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a
fair amount of killing
Un texte exotérique de Théorie communiste, un tract
Avril 2003
§ 1 – La
première partie du texte est consacrée a un exposé
rapide de la théorie de la restructuration qui n’a pas de
quoi surprendre dans la mesure où elle nous est connue depuis le
numéro 12 de Théorie communiste (février
1995) ; plus étonnants, en revanche, sont les termes dans lesquels
est décrite la dynamique de celle–ci : « Le prolétariat
était la classe du travail associé et, en tant que tel,
il subvertissait les formes d'appropriation et d'exploitation capitaliste
de ce travail associé qui se révélèrent alors
comme limitées. A la demande de se sacrifier pour “sortir
de la crise”, il avait allègrement répondu que l'obligation
au travail salarié méritait seulement de crever. Contre
ce vaste mouvement de révoltes ouvrières, la classe capitaliste
releva le défi. » (§§ 2–3) L’usage
de l’imparfait vient ici renforcer la forme « récit
» qui est donnée à ce passage qui dans le même
temps met en scène des « acteurs » : le prolétariat
était la classe du travail associé… il subvertissait…
la classe capitaliste a relevé le défis… Où
est passée la « contradiction prolétariat–capital
qui porte son dépassement » ? Pourquoi Théorie
communiste ne parle–t-elle pas toujours comme ça ? On
verra ailleurs ce qu’il en est de la première question ;
la réponse à la seconde est : parce que dans ces conditions
Théorie communiste ne pourrait plus « parler du communisme
au présent », ne pourrait plus « produire théoriquement
» la révolution et le communisme.
§ 2 – Ce double langage n’est pas un
hasard : j’ai déjà dit (la
Matérielle n°4) que pour Théorie communiste
(mais elle n’est pas la seule dans ce cas) l’essentiel de
sa théorie de la révolution était bouclé en
1985 avec le n°6 Théorie communiste : Synthèse.
La « rupture » – qui en fait n’en est pas une
(j’ai été le seul à le croire !) – intervient
avec le n°13 de février 1997 qui voit l’apparition des
premiers éditoriaux à vocation exotérique qui, comme
c’est la règle dans ce genre d’exercice, affirme des
résultats sans donner leurs présupposés (ou supposent
comme acquise, comme c’est le cas ici, des thèses sujettes
à caution) c’est–à–dire appliquent la
théorie comme un schéma ou un dogme. Le problème
c’est que qui admet ces résultats – présentés
comme c’est le cas ici sous une forme « réaliste »,
faussement neutre – embarque sans le savoir tous les présupposés
spéculatifs de Théorie communiste. Tout cela n’est
ni manipulatoire ni accidentel : le discours exotérique de Théorie
communiste apparaît au moment où disparaissent les conditions
théoriques de la systématicité spéculative
ou, pour le moins (si tant est qu’il est vrai que l’on ne
rompt pas avec une problématique parce que les temps ont changé
mais parce que avec le temps, les supposés et les conséquences
de cette problématique apparaissent au grand jour), au moment où
Théorie communiste commence à se rendre compte
des limites de sa théorie et cherche à donner à sa
systématicité spéculative « une physionomie
tout à fait raisonnable ». Pour cela, ces camarades cherchent
à sortir de leur isolement par un « activisme théorique
militant » qui ne peut exister que sur la base d’une «
théorie finie».
§ 3 – Cet activisme semble connaître
quelques « succès », mais des succès qui ne
sont pas sans poser des problèmes de fond au vu des modalités
de la collaboration de Théorie communiste avec le groupe
italien de Alcuni fautori della comunizzazione. Dans le préambule
à la version italienne de A fair amount of killing, Théorie
communiste écrit : « Nous sommes arrivés à
une compréhension commune sur un grand nombre de points : - le
sens de la guerre actuelle ; – la restructuration du capital ; –
le cycle de luttes passées (le programmatisme) ; – le cycle
de luttes actuel ; – la caractérisation du démocratisme
radical ; – le sens global du mouvement pacifiste. » Mais,
car il y a un « mais » dans lequel tout est dit : «
malgré une extrême proximité, les textes italiens
et français ne sont pas la stricte traduction l'un de l'autre et
vice-versa. Sur quelques points ces textes représentent deux versions
d'un travail commun. Nous sommes très critiques sur l'utilisation
de la notion d'Économie telle qu'elle est effectuée dans
le texte italien. Utilisée ainsi, la notion déplace la contradiction
interne du mode de production capitaliste entre le prolétariat
et le capital en une domination du capital sur la société.
