de Lénine
jusqu'au front unique: vérité en-deça de 1921, erreur
au-delà. Le bordiguisme s'est développé en maintenant
l'idée d'un programme révolutionnaire s'attaquant aux fondements
mêmes du capitalisme. Refusant la théorie de la gestion ouvrière,
le bordiguisme a fait une des analyses les plus profondes de l'économie
russe, mettant au premier plan non pas la bureaucratie, comme les trotskistes
et Socialisme ou Barbarie, mais bel et bien les rapports de production.
La révolution ne peut consister, explique la presse bordiguiste,
qu'à détruire la loi de la valeur et de l'échange.
En revanche, la gauche italienne, bien qu'elle comprenne le parti comme
produit de la société, reste attachée aux thèses
de Que faire ?, d'où une grande confusion théorique,
bien que les textes bordiguistes soient très souvent intéressants.
La gauche italienne est restée elle aussi prisonnière de
l'époque qui lui avait donné naissance. C'est ce que montre
entre autre le petit groupe issu du P.C.I. qui publie la revue Invariance
(voir en particulier: n°1 sur le parti, n°2 sur la valeur, n°3
: critique de l'autogestion, n°4 (p.66) sur mai 68, et n°5 «
Perspectives ».
§ 27 – Notre texte ne vise qu'un but: reconnaître
notre idéologie pour la dépasser. Nous pourrons ainsi
entreprendre le travail théorique nécessaire: étude
du programme révolutionnaire, de la question de la valeur chez
Marx et d'autres, de l'analyse du capitalisme (problème de l'impérialisme
par ex.), ainsi que des travaux historiques pour mieux assimiler notre
passé (plusieurs études sont en cours ou achevées
sur le léninisme, sur la IIIème Internationale,...) En même
temps nous pouvons et devons faire connaître d'anciens textes ultra-gauches
pour mieux montrer à la fois leur rôle et leur limite.
§ 28 – Lorsque le prolétariat se constitue,
le révolutionnaire le rejoint d'emblée, sans qu'aucune barrière
théorique ou sociologique n'empêche le mouvement révolutionnaire
de s'unifier. La cohérence théorique, ainsi que
le disent les situationnistes dans l'extrait du n°11 de l'I.S. que
nous avons cité, est un but permanent des révolutionnaires,
dans la mesure où elle facilite toujours la coordination pratique
des énergies révolutionnaires. Les révolutionnaires
n'hésitent jamais à intervenir de manière organisée
pour faire connaître leur critique de la société.
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§ 29
– Il ne s'agit pas pour eux de dicter la « ligne
juste » aux ouvriers révolutionnaires ; il ne s'agit pas
non plus pour eux de s'abstenir de toute intervention révolutionnaire
cohérente sous prétexte que « les ouvriers doivent
décider d'eux-mêmes » car, d'une part, les ouvriers
ne prennent que les décisions que leur impose la situation générale
de la société ; d'autre part, le mouvement révolutionnaire
est une totalité organique dont la théorie est
un élément inséparable. Les communistes représentent
et défendent toujours les intérêts généraux
du mouvement. Dans toute situation où ils se trouvent, ils ne se
refusent pas à exprimer tout le sens de ce qui se passe
et à faire des propositions d'action en conséquence ; si
la situation est révolutionnaire, si l'expression donnée
du mouvement et les propositions d'action sont justes, elles s'intègrent
nécessairement à la lutte du prolétariat et elles
contribuent à former le parti de la révolution communiste.
§ 30 – Ce texte n'est pas à prendre
ou à laisser. Ce n'est pas une plateforme, mais seulement une contribution
à un travail théorique. Bien que les hypothèses
fondamentales de ce texte soient le produit d'une réflexion assez
longue, le texte lui-même dans son exposition peut paraître
rapide, peu élaboré. C'est dire que nous entendons poursuivre
un tel travail.
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