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Sur lÕidŽe de Òcrise finaleÓ

 

Bernard G.

 

Premire publication

ThŽorie Communiste n. 16. Mai 2000

 

(p. 145)[1]

Ce texte date du dŽbut de l'annŽe 1980, le groupe rŽuni alors autour de la revue ThŽorie Communiste venait juste de conna”tre une importante scission ˆ propos de la restructuration du rapport entre prolŽtariat et capital dans le mode de production capitaliste, de son existence et de son interprŽtation. La grande majoritŽ du groupe quitta alors TC qui continua sur la base de la thŽorisation de la restructuration. Ce texte synthŽtise les critiques contre la thse de la restructuration.

 

 

1. Un bon trimestre aprs la rŽunion du 8/12/1979, au cours de laquelle a ŽtŽ entŽrinŽe la rupture au sein du groupe de ThŽorie Communiste, il appara”t nŽcessaire de faire le point de ce qui s'est passŽ depuis, tant au niveau thŽorique, qu'au niveau des dŽcisions pratiques qui ont ŽtŽ prises.

 

2. Il y a d'emblŽe un danger primordial qui doit tre ŽvitŽ ˆ tout prix, c'est que le groupe informel que nous sommes ne se structure ˆ travers une sorte de consensus occulte purement nŽgatif, comme un rassemblement de mŽcontents dont le seul commun dŽnominateur serait une attitude critique par rapport ˆ la thse essentielle de TC, ˆ savoir que la restructuration supŽrieure du capital, sur la base de l'automation, est la condition prŽalable nŽcessaire ˆ l'Žmergence du rapport rŽvolutionnaire.

 

3. Le corollaire positif de cette opposition ne pourrait tre que l'Žclectisme, c'est-ˆ-dire prendre en chaque recherche thŽorique, dŽveloppŽe par tel ou tel, ce qu'il y a de meilleur, toutes les propositions thŽoriques Žtant considŽrŽes sur un pied d'ŽgalitŽ avec des limites et des aspects satisfaisants que l'on butinerait en vue d'une synthse supŽrieure, ce qui est pour moi une position entirement dŽmocratique et donc intolŽrable.

 

4. De ce point de vue, il est essentiel d'expliciter les raisons de l'Žclatement du groupe de TC, de clarifier les points de divergences, notamment pour parvenir ˆ une claire comprŽhension de l'attitude ˆ avoir par rapport ˆ leurs Žcrits actuels.

 

5. Il est en effet deux manires et deux raisons de rompre avec un groupe. La premire est de considŽrer qu'il rencontre des limites que l'on sera mieux ˆ mme de dŽpasser ˆ l'extŽrieur, ce qui revient ˆ situer son travail dans la perspective d'une amŽlioration des solutions apportŽes, tout en se situant dans la mme problŽmatique. La deuxime manire est de considŽrer que la problŽmatique elle-mme est erronŽe et qu'il n'est pas possible d'en conserver tel ou tel aspect.

 

6. Ce point doit tre clair, car il revt une importance essentielle. Dans le premier cas, le travail critique contre TC, la mise en Žvidence des limites et des erreurs, est un travail en soi suffisant, dans le second cas, celui d'une rupture de continuitŽ entre les problŽmatiques, il faut parvenir ˆ une Žlaboration positive diffŽrente qui implique l'abandon de ce qui a toujours ŽtŽ pour nous des concepts de base implicites qui restent encore des ŽlŽments communs de notre langage et de notre manire de concevoir les problmes actuels, ce qui revient ˆ poser de fait notre position comme une modalitŽ diffŽrente de celle de TC.

 

7. Concrtement, dans l'introduction de TC 3, nous nous faisons fortement attaquer sur le problme du caractre possible ou impossible de la restructuration sur la base de l'automation. Tout se passe comme si notre position n'avait ŽtŽ comprise que comme une alternative au mme problme et sans doute ce n'est pas une manire compltement erronŽe de comprendre de leur part.

