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Ce texte est la postface lessai de Caffentzis : Incommensurable valeur ? que jai annonce dans la prsentation.

 

 

No admitance except on business

 

Pour une critique de lՎconomie politique du capitalisme contemporain

 

 

 

Lart nՎtaitil donc rien sil est dsormais tout, sil est dsormais lextrieur du muse confondu exactement avec lintrieur, sil met la chaise de Gauguin la place de la chaise de Gauguin peinte ?

JeanPhilippe Domecq

Artistes sans art ?

 

Lexception thorique franaise

 

Dans la continuit de l me politique de Mai 68 et partir de son milieu dorigine (Charrier 2005)1, lexception thorique franaise sur une double hypostase qui porte sur la classe proltaire  et sur le mode de production capitaliste, la premire dterminant logiquement la premire.

 

La premire, donc, cest lhypostase de la classe proltairea comme Proltariat, dans laquelle la lutte de classes (cestЈ-dire lantagonisme entre la classe capitaliste et la classe proltaire sur la dfense de leurs conditions respectives de reproduction autrement dit : la dfense de leur existence et de leur position dans la socit du capital) et rige en substance fournissant la classe sa capacit rvolutionnaire dans le cours de son devenir  communisateur , comme on dit aujourdhui dans Meeting. Cela prend des formes diverses et varies, dInvariance (Camatte 2002a : 2324) Trop loin (2005 : 20) qui font du proltariat un en dehors de la socit capitaliste, en passant par changes (H. Simon 2001) avec l autonomie comme dimension ontologique de la classe proltaire. Thorie Communiste, pour sa part, ne fait quՎtablir ( partir de 1979) une (dis)continuit dans la mise en forme de la mme hypostase, au travers de la vision du monde panthorique que suppose son systme2. Dans tous les cas, la thorie franaise ne fait qu emplir abstraitement et sans mdiation lՐtre ou lexistence pratique de son sujet (le Proltariat) de ce qui tait pour le paradigme ouvrier de la rvolution le dbouch politique des luttes conomiques immdiates quil plaait dans le devenir pour soi de la classe en soi dans son parti (Marx 1965b : 135) , moyennant quoi en emplissant ainsi de thorie le Proltariat, elle est plus dans la descendance de la gauche communiste italienne et de son hypostase programmatique qui emplit le parti (Charrier 2005b : 4) quoi que puissent par ailleurs en penser ses acteurs (Charrier 2005b : 5 note 10).

 

La seconde hypostase est celle du procs (contradictoire) du capital, ou du capital valeur en procs, par rapport la capitalisation de la pluevalue ; cest celle de lhypostase de la plusvalue par rapport au profit, ou de la production de la plusvalue par rapport sa ralisation en vue de sa capitalisation, alors que la finalit ultime du mode de production capitaliste nest pas la production de plusvalue mais sa capitalisation, donc son accumulation.

 

Ces deux hypostases, toutefois, ne sont pas de mme nature. Celle du procs de valorisation consiste sparer ce dernier, lautonomiser, du procs daccumulation alors que les deux sont lis par une connexion intime (Marx) dans le mouvement rel du capital au travers des phnomnes empiriques de la production. De ce fait le capital y est rig en totalit abstraite : cest le Capital dans son concept , comme totalit, galement substantifi, dans le cours de son abolition . Mais cela ne signifie pas pour autant que le procs de valorisation du capital nest pas contradictoire ou quil est aboli comme tel ni que cette hypostase conoit quelque chose qui nest pas rel ou effectif dans le capital contemporain. En revanche, lhypostase de la classe proltaire conoit quelque chose qui nexiste pas aujourdhui : le proltariat dans son devenir communisateur en consquence dune fausse perspective historique et thorique qui considre ce que lon nomme classiquement la domination formelle du travail par le capital comme une priode historique effective du mode de production capitalisteb. Aprs a, parler de mode de production spcifiquement ou rellement capitaliste, parler de lactivit dune classe agissant  strictement en tant que classe de la socit capitaliste, suppose dabord quil pourrait en tre autrement, ce qui nest pas le cas, ni en thorie, ni historiquementc.

 

Comme je lai dit plus haut, cest lhypostase de la classe proltaire qui dtermine au niveau de lanalyse du capital qui lui est logiquement subordonne, celle du procs du procs de valorisation. En consquence, lexception thorique franaise a consist et consiste toujours faire de la thorie de la rvolution une Thorie du Proltariat ou substituer une Thorie du proltariat une critique de lՎconomie politique du capitalisme contemporain.

