CONCEPT
PRELIMINAIRE 1
§ 3 – Le
concept que je développe ci–dessous est un concept analytique
au sens où il vise à rassembler et à articuler sous
une appellation commune des réalités empiriques historiques,
factuelles ou textuelles différentes – ce qui ne signifie
pas qu’il soit neutre et dénué de tout parti pris
théorique (nommer quelque chose c’est toujours l’identifier
et donc le poser d’un certain point de vue exclusif de tous les
autres), et surtout de celui qui consiste à refuser toute «
scientificité » lorsque celle–ci se veut déduction
de la réalité dans la multitude de ses déterminations
à partir du concept le plus simple (ce que tente de faire Marx
à partir du cocnept de « valeur » dans le Livre I du
Capital – avec inconséquence – est qui est la «
méthode » de la systématicité spéculative
hégélienne).
« On doit comprendre que les définitions ou
concepts dans les sciences sociales ne sont pas des absolus et qu’ils
ne sont pas des “choses” qui seraient vraies ou fausses. Les
définitions sont des outils qui nous aident à comprendre
la réalité et à clarifier les catégories avec
lesquelles nous examinons la nature de la société humaine.
Ils peuvent être plus ou moins utiles. Ils peuvent clarifier et
rendre plus perceptible notre point de vue sur les éléments
de la société que nous examinons. Les définitions
ne sont pas universelles et doivent changer à mesure que la société
change. Dans le pire des cas, les définitions, si elles ne sont
pas clairement formulées, peuvent distordre notre vision de la
réalité sociale et limiter notre compréhension du
monde. »
§ 4 – J’appelle THEORIE
DU PROLETARIAT (comme Sujet ou SUJET PROLETARIEN),
toute la production théorique existante depuis le milieu du XIXe
siècle dans son unité spéculative ou dans sa systématicité
scientifique comme théorie du sens révolutionnaire de la
classe prolétaire moyennant son existence historique comme SUJET
POLITIQUE. Elle est initiée par Marx en 1847 avec l’établissement
du SYLLOGISME DU PROLETARIAT
:
« Ainsi cette masse est déjà une classe vis–à–vis
du capital, mais pas encore pour elle–même. Dans la lutte
(…), cette masse se réunit, elle se constitue pour elle–même.
» (Misère de la philosophie).
Elle est avant tout une théorie rationnelle (spéculative)
de l’histoire en général :
« Pour le Marx de Mars 1845, ce n’est pas assez de dire avec
Hegel que le “réel est rationnel” et que le rationnel,
nécessairement se réalise : il faut dire qu’il n’y
a de réel, et de rationnel, que la révolution. » (§
44)
Elle est en particulier une théorie de la lutte de classes et donc
du Capital, qui implique une THEORIE DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE,
c’est–à–dire une théorie de la révolution
comme « œuvre victorieuse » du Sujet prolétarien
réalisant par là son sens historique ou sa « signification
historique ».
§ 5 – La théorie du Prolériat
(et donc de la révolution prolétarienne) est un moment historique
de la THEORIE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE qui ne
s’achèvera qu’avec la révolution elle–même.
§ 6 – Le PARADIGME OUVRIER
DE LA REVOLUTION est l’existence concrète, c’est–à–dire
historiquement déterminée, positivre, pratique, organisationnelle
et programmatique, de la théorie du Prolétariat.
« Le concret est, suivant l’étymologie
latine du mot, le résultat d’un croître–ensemble,
d’un se–développant ensemble, ou encore d’un
déploiement d’une différenciation dans l’unité
; il est donc, comme le dit Hegel, « une unité de déterminations
différentes ». Le positif est le fini déterminé,
stabilisé (momentanément) dans sa finitude historique et
dans lequel le négatif de l’infini rationnel, de la vie a
disparu. Ainsi, Hegel peut opposer le négatif du christianisme
primitif à la théologie positive.
§ 6 bis – Le paradigme ouvrier de la révolution
connaît sa première crise majeure avec la critique ultra–gauche
de la social–démocratie et du léninisme ; il se «
décompoe » à partir de la fin des années soixante
et disparaît effectivement à la fin des années quatre–vingt
avec l’effondrement de l’U.R.S.S. et de ses divers vassaux
du « bloc de l’Est ».
§ 7 – J’appelle THEORIE POSTPROLETARIENNE
DE LA REVOLUTION toute la production théorique existante
depuis la fin des années soixante. Elle est dite ainsi au sens
où elle est une ré–élaboration (critique mais
toujours spéculative) de la théorie du Prolétariat
et de la révolution prolétarienne, à partir de la
crise du paradigme ouvrier, sur la base de la critique de la classe prolétaire
comme sujet politique. En ce sens la théorie postprolétarienne
est un moment historique de la théorie du Prolétariat et
elle ne peut que s’achever avec elle.