 

8. Pour faire un peu d'autocritique, le problme n'est pas de chercher, dans les faits et les tendances actuellement connus, si la crise est ou n'est pas finale. Les faits n'ont de sens qu'en fonction de la problŽmatique dans lesquels ils sont interprŽtŽs et se jeter des chiffres ˆ la tte n'a de sens que si l'on admet le mme systme d'explication thŽorique.

 

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9. C'est en ce sens que je comprends l'assertion d'A sur l'impossibilitŽ pour la thŽorie de se prononcer sur le caractre final de la crise, parce que la solution ne dŽcoule pas immŽdiatement des faits et des pratiques actuelles. Pour qu'une telle assertion ait une validitŽ, il faut prendre deux prŽcautions prŽalables, dire qu'il ne s'agit pas d'un Žclectisme d'une part, dire d'autre part, qu'il ne s'agit pas d'agnosticisme, c'est-ˆ-dire d'une inaccessibilitŽ de la "vŽritŽ" pour la thŽorie en raison d'une tare originelle de celle-ci, mme liŽe au fŽtichisme de la lutte de classe, ˆ la contradiction que serait le fait qu'une classe abolisse, en tant que classe, les classes.

 

10. Ce qu'il importe de bien comprendre c'est que ce n'est pas le caractre probant des modalitŽs actuelles de la crise qui est en cause mais la manire mme d'analyser les crises et, de manire sous-jacente, le rapport social capitaliste. Pour moi, le dilemme ne se situe en aucune manire entre soit concevoir la rŽvolution comme l'extension/approfondissement des luttes actuelles, soit affirmer la nŽcessitŽ d'une restructuration prŽalable du capital qui poserait les conditions de la rŽvolution. Il ne s'agit pas non plus d'adopter une tierce position qui serait le tŽlescopage (concomitance de la restructuration et du rapport rŽvolutionnaire : la restructuration Žtant impossible d'emblŽe, dans son contenu, devient rapport rŽvolutionnaire - note actuelle, Mai 2000, de TC pour expliciter cette vieille idŽe du "tŽlescopage"). Toutes ces manires d'envisager le problme et de le rŽsoudre sont des rŽponses ˆ la problŽmatique de TC qui assimile deux notions diffŽrentes, celle de restructuration et celle de contre-rŽvolution.

 

11. SchŽmatiquement, pour la prŽface de TC 3, on a le mouvement suivant : la restructuration du capital est reprise de l'autoprŽsupposition et a pour corollaire le maintien du prolŽtariat ˆ l'Žtat de moment du capital, le fixant ainsi sur des formes de la dŽfense de la condition prolŽtarienne, peu ou prou le syndicalisme. Il y a lˆ le rŽsultat de la difficultŽ de TC ˆ analyser le rapport social comme un vŽritable rapport social et non comme la rŽsultante d'interactions o, ˆ travers le thme de la consubstantialitŽ des limites, la pratique d'un p™le "vaut" analyse de l'autre.

 

12. La pratique de chacun des p™les du rapport, considŽrŽ comme contradictoire ˆ l'autre, a pour limites et pour force la pratique de l'autre p™le, il en rŽsulte que nŽcessairement - pour des raisons architectoniques - la rŽvolution comme pratique du prolŽtariat et la restructuration comme pratique du capital sont forcŽment inconciliables.

 

13. De plus, le capital est dŽfini comme le p™le subsumant du rapport et, de ce fait, ce qui n'est pas nŽcessaire, identifiŽ ˆ la totalitŽ du rapport lui-mme, identification qui dŽcoule des limites de la dŽfinition du mode de production capitaliste ˆ travers le modle du procs immŽdiat. Il est de ce fait parfaitement cohŽrent qu'une certaine manire de restructuration du capital, incluant une relation particulire entre les p™les soit le prŽalable de la rŽvolution. Comme ˆ chaque fois que le rapport rŽel entre les p™les et la totalitŽ du rapport n'est pas conue de manire correcte on a, ˆ travers une hypostase des p™les, affaire ˆ une variante des rapports dŽterminisme / conscience.

