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la Matrielle n. 10, octobre 2003

 

FIAT MIRAFIORI EN 1969 :

SURGISSEMENT ET DECLIN DE LOUVRIER-MASSE

 

Mouvement communiste n.9

PrintempsЃt 2002

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postmaster@mouvement-communiste.com

 

propos du livre de

D. Giachetti et M. Scavino : La Fiat aux mains des ouvriers. Lautomne chaud de 1969 Turin. d. Les nuits rouges, Paris 2005

 

 

Les perdants sont souvent privs de mmoire. Vous au silence et loubli ils sont subordonns lhistoire et aux raisons de lennemi vainqueur. Lhistoire du mouvement ouvrier est ainsi gnralement rduite lՎtude de simples donnes sociologiques. Le conflit de classe ny est gure analys quen tant que rgulateur du mode de production capitaliste. Lhistoriographie ouvrire, si dpourvue soit-elle , a donc la responsabilit majeure de protger la citadelle de la mmoire des luttes ouvrires contre les relectures acadmiques voire anecdotiques, lissant les asprits proltariennes irrductibles -et partant incomprhensibles- lennemi bourgeois.

 

Lusine Fiat Mirafiori de Turin, fleuron de lautomne chaud italien de 1969 compte parmi les citadelles de la mmoire protger du mpris avec lequel la bourgeoisie sefforce aujourdhui de cacher son visage de lՎpoque, dform par la grande peur des annes rouges. Giovanni Agnelli a eu beau jeu, pour le centenaire de la naissance de la firme en 1999, de rduire les annes de radicalit ouvrire une  grande sarabande . Lhistoire est crite par les vainqueurs. En renouant avec sa propre histoire le militant ouvrier rvolutionnaire ne fait pas seulement entendre le  rire triomphant de perdants , en souvenir de la rvolte, de la fantaisie, de la libert, de lintelligence ouvrires qui prosprrent une trop courte saison ; il sinscrit dans le fil du temps dune lutte de classe qui ne connatra jamais la paix des braves. La mmoire ouvrire fait partie de larsenal des armes pour laction, afin que demain comme hier larrogance des petits chefs datelier ne fasse plus lair du temps.  Lunique musique que le patron est capable dentendre cest le silence des machines larrt. 

 

