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UNE
LECTURE CRITIQUE DE
la Matérielle
Théorie
Communiste
Extraits
le texte complet est disponible sur le site l'@NGLE
MORT et dans la
Matérielle
n°4
§ 1 –
Ces commentaires ne portent que sur le n°
1 de la Matérielle, la lecture des n° suivants
ne justifie aucune transformation de ce texte. Cependant, une «
petite» évolution : dans le n°
3, il semblerait que la Matérielle reconnaisse ce
qui est le thème central de la critique qui suit, mais si la
Matérielle récuse la production d'une liaison entre
la lutte des classes et la révolution communiste elle ne peut
se passer de cette liaison qu'elle trouve chez d'autres et dont elle
se dit la critique. Cette posture équivoque d'autocritique
ne pourra faire illusion bien longtemps : le moindre chroniqueur ne parle
que de « lutte des classes » et de « ce qu'il y a ».
Parler de révolution et de communisme devient une affaire de croyance
ou ici de science. La lutte des classes peut « ne pas plus être
théoricienne que le système solaire est astrophysicien »
(cf. la Matérielle
n° 3), de la même façon que les prolétaires
sont des astéroïdes. Ce qui depuis toujours distingue la théorie,
c'est, dans la lutte des classes, de montrer la fin des classes et, dans
le « ce qu'il y a », son abolition. Est-ce une «
croyance dialectique » ou alors est-ce, comme les crises monétaires,
un processus objectif parce qu'autoréalisateur ?
Thème central de
la critique
§ 2 – La critique de la Matérielle
peut se résumer en une seule question.
A suivre la problématique de la Matérielle,
qu'est-ce qui théoriquement autorise à encore prononcer
les mots de révolution et de communisme maintenant ?
§ 3 – Dans la problématique de
la Matérielle, c'est toute tentative d'articulation du présent
avec la révolution qui tombe sous l'accusation de spéculation.
la Matérielle devrait dire ouvertement qu'elle ne vise
pas une théorie de la révolution mais une théorie
de la lutte des classes. Mais une théorie de la lutte des classes
qui n'est pas une théorie de la révolution et du communisme
et qui se refuse à l'être et se construit comme ce refus
ne peut plus être qu'une théorie du partage de la valeur
ajoutée, de l'opposition entre pauvres et riches. En cela les notes
de lecture intitulées « Les classes existent » (signées
la Matérielle et disponibles sur le site internet «
l'Angle mort ») ne sont pas innocentes, même si la réponse
à un jeune de la Ligue Communiste rattrape un peu le coup. En effet,
ces notes étaient, volontairement ou non, un petit coup de force
théorique effectué de façon anodine : « Les
Classes et leur Antagonisme » c'étaient purement et simplement
les chiffres qui suivaient, le titre (gras et majuscules) avait valeur
d'analyse et de concept. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du
beurre, la communisation et la lutte des classes factuelles d'en-bas telle
que la Matérielle veut nous la raconter, c'est-à-dire la
construire. Il faudrait même se demander comment la Matérielle
peut encore parler de classes, elle qui ne peut connaître que des
salariés et des propriétaires, le " jeune ligueur communiste
", dans son enthousiasme, ne s'y était pas trompé.
§ 4 – la Matérielle joue sur
une ambiguïté qui est à limite de l'incohérence.