 

14. Finalement, par le biais de la notion de dŽveloppement de la signification historique du capital qui existe immŽdiatement lorsque le capital se fonde enfin sur un procs immŽdiat totalement adŽquat ˆ ce qu'il est, nous sommes en prŽsence d'une forme trs alambiquŽe de la notion de la nŽcessaire maturation des forces productives comme condition d'une pratique rŽvolutionnaire du prolŽtariat. Les restructurations successives du capital, comme reproduction ˆ un niveau supŽrieur de la contradiction prolŽtariat - capital, sont alors les moments obligŽs du mouvement de cette adŽquation qui est, pour le capital, la rŽalisation contradictoire de son rapport au travail qui le fonde mais qu'il tend ˆ rendre inessentiel, qui est, pour le prolŽtariat, ˆ travers la dŽcomposition du programme comme thŽorie et comme pratique, le mouvement dans lequel s'effectue, contre ses intŽrts particuliers, son existence comme classe purement nŽgative, au sens de n'ayant aucun

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intŽrt propre ˆ faire prŽvaloir. Ces deux mouvements culminent dans la mise en place de l'automation o chaque p™le est conforme ˆ ce qu'il doit tre, situation ˆ atteindre qui dŽtermine nŽgativement toute l'analyse qui est faite de la pratique du prolŽtariat qui a "encore" des choses ˆ affirmer mais toujours moins eTC...

 

15. Si l'analyse des formes de la lutte de classe est importante en ce que le prolŽtariat n'affronte pas le capital mais celui-ci ˆ un degrŽ dŽterminŽ de son dŽveloppement, la question est de savoir, puisque les formes actuelles sont simultanŽment posŽes comme les plus avancŽes et critiquŽes comme devant rŽgresser vers du syndicalisme plus ou moins modernisŽ, ˆ partir de quelle base ou de quelle plante procde une revue comme TC qui est capable de critiquer les formes les plus avancŽes possibles de pratiques et qui serait donc, puisque critique, encore plus avancŽe.

 

16. Le problme de la nature et de la gense des thŽories n'est pas un problme primordial mais on ne peut pas l'Žviter lorsqu'il recle de telles contradictions. Ou bien la thŽorie est la conscience de ces mouvements se pensant comme limitŽe et en symbiose totale avec ces mouvements, ou bien le rapport critique que peut entretenir TC avec ceuxci est le rŽsultat d'une distance qui n'est pas fondŽe ici sur une connaissance programmatique de l'avenir et de ce que devrait tre la rŽvolution, sur une anticipation, mais ˆ l'inverse sur ce qu'elle ne peut pas tre, Žtant donnŽ ce qu'est le devenir du capital et du prolŽtariat tels qu'ils existent en germes dans leur dŽfinition. La rŽvolution est, pour TC, l'aboutissement du dŽveloppement de la signification historique du capital et de la dŽcomposition et impossibilitŽ corollaires du programme. Les limites ne sont alors que les formes d'immaturation de ce devenir qu'elles manifestent cependant, rendant possible une position critique sans symbiose, d'o l'idŽe de pousser la contradiction du programme et par lˆ la participation ˆ la rŽunion d'Echanges et Mouvement .

 

