• Un mouvement qui s’emballe sans perspective claire
:
Le mouvement a démarré dans l’ordre d’abord
dans les écoles primaires, puis dans les collèges et enfin
dans les lycées. Les syndicats ont déposé un préavis
de grève reconductible quotidiennement dès le 6 mai. Le
mouvement dans son ensemble est difficile à cerner : des feux
de paille démarrent dans quelques établissements, puis
s’arrêtent et reprennent, alors que d’autres comptent
un fort taux de grévistes depuis parfois 2 mois. Il n’apparaît
pas de logique d’ensemble.
Les « forces » en présence
D’une manière générale, la stratégie
gauchiste exprime la volonté d’élargir la lutte,
ne pas la restreindre à l’éducation. La revendication
largement reprise des grèves « interpro » est à
double tranchant : dans la bouche des militants gauchistes (et syndicaux),
elles signifie un élargissement de la lutte mais sous le contrôle
strict des appareils syndicaux (c’est une délégation
de syndicalistes qui ira faire le lien... avec d’autres syndicalistes
d’un autre secteur). De fait, les militants gauchistes ont pour
objectif de peser sur les structures syndicales, que ce soit par le
biais de l’appareil qu’ils contrôlent directement
(ex. SUD par la LCR) ou par le biais d’un autre. Ce jeu politique
a un double effet : d’une part, il pousse à une politisation
du mouvement dans le mauvais sens du terme (forte présence syndicale),
d’autre part, il vide le mouvement de lui-même (on diffuse
des tracts signés par plusieurs syndicats sur plusieurs établissements
locaux, mais en même temps, on freine toute volonté des
grévistes d’entrer en relation, d’échanger
et de faire le point sur leur mobilisation respective).
• La stratégie efficace de Lutte Ouvrière
: noyauter et contrôler
LO s’engage avec peu de militants mais d’une manière
efficace dans une stratégie plus de nature politique que syndicale.
Ils sont en partie à l’origine du démarrage du mouvement
le plus fort en Seine-St-Denis (grèves depuis mars 2003). Ils
créent des « bureaux » non élus lors des AG
qui se chargent de « distribuer » la parole, de négocier
les parcours de manifs, des rédiger les tracts, des contacts
avec la presse.... et ils se positionnent contre les comités
de grève. C’est la coordination de Seine-St-Denis qui appelle
en premier à une coordination à l’échelle
de l’Ile de France.
Ainsi, LO contrôle concrètement la coordination Ile de
France et la coordination nationale alors que la coordination parisienne
leur échappe. Ils adoptent une stratégie spontanéiste
: pas besoin de compter les mandats, il y a urgence, il faut faire vite
et il faut éviter les dérives bureaucratiques... dans
un souci d’efficacité (!), ils proposent « une personne
= un vote ». Cette politique a un effet paradoxal : le bordel
ambiant dans les AG favorise une expression vivante des participants
(notamment dans la coordination Ile de France). A l’inverse, la
LCR tente de s’opposer LO en mettant en avant une organisation
de la lutte beaucoup plus « stricte ».
• La CNT en recherche de reconnaissance et de «
visibilité »
Ils sont surtout présents dans le 1er degré, beaucoup
moins dans le 2nd degré. Dans chaque « bureau » des
AG est présent un représentant de la CNT Vignoles qui
est « chargé » de jouer le rôle de contestataire...
Des contradictions apparaissent au sein même de la CNT comme par
exemple le fait que des militants s’opposent sur des motions entre
l’AG parisienne et celle d’Ile de France. Ils recherchent
avant tout une forme de reconnaissance des personnels par leur présence
en tant que représentant syndical. Le mouvement en lui-même
semble passer après leur travail de « visibilité
» sans pour autant que cela entre dans une réelle stratégie
pensée à l’avance.
• La position particulière de SUD : le
syndicat est en cours d’éclatement dans l’Education.
Une fraction se dégage qui revendique des AG souveraines... souvent,
ils adoptent des arguments et des postures de « tendance libertaire
» à la place des militants de la CNT ! Parmi les représentants
syndicaux, ils ont été les seuls a accepté d’être
accompagnés par des membres de la coordination lors de rencontres
avec le ministre, les autres syndicats s’arrangeant pour y aller
seuls en inventant des prétextes peu crédibles.
3. Les réactions du gouvernement
• La position du gouvernement face à ce mouvement
était, jusqu’à il y a peu, de passer en force. Cependant,
devant la résistance du mouvement enseignant et le fait d’avoir
engagé deux réformes importantes en même temps,
l’oblige à céder des miettes d’un côté
(éducation) pour espérer une victoire de l’autre
(les retraites). Pour une partie des grévistes, néanmoins,
ces miettes (report du projet de réforme des universités,
division opérée entre les personnels qui seront touchés
par la décentralisation) font l’effet d’une provocation
et sont loin de faire retomber le ras-le-bol général.
Le ministre de l’intérieur (et de la décentralisation)
a été réquisitionné pour apaiser le conflit
et lâcher du lest. Le ministre de l’éducation nationale
est largement désavoué.
• La stratégie de durcissement menée
par le gouvernement s’accompagne de répression (matraquages
et arrestations) si nécessaire et de toutes les formes de propagande
et de manipulation habituelles : en gros, il s’agit de monter
la population - et les parents d’élèves en particulier
- contre un mouvement montré comme totalement corporatiste et
sans scrupule. L’arme essentielle est la dénonciation du
« chantage aux examens » en menaçant de sanctions
et d’appel aux forces de l’ordre alors que la plupart des
profs ne sont pas prêts à bloquer physiquement le déroulement
épreuves et que beaucoup sont (encore) indécis sur la
position à adopter à ce sujet : une partie d’entre
eux ne voit aucun intérêt à une pseudo-radicalisation
du mouvement par des blocages physiques des épreuves ; d’autres
refusent d’entendre parler d’une sur-notation éventuelle
des copies, cette dernière pouvant dévaloriser le «
grand examen national » qu’est le bac (!). De fait, depuis
le début du mouvement, très peu d’examens ont été
boycottés [7] (rares sont ceux qui ont été repoussés)
et le fameux bac se déroule sans entrave majeure [8].
• Le gouvernement ne s’attaque pas aux organisations
syndicales : il n’a pas intérêt à
les « casser », mais plutôt à les mettre en
avant comme des organisations représentatives « responsables
» avec qui on peut négocier. Il sait, de plus, que si le
mouvement est mâté durement, il reprendra avec encore plus
de force par la suite. D’où la réouverture récente
du dialogue avec les syndicats.