 La Fiat in mano agli operai, lautunno caldo del 1969  [La Fiat aux mains des ouvriers, lautomne chaud de 1969. N.d.R.] de Diego Giachetti et Marco Scavino sinscrit dans l interdpendance trs troite entre lhistoire de la grande entreprise turinoise et lhistoire nationale  italienne. De fait, le dveloppement de FIAT a longtemps dessin le paysage industriel de lItalie et dtermin les mouvements de populations intrieurs. Laboratoire social elle a galement subi les coups ouvriers les plus rudes et fut lavant-garde des contre-offensives patronales jusquՈ promouvoir Rome des gouvernements estampills FIAT. Restituer la figure ouvrire de 1969 renvoie aussi lՎtat desprit ambigu de la classe dominante italienne dans cette priode qualifie de  casse-tte historiographique  pour sa complexit, ses formes de luttes, de ngociations, de rpression nouvelles, les contradictions au sein mme des classes en lutte et lautonomisation de segments respectifs vis--vis de lappareil dEtat. Louvrage a parfaitement insr la radicalit ouvrire au cur de ce tumulte social et politique. La modernisation conomique de lItalie, qui voit son revenu national doubler de 1952 1963, arrache plusieurs millions de travailleurs au secteur agricole mridional qui seront disponibles pour les industries du nord de la pninsule ou vous au dpart lՎtranger. Turin comptait 700 000 habitants en 1951 ; ils seront 1600000 (premire et seconde ceintures comprises) en 1962. Les quartiers traditionnellement ouvriers dbordent dune masse proltarienne sans prcdent - Mirafiori Sud passe de 19 000 habitants en 1951 120 000 en 1960, Lingotto de 24 000 43 000 et Santa Rita de 23 000 89 000 ‑ venue du Sud de la botte les les, la Campanie, le Basilicate, les Pouilles. FIAT embauche : 22 000 ouvriers pour la seule anne 1968, sans mme plus  appliquer les critres de slection ni la priode dadaptation graduelle car il y a urgence productive. Cette jeunesse ouvrire dracine nourrit les contingents dO.S. et donne corps louvrier-masse, peu qualifi, contraint des tches parcellaires rptitives, rfractaire la discipline dusine et pourtant indispensable au procs de production fordiste. Elle ne se reconnat pas dans la vieille classe ouvrire de mtier de Turin, dfendant la spcificit professionnelle, cultivant lՎthique du travail comme base de lidentit ouvrire, faisant volontiers des heures supplmentaires, habitue la ngociation contractuelle par catgories, confie aux bons soins des syndicats. Or, dans les annes 60, le taux de syndicalisation est son minimum historique. Les syndicats ignorent cette masse de jeunes travailleurs qui  connaissent peu les syndicats, leur langage, leurs appareils, les mcanismes du conflit, les rgles de la mdiation contractuelle sdimente par des annes et des annes dexprience quils navaient pas partages . Tandis que le vieil ouvrier de mtier est fier de porter luniforme FIAT, le jeune O.S. immigr sen fout mais revt par contre minutieusement casque, lunettes et gants de protection contre la dangerosit des tches. Lorsque la rage des O.S. explosera contre le systme despotique de commandement, contre la hirarchie des chefs, contre les rythmes de travail, pour laugmentation gale des salaires et la suppression de la catgorie de salaire la plus basse, elle imposera ses propres rituels autour de la grve sauvage tournante destine frapper le patron le plus durement au moindre cot. Cela reviendra faire voler en clats le cadre contractuel des syndicats : blocage de la production, prolongation intempestive des heures de grve syndicale, arrt sans avertissement des machines, grves tournantes par dpartement qui crent des goulets dՎtranglement, hurlement de slogans et de mots dordre menaants envers lennemi de classe, cortges internes pour nettoyer les ateliers rticents entrer en lutte, humiliation des petits chefs contraints douvrir le cortge en brandissant le drapeau rouge, jets de ttes de lapins ensanglantes en direction des jaunes et des employs comme signe de leur couardise, apparition de cercueils destins aux membres de la direction. Considrs et traits comme des btes par lencadrement et le Parti Communiste Italien, les jeunes proltaires immigrs se font un plaisir de ragir comme des btes, en vrit la seule humanit quautorise cet univers. La violence paysanne rejaillit instinctivement contre la sauvagerie de lusine. Les luttes sont dures dabord pour vaincre la peur engendre par la dictature de fabrique, ensuite afin que la peur change de camp. Les affrontements du Corso Traiano le 3 juillet 1969 diffusent une premire fois le combat dans la ville . Les retenues sur salaire pour fait de grve sont effectivement importantes. Or, lafflux de nouveaux habitants sur Turin a cr une pression sur les loyers qui reprsentent, avec les charges affrentes, 50 % 60 % du salaire ouvrier. Les expulsions sont nombreuses pour factures impayes et, plus encore, par spculation. Dans le climat deffervescence sociale le refus de la subordination s'tend automatiquement aux propritaires et devient refus de payer afin de ne plus tre trangl, de disposer des moyens de continuer la lutte sans sՎpuiser. Comme le soulignera un numro du journal Lotta Continua :  On ne se fatigue jamais de ne pas payer.  Le proltariat combattant de ces annes vrifie ainsi que le mot dordre :  Seule la lutte paye  est une ralit. Chez FIAT, le salaire horaire des ouvriers, demeur stable plusieurs annes, passe entre 1969 et 70 de 785,62 lires 953,36 lires, atteignant 1034,62 en 1971 et 1241,86 en 1972, soit une augmentation de prs de 70 % en 3 ans. Giachetti et Scavino interrogent aussi lorganisation des luttes et notamment la figure du dlgu qui merge durant lautomne chaud et nourrit un vif et riche dbat parmi les ouvriers combatifs :  Les dlgus taient-ils un instrument de lautonomie ouvrire, partiellement incontrlables par les syndicats ou taient-ils simplement les nouvelles structures syndicales dans lusine ? Etaient-ils ns spontanment des luttes ou avaient-ils t  invents  quasiment autour dune table par les organisations ? Ou bien encore taient-ils la nouvelle expression de base que les syndicats avaient fait leur et dune certaine manire dnature ?  De fait, contraints de  chevaucher le tigre , les syndicats procdrent dans lurgence laggiornamento de leurs structures et des mthodes de luttes afin dՎpouser au plus prs la vitalit du mouvement ouvrier et de sa  gurilla revendicative . Non sans mal considrant le rejet de la dlgation sous le mot dordre :  nous sommes tous des dlgus . Nanmoins, lopration se  rvle en mesure dintgrer dune certaine faon dans lenveloppe syndicale la conflictualit endmique dusine et den contrler les pousses qui, autrement, auraient pu prendre des caractres plus explicites de rupture . Ladaptation des syndicats au cycle de luttes aura t remarquable, le premier choc pass, arborant la  lutte dure , qui sՎtait initialement dresse contre leur culture de ngociation, comme enseigne de la  nouvelle culture syndicale . Les auteurs rendent enfin compte de leffervescence des groupes politiques ouvriers, entre autres Lotta Continua et Potere Operaio dont les militants tudiants du groupe de Pise sՎtaient implants Turin quelques mois plus tt, et des pres discussions sur la dfinition de la priode qui souvrait. Sagissait-il dune agitation ouvrire gnralise exigeant des points dappui organisationnels stables dans lusine ou dune crise rvolutionnaire qui induisait un travail politique de formation des cadres et lintransigeance absolue, dans les batailles revendicatives, jusquՈ la rupture des noyaux proltariens davant-garde ? Cest donc lhistoire des ides produites par la lutte, les catgories de la gauche ouvrire issues spontanment de laction  qui sont revisites sans jamais cder un regard idologique. Le dlgu, par exemple, nՎtait pas plus une cration syndicale artificielle quune demande spontane des masses ; mais apparat dabord en rponse au besoin rel de coordonner les luttes. Rponse partielle, temporaire, prcaire qui ne prjuge en rien  de son volution ultrieure, rsultante du rapport des forces lusine et de la bataille politique. De mme la catgorie de louvrier-masse acquiert une fortune politique au moment de son dclin dans la ralit productive de lusine. Puissante fresque de lՎlan ouvrier la FIAT la fin des annes 60, la monographie de Giachetti et Scavino a brillamment fait uvre de mmoire en sappuyant sur une documentation riche et rigoureuse.