Son vocabulaire, le cadre formel dans lequel le discours s'énonce
(son environnement), le lectorat auquel elle s'adresse (et même
manifestement son intention) situent son discours dans les problématiques
de la révolution communiste, cela lui vaut quitus. Mais tout son
discours propre, interne, consiste en une seule proposition : la lutte
des classes au présent ne parle ni de la révolution ni du
communisme, toute tentative de liaison est « spéculation »
et « théorie postprolétarienne ». Il ne s'agit
d'une théorie de la révolution que par contagion. Elle ne
peut exister que comme réflexion critique sur les théories
dites « postprolétariennes » ou « spéculatives
» et ne peut s'énoncer que dans des lieux où ces théories
s'énoncent. C'est une réflexion qui, séparée
de tout ce contexte, s'effondre : elle n'a de sens que parce qu'on la
suppose (effet de contexte) théorie ayant quelque chose à
dire sur la révolution mais elle ne s'énonce elle-même
que comme théorie syndicaliste du partage de la valeur ajoutée,
elle ne peut le dire sans perdre alors tout intérêt et s'effondrer
en tant que théorie même de la lutte des classes. la
Matérielle
cherche à donner une réponse à une question qu'elle
ne peut pas poser. Il y a bien sûr le clynamen, c'est-à-dire
le syndicalisme plus un miracle.
§ 5 – la Matérielle aime bien
reprendre une citation du Journal d'un gréviste de Louis
Martin : « il n'est pas imbécile de penser qu'un mouvement
puisse dépasser ses causes initiales... ». Pour qu'un tel
dépassement existe encore faut-il qu'il y ait rapport (une relation
produite) entre les deux situations, or le clynamen est la négation
de cela et toute tentative de production de cette relation tombe immédiatement
dans l'enfer de la spéculation (il faudrait se demander pourquoi
la Matérielle ne peut comprendre le cours de l'histoire
comme production que comme une réalisation).
Mais même la Matérielle ne peut résister
à la tentation fatale de penser la liaison entre la situation actuelle
et la révolution. Il lui faut résoudre la quadrature du
cercle : faire la théorie, c'est-à-dire penser maintenant,
quelque chose qui n'a (pour la Matérielle) que la nécesité
de ne pas être nécessaire (l'aléatoire n'est que l'envers
de la nécessité). Au lieu de s'en remettre prudemment à
la pluie des atomes et à la Providence, la Matérielle
cherche à expliquer l'inexplicable par nature : leur déviation
(seulement constatable ex post). S'étant coupé l'herbe sous
les pieds (le communisme n'est en rien actuel - cette actualité
c'est pour la Matérielle la caractéristique à
laquelle on reconnait la spéculation), la critique de la spéculation
va accoucher d'un imparfait système spéculatif.
§ 6 – La révolution n'est pas l'activité
d'une classe, mais « activité de la lutte elle-même
». La lutte étant une activité, la révolution
est donc l'activité d'une activité. On ne peut en rester
là, en fait « l'activité de la lutte » produit
et reproduit sans cesse les classes dans leur particularité : «
un processus infini de constitution ». On aurait ici dépassé
la spéculation en ce que la lutte des classes n'est plus la médiation
pour faire advenir la nature révolutionnaire d'un sujet, le prolétariat.
En fait pour l'instant on n'a que la critique classique du programmatime
et de la théorie de la nature révolutionnaire du prolétariat
et une affirmation un peu alambiquée de l'implication réciproque.
Mais voilà le processus est « infini » et là
on assiste à un véritable tour de force : le processus infini
existe comme tel .... « jusqu'à la fin ». Et pourquoi
le processus infini parvient-il à sa fin (« fin » qui
notons le bien n'est pas indeterminée mais explicitement définie
comme « communisation de la société » et «
abolition des classes ») ? Parce que cette fin est (que les anti-spéculatifs
ferment les yeux) : « l'ultime manifestation (souligné
par moi) de la chose ». Retour à la question de départ
que la Matérielle s'était posée à
elle-même : « dans quelles circonstances la lutte entre la
classe prolétaire et la classe capitaliste, agissant chacune pour
la défense de leurs conditions de reproductions respectives, peut-elle
« dévier » de son sens défensif et prendre un
tour révolutionnaire ? ». Nous le savons maintenant : la
« déviation » et le « tour révolutionnaire
» sont « l'ultime manifestation de la chose ». Hegel
a enc... Epicure.