Lié à cette première notion nous sommes plus que
réservés sur le concept de ”biopolitique”. »
Autrement dit, du point de vue même de Théorie communiste,
les deux groupes divergent sur l’essentiel, c’est–à-dire
sur la nature de la contradiction entre le prolétariat et le capital
et, par là, sur ce qu’est le capital. À partir de
là, on peut poser deux questions : 1) quel est le contenu, quelle
est la valeur théorique des points d’accords auxquels sont
arrivés les deux groupes (et il ne s’agit pas de n’importe
quel point !) alors que sur le fond ils divergent sur tout ? 2) par conséquent,
quelle est la valeur des thèses de Théorie communiste
sur le sens de la guerre actuelle, la restructuration du capital, le cycle
de luttes passées (le programmatisme) et actuel, etc., si ces thèses
peuvent être partagées avec un groupe qui affirme le contraire
de ce qui chez Théorie communiste les fonde ? Autrement
dit : que deviennent ces fondements ?
§ 4 – En conclusion, Théorie communiste
s’accorde un satisfecit : « il est encourageant de
constater, est-il écrit, que l'accord sur tout n'est pas forcément
nécessaire, si chacun est capable de faire quelque chose du travail
commun. » On vient de voir ce qu’il en était de ce
« tout » ; pour ce qui est du reste, lorsque l’on sait
qu’il s’agit exclusivement de thèses propres à
Théorie communiste (qui ont déjà été
exposées, notamment dans l’article Pétrole, sexe
et talibans [1]) et que ce qui revient en propre aux camarades de
Alcuni fautori della conunizzazione est récusé,
sur le fond, par Théorie communiste, ont est en droit de se demander
ce qu’il en est du « travail en commun » dont se félicite
Théorie communiste. Et je pose une question à Théorie
communiste : au cours de ce « travail commun » avec Alcuni
fautori… dans ces conditions, qu’avez vous appris de ces camarades
?
§ 5 – Si ces remarques ne portent pas sur
l’analyse de l’invasion américaine de l’Irak
proposée par Théorie communiste dans a fair
amount of killing, elles ne sont pas pour autant une pure formalité
dans la mesure où elles concernent une forme de pratique théorique,
je veux dire : une pratique de l’activité théorique
qui transforme celle–ci en activisme théorique. En fait,
cet activisme est une échappatoire, une échappatoire dont
à besoin, à un moment ou à un autre, toute systématicité
spéculative pour dépasser ses limites. C’est alors
que l‘on adopte un langage exotérique et que l’on met
momentanément de côté ses fondements théoriques.
Et c’est par là que ces remarques sur la forme rejoignent
le fond, non pas directement l’analyse de la guerre irakienne dans
ses rapports avec la « restructuration du capital » mais la
philosophie rationnelle (spéculative) qui fonde cette analyse.
§ 6 – En ce qui concerne leur contenu, les
textes d’«actualité » de Théorie communiste
sont toujours séduisants, d’abord parce qu’ils proposent
des analyses particulières souvent pertinentes appuyées
par une riche matière historique, mais aussi, et surtout dans la
mesure où ils mettent à la disposition de qui en a besoin
des solutions et des réponses définitives aux « désordres
» de la période actuelle et où (si l’on fait
abstraction du détail qu’est « l’angle mort dans
le préviseur »), en donnant un sens à ceux–ci,
ils permettent de tenir la totalité (« des luttes actuelles
à la révolution »). Mais par là même
ces textes doivent être critiqués, d’abord parce qu’ils
supposent leurs fondements comme acquis, c’est–à-dire
comme fondés théoriquement – ce qu’ils ne sont
pas toujours, en tout cas de manière achevée – ; ensuite
parce que du fait même de leur existence et des réponses
a priori qu’ils apportent au cours du monde, ils peuvent laisser
croire qu’il est inutile de se pencher sur le déroulement
réel de ce cours: comme si ce monde était déjà
donné dans son principe (ce qu’il est effectivement pour
Théorie communiste) et que notre histoire à venir
n’était plus que l’actualisation plus ou moins chaotique
de celui–ci, sa « réalisation détaillée
». La période actuelle est déjà terminée
alors qu’elle ne fait que commencer, et la théorie n’a
plus qu’à compter les points en suivant le cours des choses.
On a reproché à Théorie communiste de ne rien apporter
si ce n’est « la satisfaction d’avoir su pénétrer
les principes du monde » [1], je rajoute pour ma part : un monde
que ces camarades se construisent à leur mesure.
[1] Théorie
communiste n°18.
[2] Denis, Réflexions
critiques sur le texte intitulé « Après Gênes
», mis en ligne sur le site l ‘@NGLE MORT. |
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