Le texte de J. Barrot (alias G. Dauvé) : Critique de l’idéologie
ultra–gauche (I.C.O. 1969), peut–être considéreé
comme l’un des principaux textes fondateurs de la théorie
postprolétarienne de la révolution en général.
§ 8 – La théorie de la révolution
comme COMMUNISATION IMMEDIATE DE LA SOCIETE (sans
période de transition) est le principal acquis du cycle théorique
désormais clos de la théorie postprolétarienne de
la révolution.
§ 8 bis – Malgré cette unité
de vue sur la fin, elle se divise en deux grands courants quant au sens
et aux déterminations du processus qui y conduit, selon l’angle
d’attaque de la critique du paradigme ouvrier et la perspective
historique dans laquelle s’inscrit le communisme.
§ 9 – Le COURANT UNIVERSALISTE
est le plus important et le plus diversifié. Son angle d’attaque
est la critique de l’affirmation du travail. La révolution
communiste est conçue comme achèvement de l’arc historique
universel de l’aliénation humaine telle qu’elle est
incarnée hic et nunc par la classe prolétaire. Historiquement,
c’est la première forme qu’a prise la critique du paradigme
ouvrier de la révolution.
Le livre de B. Astarian : le Travail et son dépassement est
l’expression la plus systématique du courant universaliste.
J. Camatte dans la première série d’Invariance
(à partir de 1968) peut être considéré comme
l’initiateur de ce courant.
§ 10 – Le COURANT ACTUALISTE
a pour unique actuel représentant le groupe qui publie la revue
Théorie Communiste. Il s’est construit plus tardivement
que le courant universaliste (à partir de 1977) contre celui–ci.
Son angle d’attaque principal du paradigme ouvrier de la révolution
(qu’il nomme « programmatisme ») est l’affirmation
du prolétariat. La révolution communiste est pour lui le
strict produit de la « contradiction prolétariat/capital
», conçue comme « exploitation ».
Le livre de R. Simon : Théorie du Communisme, vol. I, «
Fondements critiques d’une théorie de la révolution
– Au–delà de l’affirmation du prolétariat
» est l’expression la plus achevée du courant
actualiste… et de ses ambitions. Le texte la Révolution sera
communiste ou ne sera pas, de Une tendance communiste (courant
minoritaire du groupe Révolution Internationale –
aujourd’hui Courant Communiste International ) animé
par Bérard peut être considéré comme l’initiateur
du courant actualiste.
1. Écrivant ces lignes et surtout celles qui suivent,
je m’aperçois que j’ai souvent tendance à penser
la théorie post–prolétarienne de la révolution
à travers le prisme de son courant actualiste et, par là,
d’aplatir la spécificité des thèses du courant
universaliste… La raison subjective en est certainement que je suis
issu de ce courant que j’ai contribué dès son origine
à établir contre le courant universaliste ; une autre raison
– plus intéressante théoriquement – est que
le courant actualiste pousse jusqu’au bout la théorie de
la révolution communiste dans la voie de la systématicité
spéculative – il est plus conséquent que le courant
universaliste dans les reproches qu’il lui adresse – et que
par là, il est l’archétype de la théorie postprolétarienne
de la révolution dans ses limites… Cela lui donne sans nul
doute sa grande force due à une cohérence qu’il est
difficile de prendre en péché d’inconséquence,
mais cette force ne va pas sans faiblesse : je veux dire son extrême
rigidité qui, dans ses analyses, lui fait avant tout voir dans
l’ «Autre » ce qu’il n’est pas par rapport
à lui–même et occulter ainsi sa logique propre…
2. C’est ainsi que François D. – proche de Théorie
Communiste – , à propos de la question de l’inéluctabilité
de la révolution et du communisme, peut répondre à
l’un des camarades de ce groupe : « (…) en faisant ainsi
abstraction de ce qu’il peut y avoir de vrai dans les “mauvaises
compréhensions” de votre production théorique, tu
ne surmontes pas l’unilatéralité de votre position.
Autrement dit, si le faux est un moment du vrai, la vérité
– la révolution – ne se produit pas seulement à
travers la position la plus correcte du problème – la vôtre
– mais aussi à travers la moins correcte – celle des
indéterministes. » (§ 16)
3. La rigidité « técéiste » est certes
ici assouplie, mais cet assouplissement se fait sur la base de ce qui
fonde celle–ci : par rapport à la « vérité
» de la révolution, il y a des positions « correctes
» (vraies) et d’autres qui le sont moins (fausses)., c’est–à–dire
à travers une problématique typique de la systématicité
spéculative ou scientifique – j’y reveiendrai.