17. Ë partir de cette analyse des pratiques actuelles du prolŽtariat, l'alternative ne peut se situer qu'entre extension et rupture qualitative, ce qui est juste quant au fond, la rŽvolution n'est pas "plus d'autonomie" eTC..., mais problŽmatique quant aux modalitŽs envisagŽes de l'Žvolution de la nature de ces pratiques dans un futur proche : tŽlescopage ou restructuration supŽrieure du capital. Une fois dŽmontrŽ le caractre limitŽ des luttes qui ne peuvent donc pas cro”tre et devenir rŽvolution, le caractre rŽvolutionnaire de la crise actuelle ne peut tre compris que comme tŽlescopage temporel d'un mouvement du prolŽtariat et d'un mouvement du capital. En effet, pour TC, c'est la restructuration du capital qui, une fois achevŽe, permet des luttes qualitativement diffŽrentes Žtant donnŽes la nature et l'importance de la restructuration en cours. Une fois les luttes du prolŽtariat analysŽes comme limitŽes, la rupture est posŽe comme liŽe ˆ une condition rŽalisŽe au p™le antagonique, rŽalisŽe par lui. Les limites dŽcoulent de la restructuration supŽrieure non seulement possible mais encore nŽcessaire ˆ l'abolition de ces limites. Elle ne peut donc pas provenir, comme rupture, ni d'une extension, ni d'un approfondissement de la pratique du prolŽtariat dans la dŽcomposition du programme procŽdant d'une contradiction interne qui le pousserait en avant, d'une instabilitŽ logique, mais de la rŽalisation d'une restructuration supŽrieure qui achevant le dŽveloppement de la mission historique du capital n'en permet plus aucune autre, ayant crŽŽ concrtement ce qui n'Žtait que ses fossoyeurs potentiels. Dans ce systme d'interactions en cha”ne que constitue le dŽveloppement du capital, o la crise du rapport prolŽtariat/capital se rŽsout dans une restructuration supŽrieure de ce rapport qui renvoie le prolŽtariat ˆ son r™le de moment contradictoire tout en posant les conditions d'une crise supŽrieure, poser une crise comme "finale" avant mme que toute restructuration soit devenue impossible - ce qui n'est que lorsque le concept de capital est rŽalisŽ - ne peut tre conu que comme un rŽtrŽcissement temporel, un tŽlescopage au sens strict. La notion mme de tŽlescopage, mise au point par TC pour critiquer les thŽories de la crise actuelle comme finale, induit implicitement que lˆ

 

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o ils posent une succession temporelle (crise - restructuration automatisŽe - rŽvolution ) on pose une co•ncidence des deux premiers termes ; que lˆ o ils voient une restructuration possible donc nŽcessaire (puisque, si elle est possible, elle doit avoir lieu, puisque la condition nŽcessaire de la rŽvolution n'est pas rŽalisŽe ˆ savoir l'impossible restructuration par rŽalisation de la signification historique du capital qui ne peut dŽboucher que sur la rŽvolution ), on pose une restructuration produisant dans le mme temps et non successivement le communisme, tŽlescopage de deux mouvements et de deux pŽriodes.

 

18. Le problme qui se pose n'est pas de montrer le caractre possible ou non de la restructuration sur la base de l'automation, ce qui est de la problŽmatique de TC, mais de produire une autre thŽorie des crises qui rende compte de la crise actuelle comme crise rŽvolutionnaire, ˆ travers une dŽfinition des classes au sein du procs d'ensemble et non du seul procs immŽdiat, mais de procŽder ˆ partir d'une dŽfinition Žlargie du capital. Sans revenir sur la dŽfinition du capital comme procs d'ensemble et sur la nŽcessaire reconversion de la plus-value en profit, accumulation, il me para”t essentiel d'insister sur la logique des idŽes touchant ˆ la crise actuelle et ˆ l'analyse du nŽo-libŽralisme.

 

19. Avec le passage ˆ la domination rŽelle, qui est aussi la constitution du capital en une totalitŽ exclusivement rŽgie selon ses propres lois et produisant ses prŽmisses comme rŽsultats de son propre mouvement, apparaissent les pratiques Žtatiques, la fictivation du capital, l'anticipation de la plus-value, ensemble de pratiques (auquel il faut rajouter le biaisage de la distinction productifs/improductifs) que nous avons appelŽ les autonomisations du capital. La grande question est de savoir s'il s'agit lˆ de mesures et de pratiques que le capital a employŽes et qu'il pourrait abandonner au profit d'autres sŽries ou s'il s'agit de mŽcanismes consubstantiels au capital. D'une autre manire, c'est le mme problme que de chercher ˆ savoir si, Žtant donnŽ que le profit n'est jamais rien d'autre que la plus-value, ce qui appara”t comme des formes de distribution sont d'une importance seconde ou si ces formes de distribution sont une condition nŽcessaire de la production.