Déclinaison de la
critique centrale
§ 7 –
Toutes les autres remarques que l'on peut faire sont une mise en musique
du thème central.
§ 8 – L'immédiatisme dont la Matérielle
cherche à se défendre est, pour elle, incontournable : le
clynamen, par définition, peut " fortuiter "
n'importe quand.
§ 9 – Impossibilité dans le cadre théorique
qui est formalisé de passer des formes salaire / intérêt
/ profit / rente à la plus-value (abstraction) sans « retomber
» dans tout le système des contradictions du Capital (le
livre et le mode de production) : le capital comme contradiction en procès
(la baisse tendancielle du taux de profit) etc.
§ 10 – Incompréhension structurelle
à la démarche de la Matérielle du dépassement
révolutionnaire de la lutte des classes actuelles comme étant
présent et non une relation déterministe entre deux moments
d'un arc historique existant préalablement comme nécessaire.
§ 11 – Une théorie qui aussitôt
dite s'achève dans un je ne peux rien dire.
§ 12 – Une théorie qui veut s'en tenir
au « ce qui se passe », au « il y a », mais «
il y a » présuppose un dispositif théorique qui découpe,
formalise et dit ce qu'« il y a » (même en allemand).
§ 13 – Les luttes entre les classes ont pour
objet le « bout de gras » (la matérielle), c'est exact
mais la dispute sur ce « bout de gras » présuppose
tout un mode de production et toutes ses contradictions.
§ 14 – Malgré ses proclamations pragmatiques
la Matérielle ne peut sortir du domaine de la théorie
sur la théorie (la metathéorie). Le programme éditorial
est une reconnaissance explicite de cet enfermement. Se voulant réflexion
sur la révolution en ce qu'on ne peut pas en parler (c'est l'incohérence
constitutive de la Matérielle), elle ne parle de la révolution
que dans la mesure où d'autres en parlent. Même pour la période
classique du programmatisme la Matérielle ne sort pas d'une histoire
des idées, le « noyau rationnel » du programmatisme
n'est pas un certain rapport entre les classes et des modalités
de l'exploitation mais « la dialectique », l'influence hégélienne.
§ 15 – Faire une théorie qui aurait
quelque chose à voir dans le domaine des théories de la
révolution devient ne pas parler de la révolution. Une théorie
de la révolution serait une théorie posant comme principe
que la révolution ne peut pas être son sujet, mais alors
c'est une théorie de la misère du monde. L'incohérence
de la Matérielle est de se situer dans le discours théorique
sur la révolution communiste. Si l'on peut prononcer les mots de
révolution et de communisme c'est qu'au présent il y a quelque
chose qui nous le permet, mais pour La Matérielle on franchit
là le pas de la spéculation. Ou alors il faut dire clairement,
comme Kant répondant à Descartes, que la possibilité
d'avoir une idée de dieu ne pose pas plus dieu comme une réalité
que le fait de parler des fées est une preuve de leur existence.
A ce moment là il faut dire que la révolution communiste
est une utopie, un rêve, un désir humain. Pourquoi pas ?
mais alors il faut assumer et assurer.
§ 16 – Il faudrait expliquer comment cet «
acquis de la communisation » peut être conservé dans
une problématique tout autre. Comment la « théorie
postprolétarienne » peut avoir produit tous les fondamentaux
sur lesquels fonctionne la Matérielle : restructuration,
implication réciproque, disparition de l'identité ouvrière,
affirmation de la classe, cycle de luttes. Si la communisation est «
le point ultime du paradigme ouvrier » il doit s'effondrer avec
lui, ou alors il faut expliquer cette permanence historique. La raison
de cette permanence est interne au discours de la Matérielle,
elle lui est absolument nécessaire car elle-même ne peut,
à partir d'elle-même, parler de révolution communiste.
(…)
Conclusion
: pourquoi la Matérielle ?