 

Diego Giachetti et Marco Scavino, La FIAT in mano agli operai, lautunno caldo del 1969, BFS Edizioni, Pise 1999, 220 p., 30 000 Lires.

 

 Le cortge interne contribuait donner conscience aux travailleurs de leur force. Avec le cortge il semparaient de lusine, la parcourant en tous sens et la librant du travail, de la fatigue, de la peur des chefs et des gardiens. Le cortge dstructurait lautorit constitue en mme temps quil  dmontrait, par sa prsence, que celle-ci tait dsormais incapable de contrler et de ragir ce type de luttes. Comme la not tout de suite, lautomne chaud peine conclu, Gino Giugni, un des pres du statut des travailleurs, ces luttes, qui avaient ingnieusement trouv le moyen de paralyser la production avec un cot minime pour les travailleurs, avaient fait sauter l affection instinctive de louvrier pour le travail et pour la machine et son consentement lautorit ; lautomne chaud, concluait-il imposait aux chefs dentreprise la prise en charge de responsabilits innovantes, parmi lesquelles celle de rechercher de nouvelles formes de contrle de la classe ouvrire qui, purge la crise de lautoritarisme traditionnel, reconstituent le systme de commandement qui est indispensable la production. 

Diego Giachetti et Marco Scavino, La Fiat In Mani Agli Operai, BFS, Pise, I999, p.93. 

 

 Alors, moi, jai commenc faire de lagitation devant la porte. Camarades, aujourdhui, faut quon arrte. Parce quon en a plein le cul de boulonner. Vous avez vu comme le travail est vache. Vous avez vu comme il est chiant. Vous avez vu comme il est reintant. on vous fait croire que Fiat tait la terre promise, la Californie, quon tait sauvs.

Jai fait tous les mtiers, jai t maon, plongeur, dbardeur. Jai tout fait, mais le plus dgueulasse, cest Fiat. Quand je suis venu chez Fiat, jai cru que jՎtais tir daffaire. Le mythe de Fiat, du travail Fiat. Mais cest quune saloperie comme tous les autres mtiers, et mme pire. Ici, les cadences augmentent tous les jours. Beaucoup de boulot et peu de fric. On meurt petit feu sans sen apercevoir. Ca signifie que cest le travail qui est dgueulasse, tous les mtiers sont dgueulasses. Il ny a pas de travail qui soit correct, ce qui est dgueulasse, cest vraiment le travail. Ici et aujourdhui, si on veut amliorer notre situation, on ne doit pas lamliorer en travaillant plus, mais en luttant, en ne travaillant plus, il y a que comme a quon peut lamliorer. On se repose un peu aujourdhui, on prend un jour de vacances. Je parlais en dialecte parce que cՎtaient tous des Napolitains, des Mridionaux. Comme a ils comprenaient tous, la langue officielle pour nous cՎtait le napolitain. 

Nanni Balestrini, Nous voulons tout, Seuil, Paris, 1973, pp.75-76

 

 Seul possde la puissance de crer du nouveau celui qui a le courage dՐtre absolument ngatif. 

(Ludwig Feuerbach. Manifestes philosophiques. PUF. P. 97)

 

 Quoi quil en soit, cest parmi ces  barbares  de notre socit civilise que lhistoire prpare lՎlment pratique de lՎmancipation de lhomme. 

(Marx cit in  Philosophie  par M. Rubel. Gallimard. P. 245)