 

Bref, entre invariance et tradition de la nouveaut , la thorie franaise du Proltariat, en sinterdisant du juger sur pice , finit par faire la preuve, 37 ans aprs son tablissement, des difficults quelle rencontre rendre compte du cours actuel de la lutte de classes et du cours rel du capital dont elle participe en tant que forme de mouvement dans laquelle se rsolvent les contradictions de son procs de valorisation (jy reviens tout de suite). Lanalyse de la priode actuelle que font Dauv et Nsic dans Il va falloir attendre (2005), mais aussi la critique quen fait Thorie Communiste (2004 : 559), sont de bons exemples de ces difficults.

 

Bien que, comme on vient de le voir, du point de vue logique lhypostase de la classe proltaire est premire dans la production de la thorie du Proltariat par rapport celle du procs de valorisation du capital, dans la critique de lexception franaise, cest par cette dernire quil faut commencer.

 

 

Lhypostase du procs de valorisation du capital

 

Depuis la dcouverte par Camatte de la dfinition du capital valeur en procs , valeur qui se valorise, et non somme de valeurs (Camatte 1978 : 32) et du caractre contradictoire de ce procs (Barrot 1969 : 211212), la thorie franaise sest enferme dans cette hypostase au travers dune conception abstraite de la loi de la valeur et au mpris du mouvement rel d la production capitaliste rduit une stricte empirie.

 

Dans les Fondements Marx revient deux fois sur le procs contradictoire du capital : dans le tome I (1967 : 379) et dans le tome II (Marx 1968b : 220222). Dans le tome I, il pose les choses du point de vue du rapport entre le surtravail et le travail ncessaire tandis que dans le tome II il les pose du point de vue du temps de travail ; mais il ny a pas pour autant incompatibilit entre les deux approches qui sont complmentaires. Si le capital est une contradiction en procs (Marx 1968b : 220) cest pour autant qualors quil pousse la rduction du temps de travail il fait simultanment de celuici la seule source et la seule mesure de la richesse ; sil est une  contradiction vivante (Marx 1967 : 379) cest parce que cette rduction du temps de travail correspond un accroissement de sa forme de surtravail : le travail ncessaire suppose donc le surtravail et sa ralisation comme plus-value, ce qui fait de celleci une limite au travail et la valeur en gnral. En consquence, le capital impose des limites qui lui sont propres aux forces productives tout en les poussant dpasser ces limites. Il tend rendre la cration de richesses relativement indpendante du temps de travail et simultanment il mesure les forces sociales quil cre (le General intellect de Negri) daprs lՎtalon du temps de travail ; il les enserre ainsi dans les limites du maintien en tant que valeur des valeurs dj produites, cestЈdire du  capital valeur en procs . Tout cela est vrai, la question cependant est : peuton en rester ce niveau danalyse lorsquil sagit de rendre compte du mouvement rel du capital ?

 

La rponse est non car cela reviendrait nier le caractre processuel et vivant de la contradiction, et par l du capital luimme rduit sa matire comme somme de valeurs. Cela reviendrait faire de celleci un nihil negativum ou une contradiction dans les termes qui ne dbouche sur rien, une impossibilit, quelque chose qui nest ni produit ni reproductible. Or, depuis prs dun sicle que le capital existe comme socit, travers ses crises conomiques et/ou politiques, sociales et/ou guerrire, il a tout montr sauf quil est un systme absurde, mme si en lui la loi gnrale ne simpose comme une tendance dominante que de manire approximative et complexe, tel un terme moyen et invrifiable entre dՎternelles fluctuations (Marx 1968a : 953), mme si les politiques de rgulation ninterviennent que post festum et ne sont pas un programme a priori de la classe capitaliste ou de son tat. Dans son concept (et donc dans son invariance) daccumulation comme capitalisation de la plusvalue (Marx 1965 : 1082) et dans sa ralit comme socit conomique, le capital fait tous les jours, en dpit de ses contradictions, la preuve de sa cohrence. Il reste voir comment cela est possible, cestЈ-dire comment ces contradictions peuvent tre dpasses dans leur reproduction. La rponse se trouve chez Marx.

 

Dans le passage du Livre I du Capital consacr la mtamorphose des marchandises , Marx explique en effet que lՎchange des marchandises ne peut () seffectuer quen remplissant des conditions contradictoires, exclusives les unes des autres (1965 : 642) comme par exemple tre en mme temps or rel et fer rel et que le dveloppement de lՎchange qui fait apparatre la marchandise comme une chose double face, valeur dusage et valeur dՎchange, ne fait pas disparatre ces contradictions mais cre la forme dans laquelle elles peuvent se mouvoir (Marx 1965 : 642. Je souligne) ce qui est, prcisetil, la seule mthode pour rsoudre des contradictions relles (ibid.). Ainsi, au niveau qui nous intresse ici, cestЈ-dire celui du procs de valorisation, il nous faut chercher quelle est la  forme de mouvement (ibid.) dans laquelle la contradiction quest le capital se ralise et se rsout la fois (Marx 1965 : 643) et existe rellement comme procs vivant. Autrement dit quelle est la forme dans laquelle le capital peut tout la fois pousser la rduction du temps de travail et faire de celuici la seule source de la richesse, poser des limites aux forces productives et pousser au dpassement de ces limites, tendre rendre la cration de la richesse sociale indpendante du temps de travail et la mesurer lՎtalon de ce mme temps de travail.