 

20. La fictivation du capital n'est pas une dŽrŽalisation de celui-ci qui s'Žchapperait ou tenterait de s'Žchapper des limites que font peser sur lui la production de plus-value mais le corollaire mme de la continuitŽ de cette production qui se maintient en transgressant ses limites. L'anticipation de la plus-value ˆ venir ne doit pas tre conue selon les canons de l'Žconomie classique sur le modle de l'anticipation de la demande, des cožts/sanction par le marchŽ, mais comme dŽcoulant de la circulation du capital fixe qui permet une anticipation qui n'est pas idŽale et comptable. Du point de vue des pratiques de l'Etat, le problme se pose encore avec plus d'acuitŽ en mme temps qu'il fournit le meilleur exemple de l'alternative. On peut, au sens plein, parler de politiques Žconomiques, en rŽfŽrence ˆ tels ou tels types de pratiques dont l'ensemble constituerait le dispositif anticycle.

 

21. C'est le modle mŽdecine-remde ou l'inflation comme moyen, voire comme arme, que le capital emploierait ˆ plus ou moins bon escient, ce qui revient de fait ˆ poser l'Etat comme un sujet agissant de l'extŽrieur sur l'Žconomie, thse idŽaliste classique qui a ceci de commun avec son principal adversaire, le marxisme vulgaire qui instaure une causalitŽ dans l'autre sens ou les derniers avatars des sciences politiques (Poulantzas ; Brunhoff) qui cherchent des relations d'articulations, que de prŽsupposer deux sphres bien sŽparŽes : celle de l'Žconomie et celle de la politique.

 

22. Si l'on admet le caractre fallacieux de cette distinction en donnant ˆ l'Etat une gense dans le capital comme totalitŽ o il remplit des fonctions prŽcises, la notion mme de politique Žconomique ou de pratiques Žtatiques perd son sens, autre que descriptif d'ŽlŽments qui ne sont pas les diverses pices d'une panoplie d'armes pour la guerre, employŽes ou non en fonction d'une stratŽgie plus ou moins correcte. Hic Rodhus, hic salta. Ou bien ces mŽcanismes sont des pratiques et des mesures que le capital a employŽes et qu'il peut abandonner au profit d'autres (la gestion collective de la force de travail) ou

 

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bien il s'agit de pratiques qui sont le fonctionnement du capital, ˆ travers lesquelles il est une totalitŽ et alors le sens que l'on donne au nŽo-libŽralisme est tout diffŽrent.

 

23. Dans le meilleur des cas, ces pratiques ne sont pas des simples armes, mais des donnŽes secondes qui se modlent en fonction du mŽcanisme essentiel que serait l'organisation du procs immŽdiat, la gestion collective Žtant la forme adŽquate au travail ˆ la cha”ne, de mme la consommation de masse... Les modifications en cours seraient alors les mesures d'accompagnement de la mutation technologique et non les ŽlŽments mmes de la crise.

 

24. Cependant, mme si l'on peut montrer que toute l'interprŽtation des faits, y compris leur hiŽrarchisation, dŽcoule d'une hypostase rŽductionniste cela ne dŽmontre en aucune manire les conclusions nŽcessaires d'une dŽfinition plus correcte du capital, du prolŽtariat et de leur rapport. De plus, aucun fait ne possde de caractre immŽdiatement probant du caractre final de la crise, si ce n'est la rŽvolution elle-mme comme acte final, tous les faits antŽrieurs renvoyant ˆ la problŽmatique dans lesquels ils s'interprtent.