§ 11 – Je n’ai pas l’exclusivité
de cette division en deux courants de la théorie postprolétarienne
de la révolution. Dans un texte récent (Prolétaire
et travail : une histoire d’amour ?) Gilles Dauvé et
Karl Nesic renvoient de fait les deux courants dos–à–dos
à partir d’une critique de ce qu’il nomme le «
déterminisme », c’est–à–dire de
toute position qui considère la révolution comme nécessaire
ou « inéluctable », quel que soit le point de départ
: qu’il s’agisse de considérer la révolution
comme « achèvement de ce que l’on présente comme
le cycle de vie du capital » (courant actualiste), ou comme «
conclusion programmée d’un arc historique dont l’évolution
naturelle porterait le communisme. » (courant universaliste).
§ 12 – Cependant, confondus dans une même
vision déterministe de la révolution, les deux courants
ne sont pas ici identifiés comme tels (quel que pourrait être
par ailleurs le nom qu’on leur donne), c’est–à–dire
dans leur cohérence globale et donc dans leur finitude. C’est
ainsi que la critique de Dauvé et Nesic ne sort pas radicalement
de l’orbite du courant universaliste dans sa recherche d’un
sujet révolutionnaire, d’une « subjectivité
sociale » (p. 33) et que par là son « indéterminisme
» court le risque de se transformer en un « idéalisme
de la liberté ». Pour autant, leur critique ne doit pas être
traitée sotta la gamba dans la mesure où elle suppose la
plupart des enjeux de la théorie de la révolution communiste
telle qu’elle se présente aujourd’hui, tant du point
de vue du « contenu » que de la « méthode »
de ses deux courants. Ils ne vont tout simplement pas jusqu’au bout
de la logique qu’ils initient…
§ 13 – la Matérielle
propose de contribuer à poursuivre la réflexion théorique
à partir du point où s’achève le cycle ouvert
à la fin des années soixante, c’est–à–dire
la théorie de la révolution comme communisation immédiate
des rapport sociaux (je préfère à « de la société
»). Poursuite qui suppose une autocritique de la théorie
postprolétarienne de la révolution et, à travers
elle, une critique de la théorie du Prolétariat.
§ 14 – Les principales publications de cette
période qui ont contribuées à établir la théorie
postprolétarienne de la révolution sont :
1968
• Invariance n°1, Série I : « Origine et fonction
de la forme parti » (à partir de 1972, avec la théorie
de la « surfusion » du capital [n°2, Série
II], J. Camatte abandonne la théorie de la lutte de classes). Ce
numéro date d’avant Mai 68.
1969
• Critique de l’idéologie Ultra–Gauche
(G. Dauvé, sous le nom de J. Barrot).
1972
• Bordiga et la passion du communisme, J. Camatte, éd.
Spartacus, Paris.
• le Mouvement communiste n°1 (J. Barrot e. a.). Cinq
numéros jusque en 1974.
• le Mouvement communiste , J. Barrot, éd. CHAMP
LIBRE.
• Intervention communiste n°1 (R. Simon e. a.). Deux numéros
parus jusque en 1973
1974
• le Nouveau mouvement (H. Simon e. a.).
1975
• Echanges n°1 (H. Simon e. a.). Cent deux numéros
à ce jour – fin 2002.
1977
• la Guerre sociale n°1 (J. Barrot e. a.). Sept numéros
jusque en 1984.
• Crise Communiste (B. Astarian e. a.). Un seul numéro.
• Théorie Communiste n°1 (R. Simon e. a.). Dix
sept numéros jusqu’à ce jour.
1978
• Théorie Communiste – Notes de travail n°3
: « Le programmatisme impossible (Critique de Théorie
Communiste n°1) ».
1983
• Crise et communisme (B. Astarian).
• la Banquise n°1 (J. Barrot e. a.). Quatre numéros
parus jusque en 1986.
2001
• le Travail et son dépassement (B. Astarian), éd.
Senonevero, Paris. Malgré sa date tardive de publication, ce livre
est la poursuite de la réflexion entamée dans Crise et communisme
dont il systématise les analyse.
La théorie postprolétarienne comporte ainsi quatre grands
corpus théoriques, tous initiés entre la fin des années
soixante et la fin des années soixante–dix (au–delà
il n’y a plus de nouveautés notables) :
1) l’ensemble des revues animées (entre autre) par J. Barrot
;
2) le bulletin Échanges ;
3) le revue Théorie Communiste ;
4) la réflexion menée par B. Astarian (et autres) à
partir de la revue Crise Communiste – ce dernier corpus
étant plus éphémère que les trois précédants.
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