 

La rponse, encore une fois, se trouve chez Marx qui la donne dans le Livre III du Capital (mme si cest sans rfrence son analyse des Fondements) : cette forme de mouvement dans laquelle le capital ralise et rsout les contradictions de son procs de valorisation cest la transformation des valeurs en prix de production (1968 (a) : chapitre VI du Livre III), cest donc lconomie du capital, autrement dit  les formes du processus densemble , selon le titre envisag par Marx pour le Livre III (1968 (a) : 867). Dans ces formes, par la mdiation de lՎtablissement dun taux de profit gnral comme galisation des taux de profit particuliers, le prix de production est fonction de la somme du travail pay augment dune quantit de travail non pay dtermine pour chaque secteur particulier, indpendamment de celuici (958), autrement dit la valorisation dun capital particulier est rendue indpendante de sa composition organique en valeur,  ainsi, dit Marx, le profit lui apparat comme quelque chose dextrieur la valeur intrinsque de la marchandise (960). Que la transformation des valeurs en prix de production contribue obscurcir la base de la dtermination mme de la valeur (ibid.), cestЈdire, au niveau du capital total, et quainsi  lorigine vritable de la plus value sen trouve demble obscurcie et [deviennent] mystre (959), nest rien dautre que le propre de lՎconomie capitaliste dans son objectivit qui ne remet aucunement en cause la thorie de la valeur travail ellemme au niveau global. Il nen reste pas moins quau travers de cette disjonction relative entre la valeur et le profit, qui elle nest pas un mystre, ce qui pouvait apparatre comme une contradiction dans les termes au niveau du procs gnral de valorisation, condition den rester celuici, se rsout dans le mouvement rel de lՎconomie capitaliste, entre les deux sections fondamentales du systme de production (moyens de production et biens de consommation) et, lintrieur des deux sections, entre les entreprises qui les constituent, au travers de lՎgalisation des taux de profit particuliers en un taux gnral. Pour autant, contrairement se que prtendent les dtracteurs du Livre III du Capital, la disjonction entre la valeur et le profit naboli pas la connexion intime (Marx) qui existe entre le capital comme valeur en procs et le systme des prix de production quil suppose.

 

La question vraiment difficile, crit Marx, est de savoir comment cette galisation des profits en un taux de profit gnral sopre, celuici tant videmment un rsultat plutt quun point de dpart. (1968 (a) : 967). L encore, pour pallier cette difficult il faut avoir recours une forme dans laquelle elle puisse se mouvoir pratiquement ; cette forme, le capital la cre galement luimme : cest  la guerre de la concurrence (1965 : 1138) que se livrent les capitaux particuliers en tant quentreprises. Celleci impose les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes chaque capitaliste particulier (1096) ; laquelle se fait coup de bas prix (1138), lesquels dpendent de la productivit du travail et de lՎchelle des entreprises, donc du degr auquel la plus-value est capitalise, laquelle capitalisation suppose la transformation des valeurs en prix de production qui suppose ellemme lՎgalisation des taux de profit particuliers, etc : No admitance except on businessd comme dit Marx ou, si lon prfre, cest le conceptuel Business as usuale capitaliste , comme dit Caffentzis, qui nest rien dautre quune version pragmatique profane de lautoprsupposition du capital. Mais ce nest pas tout.

 