 

25. On peut cependant faire quelques remarques sur la question de la preuve. Tout d'abord, il faut avant d'apporter ces preuves dŽfinir ce qui serait probant. Ensuite, s'entendre sur les termes : le caractre final de la crise n'est pas, je l'ai dit, revenir ˆ une thŽorie de l'effondrement du capital, le prolŽtariat s'engouffrant dans la brche ainsi crŽŽe.

 

26. Il ne s'agit pas de la victoire d'un terme sur un autre mais de la mise en place d'un rapport spŽcifique dans lequel les deux se reproduisent et reproduisent l'ensemble social dans des modes spŽcifiques qui amnent au communisme. Pour reprendre une mŽtaphore, il ne s'agit pas d'un maTCh de boxe mais il ne s'agit pas non plus d'un dessin animŽ o, une fois les conditions requises atteintes, c'est toujours le mme qui frappe et l'autre qui encaisse.

 

27. Ds lors que ce rapport est un rapport rŽel, et non une simple relation, il n'y a plus de tŽlescopage, ni d'extension qui soient nŽcessaires. Cum grano salis, ce que TC 3 appelle la rŽvolution c'est vraiment et seulement l'acte final, le passage prŽcŽdent Žtant, de faon trs cohŽrente, conu comme la pŽriode nŽcessaire o aboutissent corollairement dŽcomposition du programmatisme et signification historique qui sont les deux faces d'un mme mouvement, la pŽriode o dŽfinitivement le "dŽcor se met en place", mme si les machinistes ont ŽtŽ le duo prolŽtaires - capital.

 

28. Ceci est d'une importance extrme que cette idŽe chez TC de l'accomplissement total du devenir. Sans sombrer dans ce narcissisme de thŽoriciens qui veut que tout mouvement de la thŽorie ait une signification dans le monde au point qu'analyser la scission reviendrait ˆ trouver le sens de la pŽriode, il n'en reste pas moins que, une fois dŽcrite la logique interne de TC, on ne peut pas renvoyer les prŽmisses de ce systme ˆ la dŽbilitŽ mentale. Quel est le sens de l'existence de TC, pourquoi une telle revue existe-telle? mŽrite, ˆ mon sens une rŽflexion.

 

29. TC est le dernier avatar de l'affirmation du prolŽtariat. Situation fort paradoxale pour des gens qui ne cessent de pourfendre le programme mais pourtant... Tout le programme est analysŽ comme fondŽ sur le fait que c'est une contradiction qu'une classe abolisse les classes tant que le capital est ˆ mme de se restructurer. Le prolŽtariat est une classe de la sociŽtŽ qui est, du mme fait, hors de cette sociŽtŽ (la subsomption). Tout le procs de dŽcomposition du programme est le procs dans lequel le capital introduit, contraint et forcŽ par la contradiction qu'il recle, des modifications au sein de son procs

immŽdiat qui vont faire - avec l'automation - de cette classe une classe rŽellement sŽparŽe de tout.

 

30. En tant qu'ŽlŽment du mode de production capitaliste, le prolŽtariat a une certaine positivitŽ ˆ faire valoir, peut se croire principe d'organisation de la sociŽtŽ ; mais ceci est irrŽalisable quoiqu'il tente toujours de le faire (cf. l'Žchec de la rŽvolution russe qui est une authentique rŽvolution communiste mais impossible ds 21).

 

(p. 150)

 

31. Cependant et contradictoirement, il est aussi, comme "incarnation" de la contradiction qui porte le communisme, nŽgativitŽ de cette sociŽtŽ, ce qui d'ailleurs le dŽtermine essentiellement (au sens fort, par essence) ˆ toujours tenter, malgrŽ l'impossibilitŽ qu'est la restructuration supŽrieure qui l'enferme ˆ nouveau dans son r™le d'ŽlŽment.

