La
Lutte sale des nettoyeurs de train en Italie
(Septembre
2001Juillet 2002)
Qui pense trouver [ici] une image difiante du
proltariat, sera du ; comme qui croit que le continuum de rumeurs, sueur, ennuis et insultes, qui est
lexprience quotidienne des salaris ne peut tre bris par la lutte.
Lotta sporca,
p. 20
Au dpart de cette lutte, rappelons quil y a le
renouvellement par les Ferrovie dello Sato (FS) de lappel doffre
pour le nettoyage des trains sous-trait des entreprises adjudicataires des
marchs. loccasion de ce renouvellement, les FS ont impos une rduction des cots de 40%, laquelle
les entreprises prives ont rpondu tout naturellement par une diminution de
leurs effectifs en licenciant 8000 salaris sur 13000 (ou en ne renouvelant pas
leur contrat). En mme temps, les 5000 restants passaient de 35 ou 38 heures de
travail 24 ou 20 heures, ce qui signifie non seulement une augmentation de
lintensit du travail mais aussi une rduction de moiti de leur paye. La
rponse des nettoyeurs de train fut dautant plus violente que les nouveaux
contrats devaient entrer en vigueur quasi immdiatement.
Nous publions cidessous de larges extraits de la
conclusion de Lotta sporca, le
livre que les camarades du CRAC (Centro
di ricerca per lAzione Comunista)
ont consacr cette lutte (Turin 2002).
Cette lutte sale , ne pas confondre avec une
sale lutte (qui, en italien comme en franais signifie quelque chose de dgotant :
une sale guerre ou une sale affaire ) nonobstant le jeu de mot
partir de la qualit de ses acteurs , se distingue des luttes propres
(portant sur la stricte dfense de la condition salariale) par son contenu
comme par ses formes. Elle a galement t voque dans le n. 100 dchanges (Du bruit sur les rails, par un camarade italien ). Dans le n. 102, elle a
donn lieu un dbat polmique entre lauteur du premier article et un
camarade allemand prsent sur les lieux (Du bruit sur les rails et
maintenant du bruit dans les groupes),
dbat auquel H. Simon rpond dans un texte qui se veut explicitement
thorique : Comment lire la lutte de classe ?
Sans entrer ici dans le dtail de la polmique on
retiendra, comme le titre de larticle de H. Simon lindique clairement, quil
sagit du rapport entre les luttes immdiates , particulires et ce que
nous sommes quelques uns a appeler le courant communisateur . Ainsi, le
camarade allemand peutil crire que son propos ne porte pas uniquement sur la
grve et son droulement mais aussi sur la manire dont nous considrons les
luttes en vue dy dceler les tendances communistes et le chemin vers la
rvolution. [1] Ce quoi le
camarade italien rpond : les luttes sociales sont toujours des
luttes pour des buts immdiats, et seul le cours de la lutte peut dterminer,
ventuellement, une prise de conscience rvolutionnaire. [2]
Et H. Simon conclut : si la forme quelle [la lutte des nettoyeurs de
trains] a pu prendre traduit bien quelle se trouve dans ce courant dautonomie
dont on a pu voir ailleurs des manifestations rcurrentes, ses objectifs et son
droulement sont bien rests dans les limites tolrables par le systme (). Ce
qui nous intresse, () cest ce quelle rvle dune autoorganisation et
nullement dy chercher des choses qui ne sy sont pas passes (). [3]
On verra dans le texte qui suit comment les camarades du CRAC adoptent une position plus nuance, plus proche des
vicissitudes du cours quotidien de la lutte et moins formaliste que ce soit du point de vue de son autonomie ou
de ses tendances communistes au profit dune subjectivit militante .
Ce dbat est fondamental et pour cela il est vieux
comme le mouvement ouvrier qui la vu natre travers sa scission fondatrice
entre les marxistes et les anarchistes ou entre le courant collectiviste
autoritaire et le courant communiste libertaire , pour reprendre
lexpression de ces derniers.
Dans les termes o il sexpose ici, malgr un certain
formalisme, pour une part, comme je viens de la dire, il a lavantage de
renvoyer immdiatement la dimension pratique des luttes auxquelles il fait rfrence. Il nen
demeure pas moins mon sens en de de la question de la communisation, justement cause de son caractre formel. Celleci
est une question ouverte , en ce sens que personne ne peut dire concrtement
aujourdhui quoi renvoie ce terme, de manire positive. Raison de plus pour relever les points dappuis
possibles lorsque lon croit en avoir rencontrs. cette fin je voudrais
proposer que lon retienne de lanalyse qui suit une thse que me parat
importante (elle est nonce dans les dernires lignes du livre) : le fait
que dsormais le proltariat, en tant quil est lintrieur du rapport
capitaliste, oscille entre la ncessit de sa propre reproduction sociale et la
lutte contre cette ncessit et
cest l une dynamique interne la lutte de classe . La formule est trs
gnrale, et les camarades du CRAC
ne la dveloppent pas plus que a. Nonobstant le fait quil nest pas vident
que pour ces camarades la solution ne rside pas dans une sortie du proltariat
des rapports capitalistes (comme le fait quils aient besoin de prciser en
tant quil est lintrieur de ceuxci et dautres passages de leur analyse
peuvent le donner penser), il semble que ce sont ces oscillations dynamiques
autour de la question de la reproduction de la force de travail qui
caractrisent toutes les luttes sales daujourdhui (a contrario des luttes propres qui se dnouent sans plus la
table des ngociations sur la base dun accort portant sur une vie de vaincu
vivable A. Joxe).
On pourrait reformuler la chose dune autre manire en
disant que pour la classe proltaire, lutter pour la dfense de sa propre
reproduction dans les rapports sociaux capitalistes passe dsormais par le fait de lutter contre
sa propre existence immdiate dans et par ces rapports. Cette manire dexposer le problme nest pas
tellement diffrente, dans sa problmatique, de la formule canonique de Thorie
communiste : Comment le
proltariat agissant strictement en tant que classe peutil abolir les
classes ? (n. 15, p.1) ;
elle peut mme lui apporter un dbut de rponse. Si elle le fait, toutefois, ce
nest pas sans focaliser cette rponse sur la question de la reproduction de
la force de travail - ce qui est une
question pratique, ici et maintenant , et ce nest pas, en outre, sans
impliquer dans la solution la classe capitaliste qui dtient prcisment ces
conditions de reproduction Pour le coup, nous avons l une belle
contradiction ! Gardons ce nud thorique en mmoire pour la suite
et, sans chercher en percer le pourquoi , essayons de voir plutt le
comment de la chose ; si tant est quil est vrai quen la matire, on ne
peut rsoudre thoriquement un problme sil nest pas pos pratiquement.
C.Charrier
Novembre 2003