Toute la difficult, crit encore Marx, vient de ce que les marchandises ne sont pas changes seulement en tant que telles [cestЈdire leur valeur] mais en tant que produits de capitaux qui rclament une participation la masse totale de la plusvalue en proportion de leur grandeur, ou, grandeur gale, une part gale. (1968 (a) : 968) Et cette prtention des capitalistes individuels est tout sauf arbitraire dans la mesure ou il nexiste pas et il ne pourrait exister de diffrences dans les taux moyens de profit pour les diffrentes branches dindustrie, sans que tout le systme de la production capitaliste sen trouve aboli. (945. Je souligne). Rien de moins ! Cest toute la diffrence qui existe entre linvariance du capital  dans son concept et lhistoricit de son mouvement rel. Car si tel tait le cas, cestЈ-dire si la valeur des marchandises et leur prix de production taient identiques, avec la disparit que cela implique entre les taux de profit particuliers, cela entraverait ncessairement laccroissement de la productivit du travail que suppose le systme de production capitaliste du fait de lintrt moindre quil y aurait pour un capital particulier daccrotre sa composition organique. Ensuite, il ny aurait aucun intrt pour le capital investir dans des branches impliquant demble une composition organique plus leve que la moyenne, tandis quil se concentrerait dans les branches composition organique basse et audel, cette disparit des taux de profit rendrait problmatique lՎtablissement de rapports proportionnels entre les composants du capital des deux sections fondamentales de la production capitaliste, ce qui produirait une plthore de capitaux dans la section II (composition organique faible, vitesse de rotation rapide) et une pnurie chronique dans la section I (qui possde les caractristiques inverses) Cest ce qui tend se produire aujourdhui (Brender et Pisani 1999 : 97117), sauf ce que les capitaux consomms dans la section I (pour les infrastructures productives, par exemple)  soient  dvaloriss , cestЈdire priv du taux de profit moyen au travers de leur prise en charge par lՃtat, ce qui est en train de disparatre progressivement aujourdhui. Bref, comme lՎcrit A. Bihr, autant dire que la reproduction du capital comme valeur en procs requiert lgalit du taux de valorisation des capitaux lintrieur  des diffrentes branches de production, malgr linvitable ingalit des conditions de production et de circulation dans lesquelles ces mmes capitaux assurent leur valorisation. (Bihr 2001 : 24) 2

 

On voit donc pourquoi et comment la prtention des capitalistes individuels participer la masse totale de la plusvalue en raison exacte de leur taille est tout sauf une vaine exigence personnelle goste dans la mesure o si dans ces conditions le travailleur appartient la classe capitaliste avant de se vendre un capitaliste individuel (Marx 1965 : 1080), ceci implique tout autant que le possesseur dargent appartient la classe capitaliste avant dacheter un travailleur individuel. Cest cette appartenance a priori qui produit la bourgeoisie comme classe capitaliste au travers de la transformation des valeurs en prix de production et lՎgalisation des taux de profit quelle suppose3. En dernire instance la lutte entre la classe capitaliste et la classe proltaire sur leurs conditions respectives de reproduction, et plus gnralement propos de leur position dans la socit du capital, est la forme de mouvement dans laquelle se rsolvent les contradictions du capital comme valeur en procs.

 

En rester au niveau du procs contradictoire de la valorisation du capital dans son concept revient donc considrer que le capital est virtuellement aboli. Ce que fait Camatte qui tablit la mort potentielle du capital (Camatte 2002b) partir de lՎquation  thorie du proltariat = thorie de la valeur = thorie de la marchandise (Camatte 1999 : 109) en tant que telle , cestЈdire alors quelle sՎchange sa valeur ce qui est vrai et parfaitement cohrent, mme si ce nest pas comme cela que a se passe en ralit (comme on la vu lobscurcissement de lorigine vritable de la valeur est cela mme qui rend son existence effective comme capital en mme temps que cela entrane la disparition du Proltariat que Camatte assimile linexistence de la classe proltaire), alors que le reste de la thorie franaise du Proltariat, qui na pas de mots trop durs contre Invariance, na pas cette cohrence. Mais pour autant, son rejet des conclusions de Camatte ne la rend pas plus apte rendre compte correctement du cours rel du capital et de la rvolution.

 

Aprs avoir pos que le capital serait impossible si les taux de profit des capitaux particuliers demeuraient dans leur disparit, Marx en tire deux conclusions thoriques majeures pour notre propos : la premire est qu Il peut donc sembler que la thorie de la valeur soit ici incompatible avec le mouvement rel et les phnomnes empiriques de la production (Marx 1968a : 945), puisque dans la vente de leurs marchandises les capitalistes rclament leur d indpendamment de la prise en considration de la composition organique de leur capital ; la seconde conclusion est que en consquence il faille mme renoncer comprendre ces derniers (les phnomnes empiriques de la production) (ibid.), cestЈdire que laccs la comprhension de lՎconomie du capital serait impossible. Autrement dit, si lon en reste la loi de la valeur on est incapable de comprendre le mouvement rel du capital ce qui ne peut en retour que disqualifier celleci.