 

31. Pour TC, l'erreur du programme et le fond de la critique qu'il lui porte, c'est que, dans l'tre "double" du prolŽtariat ("double" parce qu'en apparence et non par essence), ils n'ont pas "choisi" le bon aspect. La rŽvolution n'est pas l'affirmation du prolŽtariat en tant qu'ŽlŽment du mode de production mais son affirmation en tant qu'tre nŽgateur de cette sociŽtŽ. Que le prolŽtariat y disparaisse aussi n'est jamais que l'affirmation de son tre rŽel (et non apparent comme dans le programme) c'est-ˆ-dire conforme ˆ son devenir historique qu'il contient d'emblŽe et toujours en lui-mme. Il s'agit ici de l'affirmation d'une nŽgativitŽ inscrite dans la rŽalisation du concept, rŽalisation dont le procs est la dŽcomposition du programme.

 

32. Pris en termes d'analyses thŽoriques, ceci n'a rien de surprenant puisqu'il s'agit toujours de l'impossibilitŽ ˆ rendre compte de la disparition du programme classique avec

le passage ˆ la domination rŽelle.

 

33. Lˆ o beaucoup (de Socialisme ou Barbarie ˆ Invariance) ont vu la disparition du prolŽtariat et ont cherchŽ d'autres sujets ˆ la rŽvolution, TC oppose la continuitŽ du prolŽtariat comme seule classe rŽvolutionnaire d'emblŽe. Lˆ o certains posent une dŽgŽnŽrescence barbare ou droguŽe du capital au terme de laquelle ressusciterait un prolŽtariat bien classique (Bordiga ou Mattick), TC positive cette phase en en faisant la pŽriode o le prolŽtariat s'apure des limites (vue la modification qu'il "impose" au capital) qui le restreignent ˆ l'Žtat d'ŽlŽment, pour en ressortir comme la classe qui, affirmant sa sŽparation totale d'avec la communautŽ, est producteur nŽcessaire du communisme. C'est dans cette insistance "prolŽtarienne" que se fondent les rŽductions logiques de TC et c'est cette insistance qui motive sa participation aux rŽunions parisiennes (Echanges...) comme critique radicale du programme sur sa propre base.

 

34. Comme classe du travail productif, le prolŽtariat est dŽfini par et dans le mouvement de l'autoprŽsupposition du capital, production par lui-mme de ses propres conditions ˆ une Žchelle Žlargie, ˆ travers l'accumulation. Les conditions que le capital reproduit sont celles de son procs d'ensemble c'est-ˆ-dire non seulement les travailleurs productifs mais aussi les travailleurs improductifs. On a lˆ le fait que le capital dans son procs d'ensemble exige du travail nŽcessaire qui n'est pas pour autant productif et qu'il assure sa reproduction dans des conditions qui lui sont spŽcifiques, en les salariant et en soumettant la valeur de leur force de travail ˆ la loi gŽnŽrale. Dans la pŽriodisation entre deux modes de domination, s'explique les deux dŽfinitions du travail productif que l'on trouve concurremment chez Marx, travail qui se vend ˆ un capital (par opposition ˆ tous les autres mode de produire et de s'enrichir), travail productif de plus-value (par opposition au travail salariŽ qui n'en produit pas) dans le cas de la domination rŽelle. Mais surtout, la relation inverse que Marx Žtablit entre les deux sortes de travaux et la valorisation du capital (PlŽiade, t 2, p 1070) et qui permet d'individualiser le travail productif vaut surtout pour une accumulation extensive. Dans le passage ˆ la domination rŽelle, la constitution du capital en totalitŽ Žtant crŽation d'une force de travail unique, sans parler des intrications des travaux au sein du procs immŽdiat avec le travailleur collectif, la dŽfinition du travailleur productif se brouille. Avec l'Žmergence de formes nouvelles Ð intervention Žconomique de l'Etat, capital "financier" ... - qui vont de pair avec ce mouvement du travail productif, on a alors toute une problŽmatique du devenir du prolŽtariat, analysŽe comme dŽcomposition par TC, orthodoxe chez Bordiga, Barrot eTC... ou modernisme ˆ travers les thŽories de l'intŽgration eTC... qui dŽbouche sur une nouvelle classe ouvrire ou

 

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un nouveau sujet de la rŽvolution. En fait, toutes ont le mme point commun qui est "l'essence" du programme ˆ mon sens : dŽfinir un tre du prolŽtariat dotŽ de qualitŽs nŽgatives ou positives, qui perdurent ou disparaissent. Parce que ce rapport est le rapport immŽdiat de subsomption, toujours reproduit ˆ l'identique chez TC, cela revient ˆ dŽfinir un tre, ici purement nŽgatif, par hypostase.

