LES GREVES EN
FRANCE EN MAI–JUIN 1968
B. Astarian
Échanges et mouvement [1]
2003
Malgré son faible volume et la modestie affichée par l’auteur
dans son préalable, le livre de B. Astarian sur les grèves
ouvrières de mai–juin 1968 est sans doute l’un des
ouvrages consacrés à la lutte de classes parmi les plus
importants de ces dernières années. S’agissant des
« évènements » il comble un manque criant
sur le sujet et ceci de la manière la plus pertinente dans sa
démarche, et la plus « décoiffante » dans
ses résultats par rapport aux idées reçues et à
la mythification de « Mai 68 ». Il faut donc inviter tout
le monde à lire ce petit livre, les « anciens de Mai »
comme les autres, et peut–être les premiers plus que les
seconds ! Le livre se compose de deux parties.
La première rapporte les conditions et les modalités du
déclanchement des grèves et de leur généralisation
: Hispano–Suiza, Renault–Billancourt, Thomson, Rhône
–Poulenc, Peugeot à Sochaux, Rhodiaceta à Lyon,
etc. Puis Astarian ausculte le fameux « mouvement des occupations
» d’usines et ses pratiques effectives, pour terminer par
une analyse des accords de Grenelle et des conditions de la reprise.
Au total il ressort de cette plongée dans le cambouis des grèves,
à mille lieues du romantisme festif ou du « conseillisme
», que celles—ci ont été l’un des arrêts
de travail les plus massifs de l’histoire de la France industrielle
qui s’est soldé par de maigres résultats quant aux
revendications des ouvriers. Du point de vue des augmentations de salaires,
compte tenu du glissement naturel des salaires de l’époque
et du fait que la moitié seulement des heures de grève
sera payée, l’opération est négative (en
1936, on considère que la totalité des acquis obtenus
équivalait à une augmentation de 35 à 49%). En
outre la hausse est hiérarchisée (comme le souhaite la
C.G.T.) et il n’est question dans les accords ni du salaire aux
pièces ni du salaire au poste – qui comptaient parmi les
principales revendications des O.S. Astarian nous décrit une
classe ouvrière majoritairement passive, des usines quasiment
vides à part quelques syndicalistes qui entretiennent le matériel…
Des ouvriers absentéistes qui rentrent chez eux aussitôt
la grève votée – lorsque les syndicats n’ont
pas fermé les portes pour les empêcher de s’enfuir
! Des paradoxes, donc, entre la lourde affirmation de la classe dans
la grève et son manque d’initiative ; entre la force de
la grève, souvent le caractère spontané de son
démarrage, et la large délégation que la classe
ouvrière a accordée aux syndicats (pour les résultats
que l’on vient de voir) ; entre sa faible militance au cours du
conflit et la violence extrême de sa réaction au moment
de la reprise.
La seconde partie, plus brève et plus « classique »
que la première dans sa démarche, propose une analyse
des grèves par rapport à l’histoire des cycles longs
d’accumulation du capital français et apporte des éléments
qui permettent de dégager certains traits de leur modernité
par rapport à la période actuelle. Astarian termine enfin
son travail par une réflexion sur les conditions d’une
grève générale non–insurrectionnelle –
un autre thème d’actualité après les grèves
de décembre 1995 et de mai–juin 2003 – notamment
en rapport avec les différentes phases des cycles longs de l’accumulation
capitaliste, pour conclure : « le travail n’est plus la
base de l’identité de classe, les usines et les bureaux
ne sont que des lieux où l’on gagne de l’argent.
C’est un message très massif que font passer les grévistes
de mai–juin 1968, et il n’a été que peu relevé.
» (p. 83). C’est désormais chose faite et bien faite
avec ce livre ; il ne reste qu’à s’en saisir.
Dès l’instant où ils défendent le système
de retraite existant et refusent les effets de la décentralisation
sur leurs conditions de travail en ne s’ouvrant à aucune
réforme et a fortiori en en proposant aucune, les enseignants
grévistes de mai–juin 2003 considèrent—ils
leur salle de classe comme autre chose qu’un lieu où l’on
gagne sa vie ?
[1] B.P. 241, 75866 Paris Cedex 18 (3,50 Euros).