 

Ces deux remarques sont loin dՐtre anecdotiques dans la mesure o elles posent la question de la possibilit de la critique de lՎconomie politique du capital. Elles le sont dautant moins que Marx luimme ne simplifie pas les choses en expliquant dans le Livre I du Capital (alors quil vient de semployer dduire la plusvalue de la formule gnrale du capital [1965 : 695696]) que la formation du capital doit tre possible lors mme que le prix des marchandises est gal leur valeur (1965 : 713 note a), et Engels non plus lorsquil crit (dans le but de dfendre, justement, la transformation des valeurs en prix de production) que la loi de la valeur de Marx est () conomiquement valable en gnral pour une priode allant du dbut de lՎchange marchand jusquau XVme sicle de notre re (Engels 1984 : 933), donc quelle ne lest plus pour le capital. Pour sa part Marx prcise dans le passage sur lequel sappuis Engels que  lՎchange de marchandises leur valeur ou approximativement leur valeur suppose, par consquent, un stade moins avanc que lՎchange aux prix de production, qui ncessite un niveau lev du dveloppement capitaliste  (1968 : 969) ; mais ceci reste malgr tout assez imprcis. Bref, on comprend pourquoi Achille Loria, lՎconomiste italien auquel sen prend Engels dans sa dfense du Livre III, peut crire que se proccuper dune valeur laquelle les marchandises ne sont pas changes ni ne peuvent jamais lՐtre, aucun conomiste ayant un grain dintelligence ne la fait ni ne le fera jamais. (Engels 1984 : 922. Cest E qui souligne.)

 

Le caractre problmatique de la thorie de la valeur tient au fait que dun ct, ds linstant o les marchandises nexistent plus en tant que telles mais en tant que produit du capital, elles ne sՎchangent plus leur valeur mais leur prix de production et que, dun autre ct, tant que tel nest pas le cas, elles ne constituent pas une conomie ou un mode de production limage de ce quil se passe avec le capitalisme. Dans le premier cas, on peut comprendre linvective de Loria : pourquoi sembarrasser dune thorie qui ne rend pas compte du mouvement rel de lՎconomie capitaliste ? Un questionnement, comme on la vu, qui existe chez Marx (dautant plus si lon considre que le Livre III du Capital est une somme de travaux prparatoires et donc que les questions quil se pose sont des questions auxquelles il est rellement confront) et quEngels endosse lorsquil dit que la loi de la valeur nest conomiquement valable en gnral que pour la priode non capitaliste de lhistoire de lhumanit.

 

Dans le second cas, linvective de Loria, pour tre moins pertinente que la premire du point de vue du capital, nen pose pas moins de srieuses questions sur lexistence dune conomie non capitaliste, pour le moins problmatique (Finley 1975). Surtout lorsque Marx note : La question de savoir quelle forme de proprit foncire, etc., est la plus productive, ou cre la plus grande richesse, na jamais proccup les Anciens. leurs yeux, la richesse nest pas le but de la production (). Lenqute porte toujours sur la question : quel mode de proprit cre les meilleurs citoyens ? ( ) Dans toutes ses formes, elle [la richesse] se prsente sous un aspect matriel, soit comme chose, soit comme un rapport mdiatis par la chose, mais toujours en dehors de lindividu ou, par accident, ct de lui (Marx 1968c : 327. Je souligne), etc. Plus prs de nous, cela pose la question du statut de la fameuse petite production marchande , entre concept thorique et ralit historique, dans la mesure o celleci na jamais fond un mode de production spcifique et par l la base dune socit conomique, et encore plus prs, celui de la subsomption formelle dans la mesure o elle conserve lՎchange des marchandises leur valeur et non leur prix de production.

 

On a vu dans lessai de Caffentzis comment certains thoriciens de la mouvance altermondialiste posent que si lon peut considrer que la classe capitaliste est en mesure de rpartir correctement les rsultats de la production, il ny a pas lieu de sencombrer de la loi de la valeur pour se lancer lattaque du capital. A contrario, on verra comment la thorie franaise du proltariat considre quil ny a pas lieu de sembarrasser des phnomnes empiriques du capital et de son mouvement rel puisque au final tout se rsout dans la loi de la valeur Mais avant cela ce sera la fameuse polmique sur le problme de la transformation  (Lipietz 1982) qui dbuta ds la publication du Livre III du Capital partir de 1895, avec le ministre des finances autrichien BhmBawerk et Berstein qui sest poursuivie travers le monde jusquՈ la fin des annes 1970 avec pour enjeu la liquidation de la valeurtravail au profit de sa seule forme montaire4.

 

Au final, il y a bien plus quun simple propos pistmologique dans les deux remarques de Marx dans la mesure o se poser la question de la compatibilit de la thorie de la valeur avec le mouvement rel et les phnomnes empiriques de la production et de sa pertinence en gnral comme outil de comprhension du rel, pose tout simplement la question de lactivit thorique ellemme, de son objet comme de sa mthode, en tant que mise en forme du rel en question et donc du choix thorique de ce rel.