§ 42 – la Matérielle développe
un discours « révolutionnaire » post-moderne (guillemets
parce que la problématique de la Matérielle évacue
elle-même la possibilité de parler de révolution )
: élimination de tous les « grands romans », esthétique
du fragment, ouverture éclectique, instabilité, hétérogénéité
des citations. On ne saurait dénier toute vérité
à cette critique du messianisme révolutionnaire, de la rationalité
historique, du progressisme que la Matérielle partage
avec l'idéologie post-moderniste mais de là à réduire
l'oeuvre de Marx et la théorie de la révolution communiste
jusqu'à aujourd'hui à ces éléments il y a
un peu d'abus. On trouve dans la Matérielle quelque chose
de nouveau dans le champ de la théorie de la révolution
communiste : une théorie révolutionnaire serait une théorie
de la lutte des classes dont le dispositif impliquerait que l'on ne puisse
pas parler de la révolution et du communisme (la façon dont
la Matérielle tente de relier sa théorie de la
lutte des classes dans un sursaut spéculatif, la « forme
ultime », apparaît en fait comme surajoutée). Une théorie
de la lutte des classes d'un côté, de l'autre un communisme
qui, via le clynamen, n'a plus aucun rapport avec la première.
La seule façon de parler de la révolution deviendrait l'impossibilité
d'en parler, à condition que d'autres en parlent car si la
Matérielle ne pouvait plus se placer dans cette posture d'
« autocritique » sa théorie serait immédiatement
rejetée hors du champ d'une théorie de la révolution.
Dans la Matérielle, la critique de la transcroissance
entre le cours immédiat de la lutte de classe et la révolution,
la critique de toute positivité faisant son chemin dans le cours
de l'histoire (qui n'existe que pour être ce chemin), sont devenus
l'objet même de la théorie. Il y a erreur sur le programatisme
dont la critique est ramenée à une critique théorique
et non à l'analyse de modalités historiques de l'exploitation.
Ibi statur, dit la Matérielle, « restons
en là ». C'est une expression radicale, mais unilatérale,
de la situation du prolétariat face au capital dans le nouveau
cycle de luttes : le prolétariat ne peut plus produire à
partir de ce qu'il est immédiatement dans le mode de production
capitaliste les bases de la société future. C'est là
qu'en reste la Matérielle : nous sommes jetés dans
un petit bout d'histoire qui n'a plus
aucun sens. De cette position en apparence solide, la Matérielle
peut pointer tous les risques théoriques inhérents à
voir dans la situation actuelle son dépassement. Solide, car constamment
la lutte du prolétariat est renvoyée aux catégories
de l'autoprésuposition du capital. Mais solide seulement en apparence
car c'est à propos des catégories de l'autoprésupposition
du capital et des seuls aspects de la lutte de classe pouvant être
ramenés au partage de la valeur ajoutée et au syndicalisme
que la Matérielle devrait dire « restons en là
» .
§ 43
– Cela n'empêche que de ce poste d'observation théorique
la Matérielle assure une sorte de veille théorique
sur tous les risques de dérapages « spéculatifs »
inhérents à une théorie de la révolution dans
la situation présente de disparition de toute positivité
révolutionnaire et oblige à faire attention à ce
que l'on écrit. la Matérielle est la critique interne
de la théorie de la révolution dans ce cycle, critique que
toute théorie de la révolution doit se faire à elle-même.
Le problème réside dans le fait que, dans la Matérielle,
cette critique interne s'est en quelque sorte « autonomisée
» et se donne comme la totalité d'une théorie nouvelle.
On retrouve là, dans cette « autonomisation » (guillemets
car en même temps que « théorie nouvelle » la
Matérielle se veut processus d'autocritique des théories
dites « post-prolétariennes »), son incapacité
essentielle à être cohérente sur sa propre légitimité
à prononcer les termes de révolution et de communisme du
fait que sa cohérence, en tant que théorie, est à
l'extérieur d'elle-même (dans les autres théories).
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