 

35. Le caractre rŽvolutionnaire du prolŽtariat n'est pas, mme s'il est dŽfini ˆ travers un rapport social contradictoire, une nature du prolŽtariat, une tendance qui le pousserait ˆ faire la rŽvolution (cf. la question fausse de savoir si le programme est rŽvolutionnaire ou non, par ex). Face aux thŽories de l'intŽgration, il n'est pas nŽcessaire de dire pour affirmer que le mode de production capitaliste reste contradictoire, qu'il n'y a pas d'occultation, que le prolŽtariat est toujours, par essence et par dŽfinition, rŽvolutionnaire. Le caractre rŽvolutionnaire du prolŽtariat n'est pas une donnŽe mais se constitue, il n'est pas quelque chose qui rŽappara”trait aprs une phase d'occultation (intŽgration ou dŽgŽnŽrescence du capital) ni, ce qui positive la domination rŽelle, le rŽsultat qui aurait toujours existŽ d'un procs d'apurement de sa conscience et de sa pratique.

 

36. Il n'est pas vraiment nŽcessaire pour faire pice aux thŽories de l'occultation de poser la permanence d'un tre rŽvolutionnaire du prolŽtariat dont les limites seraient le produit et la cause de la restructuration supŽrieure du capital conue comme contrerŽvolution, parce que la restructuration supŽrieure du capital, son accumulation, ne vient jamais contredire cette contradiction. Si l'on ne peut concevoir la reproduction du capital que comme reproduction Žlargie, accumulation, c'est parce que celui-ci est un rapport social contradictoire dont la contradiction spŽcifique est immanence de l'accumulation. Il est accumulation et restructuration supŽrieure parce que contradictoire et si l'accumulation est le produit nŽcessaire et immanent de cette contradiction, elle n'est en rien son occultation.

 

37. De mme, il n'est pas nŽcessaire de poser face aux thŽories de l'intŽgration - corollaire, du point de vue du prolŽtariat, des thŽories de l'occultation - une nature rŽvolutionnaire qui s'exprimerait comme tendance. Que le mode de production capitaliste soit un rapport social contradictoire ne signifie pas quÕen permanence lÕun des p™les, dŽfini par ce rapport, soit de ce fait mme constamment ÒpoussŽ ˆ faire la rŽvolutionÓ.

 

38. Poser que le prolŽtariat est dŽfini aussi par lÕaccumulation du capital et non simplement dans le procs immŽdiat est, dans TC, une prŽcaution oratoire dans laquelle accumulation et condition deviennent des synonymes. Dire que l'accumulation dŽfinit le prolŽtariat c'est, pour moi, dire que cette accumulation ne dŽfinit le prolŽtariat qu'en ce qu'elle se rŽsout toujours en restructuration supŽrieure (ŽlŽvation de la composition organique plus extension du nombre des capitaux fonctionnant) ; cela revient ˆ dire que ce caractre rŽvolutionnaire du prolŽtariat n'est pas une donnŽe essentielle mais qui se constitue.[2]

 

B.

 

 



[1] Les numŽros de pages renvoient ˆ lÕŽdition du texte dans ThŽorie Communiste n. 16 de mai 2000. Ils sont diffŽrents dans la version PDF mis en ligne sur le site de TC.

[2] La version PDF du texte mise en ligne sur le site de ThŽorie Communiste ˆ coupŽ un passage entre les ¤ 37 et 38. Je rŽtablis la Òversion papierÓ.