 

La transformation des valeurs en prix de production, je lai dj dit, naboli pas la loi de la valeur, mme lorsque dans lՎconomie du capital, lorigine de celleci disparat. En thorie on peut dire que la loi de la valeur est le sujet du systme des prix de production, et que dans le mouvement rel du capital, cestЈdire dans son conomie, cest la loi de la valeur qui, dans son effectivit, suppose le systme des prix de production. Ainsi Lipietz raison lorsquil dit qu il serait plus exact de parler de transformation de la loi de la valeur par galisation des taux de profit des capitaux particuliers (Lipietz 1982). Alain Bihr a galement raison qui voit dans cette transformation une appropriation du procs de rpartition par le capital, dans la mesure o les marchandises, comme support du capital, ne cherchent pas se raliser pour ellesmmes (donc en valeur) mais assurer travers leur ralisation la valorisation du capital. Ce faisant elles saffranchissent, en un sens, des contraintes que leur impose la loi de la valeur ; autrement dit, () le capital (industriel) transforme, en se lappropriant, cette loi en tant que loi gouvernant le procs de rpartition de la valeur, plus exactement de la plusvalue. (Bihr 2001 : 12). Plus loin il crit : il sagit pour le capital de surmonter cette loi en la transformant (ibid. : 24), ce qui ne signifie pas quelle a purement et simplement t dpasse par le capital, comme peuvent le penser Camatte et Temps critiques (1999 et 2004), ou alors au sens hglien, ce qui nest pas une absurdit, mais ce qui ne signifie en aucune manire son anantissement. On a vu que pour Caffentzis, du fait de cette  transformation , elle est plus que jamais prgnante dans le monde du capitalisme contemporain.

 

En ce sens donc, il nest pas absurde ou hrtique de penser, comme je lai dit plus haut, quaujourdhui cest la loi de la valeur qui suppose le systme des prix de production et non plus le contraire encore que cette historicisation de la question (aujourdhui) demeure problmatique au sens o elle suppose comme on vient de le voir que la petite production marchande ait un jour exist en tant que socit ou tout simplement ait constitu le mode de production dominant dune socit historique donne (ce que suppose Engels dans sa dfense de Marx). Il faut creuser cette question dans la mesure o lՎtablissement du capital comme socit capitaliste, cestЈdire du capital tout court, au sortir de la Premire guerre mondiale, suppose dj lexistence dun taux de profit moyen. Quen estil alors de la priode qui suit la fin de la Seconde guerre mondiale et a fortiori de la crise contemporaine et de la priode actuelle  ? Si il y a des diffrences, cest dans les modalits dՎgalisation des taux de profit particuliers en un taux de profit gnral, quil faut les chercher

 

Dans tous les cas, sagissant des crises du capital, en ce sens, cellesci, si elles sont bien des crises de pnurie de plusvalue (Mattick 1974 : 86) le sont du fait dune crise dans lՎtablissement dun taux de profit gnral et donc de la transformation des valeurs en prix de production. En rester la seule production de plusvalue pour comprendre les crises capitalistes revient lhypostase du capital comme procs de valorisation  : cest une chose pour la classe capitaliste de contraindre la classe proltaire au surtravail, a en est une autre de capitaliser cette plusvalue, cestЈdire de la  raliser , cestЈdire de linvestir dun point de vue capitaliste : Christies et les boutiques Louis Vuiton, LafargeCopp et Alsthom, Ed et Notta ne vendent pas les mmes marchandises.

 

Et si la lutte de classes est (en dernire instance) la forme de mouvement du procs contradictoire du capital, les crises du capital, comme crise de la transformation des valeurs en prix de production, sont des crises de la lutte de classes5.

 

La thorie franaise se contente de tordre le bton dans le sens contraire des aiguilles critiques de la bourgeoisie et de la socialdmocratie dantan (ou dans celui des altermondialistes analytiques), sur cette question de la transformation , dans lhypostase du procs de valorisation du capital induite par la thorie du Proltariat, lorsquelle ne voit dans le mouvement rel du capital (son conomie) quune empirie phnomnale du concept de capital.

 

 

 



a Sur le sens que je donne ce terme, voir infra note 4.

b Cf. infra note 3.

c Cf. infra note 4.

d Entre interdite, sauf pour affaire.

e Les affaires continuent.



 

Notes

 

Tous les thmes approchs dans ces notes comme des thses seront dvelopps ultrieurement.

 

1 Au paysage thorique que jai bross dans ces notes, il faut ajouter bien sr lInternationale Situationniste qui a vu sa dimension internationale samoindrir au fur et mesure quelle sest dtache de ses origines artistiques le tournant intervenant la confrence de Gteborg en 1961 qui regroupait encore les situationnistes de 9 pays (IS 1962) pour finir par ne plus tre quun groupuscule francofranais (avec un appendice italien) . Son principal mrite mes yeux est davoir t parmi les premires manifestations du besoin de thorie naissant de lՎpoque tel quil sest exprim dans la publication de La socit du spectacle de Debord (1967) dans toute son ambition, quoi quil en soi du jugement que lon puisse porter aujourdhui sur ce livre. Un besoin de thorie qui sest affirm par ailleurs visЈvis dInformation Correspondance Ouvrire (ICO) auquel lIS reprochait davoir fait le choix de linexistence thorique contre la ncessit de formuler une critique prcise de lactuelle socit dexploitation (IS 1967 : 63). Et ce nest pas un hasard si Barrot (Dauv) reprend cette critique son compte dans lun des premiers textes de la thorie franaise (Barrot 2003 : 209210). part a, le triomphalisme rvolutionnaire que les situationnistes affichent par rapport Mai 68 (IS 1969 : 3 et suiv.) et leur mythification du mouvement des occupations (IS 1998) et tout fait dans lair du temps de lexception sociale franaise que constituent les vnements .

 

2 Il nest pas possible de rsumer le corpus tcien en quelques lignes pas plus dailleurs que celui dInvariance ou de Trop loin , alors que pour des groupes ou revues comme changes ou Cette Semaine, par exemple, ou comme le Mouvement communiste, le concept d autonomie de la classe suffit, sinon puiser leur propos, du moins le rassembler autour dun principe unificateur. Dans le cas de Thorie Communiste cela est dautant plus impossible que, du fait de sa systmaticit, mme ce qui pourrait apparatre comme un tel principe : la  contradiction proltariat/capital et plus prcisment la restructuration de cette contradiction, ne se laisse pas rduire son simple nonc du fait des multiples mdiations quil suppose et que luimme prsuppose simultanment. Pour autant, si lon veut rendre compte en un seul coup du corpus tcien, il nest pas inutile de parler, entre idologie et thorie, de sa vision du monde panthorique, telle quelle explose littralement dans lintroduction  des Fondements critiques dune thorie de la rvolution, aujourdhui (R. Simon 2001 : 89) et telle quelle sest expose ds le dbut des annes quatrevingt : Poursuivre le travail de reconnaissance de lancien cycle de luttes comme tel, et sa critique de faon fondamentale, cՎtait se marginaliser, car cՎtait accepter de ne se reconnatre dans aucun moment immdiat de la lutte de classes. (Thorie communiste 1983 : 6). Notre rapport limmdiatet des manifestations quotidiennes du mouvement social pourrait tre qualifi de thorique : les moments particuliers de la lutte de classes sont compris comme une totalit au sein de laquelle ils simpliquent mutuellement (limites dun cycle ; retournement dans la contrervolution ; ncessit du dpassement dun cycle ; amorce dun nouveau cycle ) et en cela tous sont poss comme ncessaires et moments du processus de la rvolution se faisant, y compris le dveloppement du capital (contrervolution). (ibid. : 7). Bref, pour conclure momentanment sur ce point, plus gnralement, on peut dire quau fil du temps le dbat sur la capacit rvolutionnaire du Proltariat a fig la production thorique qui sen est suivi, jusquՈ lengager dans une impasse pratique o le discours saffine au dtriment des propositions formelles effectives Comme le donne actuellement voir Meeting, en dpit du renouvellement (relatif) de son personnel .

 

3 Lexpos que fait Bihr de la question est tout fait pertinent. Toutefois, il demeure prisonnier de la conception classique de la priodisation du capital en subsomption formelle et subsomption relle telle que la tablie Marx dans le VIme chapitre indit du Capital (Alors que son expos du secret de laccumulation primitive quil rserve au Capital est historiquement plus probant) . Or celleci pche par le statut accord la premire entre moment logique de lexpos du dveloppement de la production capitaliste et priode historique de son mouvement rel. Cette ambigut est fondatrice de la thorie franaise du Proltariat. On la trouve dans Invariance qui fonde sur elle sa critique du programme proltarien (Camatte 1972 : 1314), mais aussi chez Thorie communiste qui conserve cette ambigut dans sa critique de lanalyse de Camatte (Thorie Communiste 1979 : III) et, aujourdhui encore dans le dbat avec la revue anglaise Aufheben propos de la priodisation du capital (Aufheben et Thorie Communiste 2005) qui tout en apportant des claicissements notables sur la subsomption relle laisse compltement de ct lessentiel, cestЈdire la subsomption formelle. A contrario, comme on a pu le lire lapport de Caffentzis est important qui, sil ne rgle pas totalement la question, lui donne une dimension nouvelle en largissant la problmatique de la subsomption du capital la composition organique des capitaux et la transformation des valeurs en prix de production (Caffentzis 2005 : 23 et suiv.). Cette question est essentielle dans la mesure o elle implique directement celle de la nature des classes capitalistes et, audel, la thorie de la rvolution. Voir icidessous note 4.

 

4 Seule la transformation des valeurs en prix de production est constitutive des classes du capital que sont la classe proltaire et la classe capitaliste : on ne peut pas dduire les classes capitalistes de la seule analyse en valeur du capital. Ainsi ce que la thorie franaise nomme le Proltariat nest pas une classe capitaliste ou, dit autrement, du capital comme socit il en va de mme pour Marx, sauf que pour lui cest ce quil avait sous les yeux. Ce terme ne recouvre que la sommation dun tat singulier (la libert et labsence de rserve) : le proltariat cest la masse des travailleurs qui nest une classe quau travers de son organisation (  Lorganisation des lments rvolutionnaire comme classe (Marx 1965 : 135. Je souligne) dans la crise de lancienne socit. Cest sur cette base quil peut opposer son alternative la socit dAncien Rgime contre les partisans du march libre (Leclerq 1998) qui ne sont pas des bourgeois , historiquement jusquՈ la fin du XIXme sicle et, thoriquement, quaujourdhui peut tre pose la question de son autonomie , mais aussi celle de savoir comment une classe agissant strictement en tant que classe peutelle abolir les classes ? (Thorie communiste 2004 : 8). La rponse est que strictement la classe proltaire ne peut pas abolir les classes et que, si le Proltariat peut tenter de le faire cest parce quil nest pas strictement une classe capitaliste (do lhumanisme universaliste de Marx dans la Contribution la critique de la philosophie du droit de Hegel [Marx 1970 : 6263]). Ainsi, Invariance et Trop Loin sont plus consquents que Thorie Communiste du point de vue de la thorie du Proltariat lorsquil font de celuici un en dehors de la socit capitaliste.Voir supra p. 1. En ce sens les gauches communistes sont le produit de la disparition du Proltariat dans son rection en classe capitaliste, au grand dam de Rhle et de Bordiga qui nont pas de mots assez durs pour fustiger cette intgration de la vie quotidienne des proltaires dans la socit civile capitaliste.

 

5 Marx donne luimme le bton pour se faire battre lorsquil dit que son affirmation selon laquelle la somme des prix de productions de toutes les marchandises produites dans toute la socit est gale la somme de leur valeur (sinon il y aurait dconnexion entre le systme de la valeur et le systme des prix de production et non transformation de lun en lautre) semble contredite par le fait que dans la production capitaliste, les lments du capital productif sont, en rgle gnrale, achets sur le march, que leur prix contiennent donc un profit dj ralis et que, par consquent, le prix de production de telle branche dindustrie y compris le profit quil contient entre dans le cot de production dune autre branche (1968a : 952). Ce qui revint reconnatre que les marchandises qui entrent dans les cots de production dun capital particulier ne sont pas achetes leur valeur mais bien leur prix de production, or, dans sa dmonstration de la conversion des valeurs en prix de production Marx suppose le contraire et cest partir de l que commence la polmique. Marx sen sort en passant au niveau du capital total et il continue

 

6 Ce nest pas la lutte de classe qui fait la crise (puisquelle est ce en quoi les contradictions du capital comme valeur en procs se ralisent et se rsolvent la fois et qui rend effective sa reproduction) mais la lutte de classe ellemme qui est en crise (et non qui est crise) et, travers elle, la reproduction des deux classes du capital comme socit que sont la classe proltaire et la classe capitaliste. Sil y a un cart ce moment l, il est le fait du capital un cart dans la reproduction des classes et non le fait de la classe proltaire sub specie Proltariat . Si cela  annonce quelque chose, cest limpossibilit de la socit capitaliste, et non sa communisation. En ce sens laltermondialisme existe sur la base des drglements du mode de production capitaliste et donc sur la question de sa possibilit/impossibilit, en ce sens quil tmoigne des drglements des mcanismes dՎgalisation des taux de profit particuliers, de la crise de la valeur comme crise de la transformation des valeurs en prix de production (et non de la crise de la valeur ellemme), et finalement de la crise de la reproduction des classes capitalistes, donc de la crise de la lutte de classes. Cest pour cela que laltermondialisme est un mouvement social et non une lutte de classes. Ce que thorisent Hardt et Negri dans Empire au travers de leur conception de la valeur.

 

 

 

 

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